La Guerre Sainte selon St Thomas


La Guerre Sainte

Suffira-t-il, pour que la guerre soit revêtue de toutes les conditions qui doivent être les siennes, qu’elle soit juste dans sa cause, sage dans sa préparation et son exécution, honnête dans ses procédés? Il le semblerait, à ne la considérer que du point de vue civil ou laïque, si l’on peut ainsi s’exprimer. Mais il est un autre point de vue qu’on ne saurait négliger quand il s’agit d’une chose aussi grave que la guerre et qui entraîne après elle tant de conséquences. C’est le point de vue religieux.


En se résolvant à faire la guerre, qu’il s’agisse d’une guerre offensive ou d’une guerre défensive, un État prend les plus graves responsabilités. Tous ses membres en éprouveront le contre-coup. Et ceux qui seront engagés directement dans la lutte seront appelés à consentir les plus grands sacrifices, puisqu’on va leur demander le sacrifice même de leur vie.

Comme il s’agit non de simples machines qu’on meut du dehors ou môme d’animaux sans raison que l’instinct ou la menace suffisent a ébranler, mais d’êtres raisonnables devant se mouvoir eux-mêmes par conviction et par vertu; et comme, d’autre part, les intérêts en jeu sont tout ce qu’il y a de plus grave, puis-qu’aussi bien c’est la vie même de la nation qui peut être en cause, il est évident qu’on ne saurait trop s’entourer de toutes les garanties qui peuvent ou doivent assurer le succès dans l’effroyable lutte.


Parmi ces garanties, la plus puissante assurément et la plus précieuse, celle qui complète toutes les autres et pourrait même, au besoin, ou en cas d’absolue nécessité, suppléer telles ou telles, c’est la protection du ciel. En parlant de la guerre sage, nous avons déjà dit de quel secours doit être pour maintenir ou élever le moral du pays et le moral de l’armée le rôle du clergé, et quelle faute contre la prudence il y aurait, de la part d’un État, à diminuer ce rôle ou à le paralyser. Mais cela même ne saurait suffire. Un autre devoir s’impose. C’est celui d’en appeler directement à Dieu et d’attirer ses bénédictions par l’hommage solennel que constitue la reconnaissance du besoin qu’on a de Lui en des circonstances aussi graves.


Il va sans dire que cet acte de religion destiné à sanctifier le grand acte de la guerre ne peut se faire que dans le cas d’une guerre juste ou qu’on estime telle en parfaite bonne foi. Rien ne serait, en effet, plus déplacé que d’en appeler au secours de Dieu et à sa protection quand il s’agirait d’une agression injuste. L’inconvenance prendrait les proportions du sacrilège et du scandale, si Ton avait publiquement violé sa parole donnée sous la foi même du serment. Dans ce cas, au lieu de compter sur le secours de Dieu et d’y faire appel, on devrait plutôt redouter sa juste colère et ne songer qu’à se faire oublier de Lui ou à détourner son courroux en réparant les torts dont on s’est rendu coupable.


Mais, à supposer qu’il s’agisse d’une guerre juste, soit parce qu’on l’estime telle en parfaite bonne foi, soit parce qu’en effet la justice de sa cause est éclatante, alors vraiment on a le droit de s’adresser à Dieu avec confiance et de faire appel à son secours. Nous avons même dit que c’est un devoir; et un devoir sacré. Il est vrai qu’ici une objection se pose. Comment en appeler à Dieu et à son secours, si l’on ne croit pas en Lui? Comment même, en admettant qu’on a personnellement la croyance, en Dieu, faire acte public et extérieur de religion, si l’on vit dans une société où cette croyance n’est pas universelle ?


Nous avouerons en toute simplicité que d’entendre formuler cette objection et d’avoir à y répondre est chose très douloureuse. Il semble qu’elle n’aurait jamais dû être possible dans une société d’êtres humains. Qu’un être humain, en effet, doué de sa raison, puisse nier ou révoquer en doute la vérité la plus essentielle et que tout démontre, c’est chose à peine concevable, et, à tout le moins, profondément humiliante pour notre nature.


Toutefois, puisque, malheureusement, il est des hommes qui formulent cette objection et qui pratiquement règlent leur conduite sur elle, il faut bien montrer son erreur et son côté pernicieux. On dit qu’un Etat, ou ceux qui le représentent, ne doit pas faire acte extérieur de religion, même et surtout dans les graves circonstances de la guerre, parce qu’il se peut que le personnel de cet Etat n’ait aucune croyance religieuse et qu’en tout cas il doit respecter les convictions de ceux qui n’ont aucune foi.

