Les psaumes en Français et en rime – R.P René COMPAING

Comme nous l’avions vu dans un article tiré de l’excellente revue Le Cep, intitulé « le parallélisme dans la poésie biblique », les poèmes en hébreu que sont les psaumes de David, fonctionnent selon la règle du « parallélisme » : c’est-à-dire que l’on retrouve bien une répétition comme dans nos poésies rimées, mais que cette répétition se fait ici au niveau du sens.


L’ingéniosité du Créateur se fait encore sentir pleinement dans ce domaine : cela permet en effet que la répétition, cette « rime de sens » se retrouve dans n’importe quelle traduction de l’hébreu, langue de la Sainte Écriture, à une autre langue.


Une traduction dans notre bel idiome ne peut donc que conserver ce parallélisme. Ici, notre auteur, le Révérend Père Compaing, nous les présente avec la particularité étonnante et rare de restaurer la rime et la mesure en employant les mots que la richesse de notre langue permet d’assembler harmonieusement.


Notre Révérend Père a intitulé son livret « Prière inspirée et Prière de l’Église. Psaumes et Hymnes » (1913), car on retrouve aussi les hymnes de l’Église utilisées dans les temps liturgiques… et mis élégamment en vers français !

L’auteur a reçu une lettre du cardinal Merry Del Val pour approuver et le féliciter de ses travaux :

« Le Souverain Pontife a agréé très volontiers l’hommage de votre essai d’une traduction littérale des Psaumes en vers français d’après le texte original hébreu.
Aux éloges que vous a valus de la part d’appréciateurs la terre compétent un travail si ardu et partant si méritoire, Sa Sainteté, bien qu’elle n’ait pas pu en prendre connaissance, se plaît à joindre l’expression de sa souveraine bienveillance à votre égard en vous adressant de tout cœur la bénédiction apostolique.
Il m’est agréable de vous adresser, mon Révérend Père, mes félicitations personnelles avec l’assurance de mes meilleurs sentiments en N.S.
Del Vaticano, 22 avril 1913 »


Le Révérend Père expose ensuite en introduction pourquoi il est d’un grand intérêt de prier les Psaumes et les Hymnes. Puissions-nous aujourd’hui encore garder le sens de l’Église et nous joindre à sa voix pour louer, maintenant et dans l’éternité, le Dieu trois fois Saint !


I) Les Psaumes


Cet essai de traduction littérale a été entrepris sur le texte original tel que les savants contemporains l’ont reconstitué d’après l’hébreu actuel, la version des Septantes (dont la Vulgate n’est pour les Psaumes que la traduction latine), la version de saint Jérôme et les autres versions anciennes.


Dieu n’a point fait de miracles pour préserver d’altérations accidentelles le texte de l’Écriture. Il en a été des Psaumes comme des mélodies grégoriennes et des monuments du moyen âge : la science moderne a pu rendre leur antique beauté plus attirante, plus saisissante en la faisant resplendir, par ses découvertes, du charme de la nouveauté.


Mais, quels que soient les progrès de l’exégèse, pour mener à bonne fin une traduction des Psaumes en vers français, il faudrait être Racine. Du moins si son génie est inimitable, les règles qu’il a suivies peuvent toujours être observées.

J’ai regardé comme un devoir de ne jamais les enfreindre de propos délibéré.
L’érudition à laquelle on doit constamment recourir pour traduire exactement le texte, surtout dans les passages dogmatiques et prophétiques, a été tenue dans l’ombre le plus possible.

Puis elle préoccuperait l’esprit de découvertes scientifiques et de faits passés, moins elle le laisserait attentif à ce qui est la vie et la raison d’être du Psaume : Dieu toujours et partout présent, nous parlant de lui-même pour nous apprendre à le connaître, à l’adorer, à le prier, à le louer, à le servir, à nous orienter par l’espérance et l’amour vers l’éternité, à juger de l’infinité incompréhensible de ses miséricordes par l’indépendance absolue de son être infini, de sa science, de sa gloire, de son bonheur et de sa toute-puissance.


Si David a été inspiré de chanter souvent aussi sa propre histoire, c’est que David a éprouvé toutes les peines qui nous font pleurer, connu tous les honneurs capables de donner le vertige, commis les pires fautes qui puissent faire désespérer du pardon. C’est pourquoi quand il prie Dieu dans ses malheurs, lui rapporte ses gloires, avoue ses abominables péchés avec un profond mépris de lui-même, il est, il sera à jamais la consolation et la lumière de toutes les âmes, toutes destinées à souffrir, toutes accessibles à l’orgueil qui porte l’homme à s’attribuer ses mérites et à s’enivrer de sa grandeur, toutes exposées au péché et ne pouvant recouvrer l’amitié de Dieu que par la honte d’elles-mêmes et le regret de l’avoir offensé.


Pour disposer l’âme à vibrer à l’unisson de la pensée divine, chaque Psaume est précédé de quelques paroles de l’Écriture ou des énarrations de saint Augustin, des écrits des Pères et du savant pieux exégète Monsieur le Hir. […]


Par-dessus tout, grâces et gloire soit rendues à l’Auteur de tous dons, au Roi immortel et invisible des siècles, qui a parlé par les psalmistes, à son Verbe éternel fait homme pour nous, à sa Mère immaculée, notre Mère, la bienheureuse Vierge Marie !

Poitiers, le 6 octobre 1912, Fête de Notre-Dame du Rosaire.

*Les Hébreux croyaient à l’immortalité de l’âme et aux récompenses surnaturelles de la vie future. Ils croyaient en Dieu se communiquant à nous d’une façon supérieure à notre nature et nous procurant par sa Providence les moyens d’arriver à une société bienheureuse avec lui ; mais la mort leur apparaissait comme une nuit, nuit de douleurs pour les damnés et ceux qui n’avaient pas encore expié leurs fautes, nuit d’attente et d’incertitude même pour ceux qui n’avaient plus rien à espérer. Si purs qu’ils fussent, ils devaient attendre dans les Limbes la mort du Messie sur la Croix avant de contempler face-à-face Dieu leur récompense.


Pendant ces longs siècles, que faisaient les âmes justes, incapables de louer Dieu sur terre et de l’adorer dans son temple, incapables aussi de le louer dans le ciel toujours fermé depuis le péché d’Adam ? Mystère qui oblige à garder tel quel dans notre langue le mot « schéol » par lequel les Hébreux désignés d’une façon générale l’au-delà de la mort.


Dans les Psaumes, il est question de bénédictions et de récompenses temporelles, Dieu récompensant et punissant plus souvent que maintenant dès cette terre la conduite des hommes. Mais pour nous chrétiens qui jouissons des bienfaits du premier avènement du Christ et qui verront Dieu dès que notre âme sera purifiée, il nous faut pour ainsi parler, élever toutes les promesses de récompenses à l’octave supérieure, à la vie éternelle.


Quant aux Psaumes dits imprécatoires, c’est dans un esprit, non de vengeance, mais de conformité à la justice divine, de zèle pour la gloire de Dieu et la conversion des impies que les chrétiens doivent les réciter. Tout en gardant pour le péché la rigueur de l’ancienne loi, ils nourrissent pour le pécheur toute la douceur de la nouvelle.


II) Les Hymnes de l’Église


Si les Psaumes contiennent sous forme de louanges toute la sainte Écriture (1), les Hymnes de l’Église chantent toute la Foi catholique et résument toute la liturgie. Elles mettent en radieuse lumière le Christ et l’Église, son corps mystique, dont l’ancien Testament était l’ombre prophétique (2). Psaumes et Hymnes s’unissent pour nous faire de plus en plus connaître et goûter dans la prière Notre-Seigneur Jésus-Christ. « Vous scrutez les Écritures, ce sont elles qui rendent témoignage de moi, » (3) disait Jésus aux Juifs. Dans les Psaumes, il se montre souvent le Dieu terrible ; dans les Hymnes, c’est le Dieu fait homme et petit enfant, aimable infiniment. Aussi quelle suavité dans la liturgie de Noël, du saint Nom de Jésus, de la sainte Famille, des offices de la très sainte Vierge !


Pour conserver une des qualités principales du texte primitif, les Hymnes sont traduites en vers, de même mètre qu’en latin, et, pour le Lauda Sion, le Stabat mater, le Dies irae, et le Jesu rex admirabilis, avec la même ordonnance de rimes.


Les idées étant conçues par les poètes pour être exprimées dans un langage coulant et limpide dont l’allure est non pas celle de la marche ordinaire mais de la course rythmée ou plutôt du vol, les traductions en prose laissent toujours l’impression d’une disproportion entre la pensée et son expression, faisant un peu l’effet d’habits de tous les jours dans une fête solennelle.