A cela, nous répondrons par ces simples considérations. Que le personnel d’un Etat, dans sa partie dirigeante, ou que des membres de la nation à laquelle cet Etat préside, soient sans aucune croyance religieuse, cela ne fait point que la vérité de la religion n’existe pas.

Dieu ne cesse pas d’exister et de gouverner le monde, parce qu’il est des hommes qui nient son existence ou qui méconnaissent l’action de son gouvernement. D’autre part, s’il est vrai comme la raison naturelle le proclame, aux yeux des sages, et comme en tout cas l’Eglise catholique l’enseigne, que toute société est tenue de rendre à Dieu un culte public sous peine d’irriter sa colère, comment oser prendre sur soi les responsabilités d’une abstention qui peut avoir toujours de si redoutables conséquences, mais plus spécialement dans les circonstances exceptionnelles où la vie d’une nation se joue sur les champs de bataille.

S’il ne s’agissait que de soi, ce serait toujours trop de courir des risques si formidables sans avoir des certitudes mille fois établies — qui ne pourront jamais l’être dans la grave question qui nous occupe; — mais quand il y va des intérêts vitaux de tout un peuple, quand il y va de la possibilité de prolonger ou d’abréger des épreuves effroyables, ne vaudrait-il pas mieux mille fois s’exposer à se tromper dans un sens favorable plutôt que de courir le plus léger risque contraire ? Mais, dira-t-on, comment faire acte de religion si l’on n’a personnellement aucune croyance ?

Nous répondrons : Comment accepter ou garder de si graves responsabilités, si l’on n’estime pas possible d’y parer? Il resterait toujours la ressource de céder la place à d’autres. À moins qu’on ne juge possible de poser au moins l’acte extérieur qui se fait alors non pas au nom du sujet comme personne privée, mais au nom de la société que l’on représente à titre de personnage public.

— Oui, mais si dans cette société il en est qui ne croient pas ? — Faudra-t-il donc pour ne pas déplaire à quelques esprit, qui n’ont d’ailleurs aucun droit de se plaindre, puisqu’aussi bien on ne les force pas eux-mêmes de prier, courir le risque d’exposer toute la nation — et ces esprits dissidents eux-mêmes—à payer des plus terribles conséquences une abstention que tant d’autres esprits déclarent dangereuse ?


Voilà le point précis de la question et qui ne permet absolument pas de réponse négative. Aucun Etat n’a le droit d’engager une guerre, quand celte guerre est juste ou qu’il la croit telle de bonne foi, sans appeler publiquement et solennellement la protection du ciel sur la guerre qu’il entreprend. Il doit tout mettre en oeuvre pour attirer sur soi cl sur ses armées les bénédictions de Dieu et ne rien faire qui puisse, en l’irritant, soit compromettre le succès final, soit retarder ce succès et le rendre plus coûteux.


Saint Thomas se demande, à ce sujet, s’il peut être permis de combattre aux jours de fête ou de dimanche. Sa réponse vaut d’être citée textuellement.

On y admirera ce double caractère de largeur et de prudente fidélité qui se retrouve toujours dans ses règles de morale.

« L’observation des fêtes, déclare-t-il, n’empêche point ce qui est ordonné au salut des hommes, même dans l’ordre corporel. Aussi bien, le Seigneur fait reproche aux Juifs, leur disant, dans saint Jean, ch. vu (v. 23) : Vous vous indignez contre moi parce que j’ai constitué sain Un homme tout entier le jour du sabbat. Et de là vient que les médecins peuvent licitement traiter leurs malades durant les jours de fête. Or, poursuit le saint Docteur, le salut de la république ordonné à empêcher le meurtre d’un grand nombre et des maux innombrables soit temporels soit spirituels mérite d’être sauvegardé beaucoup plus que le salut corporel d’un homme particulier. Il suit de là que pour la protection de la république des fidèles, il est permis de faire les guerres justes durant les jours de fête, pourvu toutefois que la nécessité le demande : si, en effet, quand la nécessité presse, on voulait s’abstenir de faire la guerre, ce serait tenter Dieu. Mais, quand la nécessité cesse, il n’est point permis de faire la guerre pendant les jours de fête. »


Et nous avons, dans ce dernier mot du saint Docteur, le résumé de tout ce qui concerne les devoirs d’un Etat ou d’un peuple au sujet de la guerre : la guerre doit être juste, préparée et organisée ou menée selon toutes les règles de la prudence humaine, se gardant bien de remettre témérairement au secours de Dieu ce qui dépend de notre action propre; mais aussi, et en même temps, être scrupuleusement attentive à ne rien faire qui puisse déplaire à Dieu, s’appliquant, au contraire, en toutes choses, à respecter sa loi sainte pour attirer sur soi les secours et les bénédictions de Celui qui est le Maître de la victoire.

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