Il est souverainement convenable qu’au moins à certaines heures les hommes se servent, pour parler de Dieu et à Dieu, du langage le plus soigné, qui se prête le plus à être chanté, devant être lui-même un chant assez mélodieux pour charmer l’oreille, assez varié et imagé pour ne pas endormir, et, pour cela, s’interdisant l’obscurité, l’hiatus, l’inversion non justifiée, le mot inutile, insuffisant ou excessif, surtout lorsque, servant de rime, il attire l’attention.


N’étant pas une paraphrase, cette traduction garde aux Hymnes très simples leur simplicité, entre autres à celles des Matines des Féries de la semaine : prière de pauvres pécheurs interrompant les sublimes envolées des Psaumes pour pousser vers le ciel d’humbles cris de repentir qu’en mère toujours préoccupée du salut de ses enfants la sainte Église catholique leur met sur les lèvres.


Très souvent aussi les Hymnes élèvent l’âme à Dieu par le spectacle des créatures, principalement du soleil levant, symbole du Christ ressuscité, lumière du monde, triomphant chaque matin, à l’heure du sacrifice, de la nuit de l’erreur et du péché : telles sont celles des Laudes et notamment l’Hymne aussi pieuse que pittoresque de saint Ambroise. « Éternel Auteur de la terre (4) », sans doute une de celles qui faisaient délicieusement pleurer saint Augustin. Surtout dans les Églises orientées vers le soleil levant, – comme c’était la tradition constante au moyen âge, – cet accord incessant de la prière liturgique avec la marche du soleil est l’image saisissante et grandiose des harmonieux rapports entre la nature et la grâce, les lumières de la raison et celles de la Foi.


C’est le Saint-Esprit qui a inspiré les Psaumes ; c’est lui qui assiste l’Église dans sa liturgie. Sous des formes différentes, il y a identité de pensée : par exemple entre le Miserere, les Psaumes de la pénitence et les Hymnes des Vêpres et des Matines de Carême, entre les Psaumes 8, 18, 103, 148 et les Hymnes des Laudes et des Vêpres de Féries.

On y contemple, on y adore constamment Dieu à travers le monde, qui reçoit de Lui l’être, le mouvement et la vie. Le cantique Benedicite des Laudes du Dimanche, si cher à saint François d’Assise, fait louer Dieu partout, toujours, à propos de tout. Saint Ignace passait des heures la nuit à contempler la voûte étoilée en disant : « Que la terre me paraît vile, quand je regarde le ciel ! »


Plus on prie avec les Psaumes et les Hymnes, plus on est à même de sentir et de goûter la douceur de la Divinité, sa perfection infinie, l’amabilité même, et par conséquent son droit absolu à être louée, révérée, servie, aimée, obéie pour elle-même. Plus on comprend qu’au Dieu tout amour doit remonter tout amour, qu’en lui seul pourra se reposer, parfaitement heureux, notre cœur affamé de gloire et de bonheur sans fin. En se louant lui-même dans les Psaumes inspirés pour nous apprendre à le louer, Dieu se fait connaître, sentir et goûter comme l’incomparable et indéfectible ami, le Père très aimant, l’Époux par excellence, immuablement fidèle et indiciblement beau, infiniment plus cher qu’un père et une mère aux enfants les plus aimant, plus cher encore que la patrie et son drapeau à ceux qui l’aiment jusqu’à verser tout leur sang.

C’est l’esprit d’adoption des fils qui nous fait appeler Dieu « Père », rend nôtres ses intérêts et son honneur et nous inspire comme principal motif de notre conversion et de notre sanctification, sa plus grande gloire :


« Sauve-nous, Jéhovah ! Pitié, Dieu secourable !
Du sein des nations, daigne en toi nous unir,
Pour que nous chantions l’hymne à ton Être adorable
Et mettions notre gloire à toujours te bénir !

À ces derniers cris du Psaume 105 font écho de façon saisissante l’Hymne des Vêpres du Carême :

Que de fautes avilissantes !
Pardonne-les à notre aveu
Guéris nos âmes languissantes
Pour ta gloire, Seigneur mon Dieu !

Et l’Hymne des Matines :

Nos faibles cœurs sont ton ouvrage,
Tu pétris nos corps de limon.
Ne livre pas, Dieu bon, Dieu sage,
À d’autres l’honneur de ton Nom !


Combien la prière serait facile pour celui qui saurait par cœur l’Hymnaire et le Psautier !

Tours, en la fête de la Visitation de la Très sainte Vierge Marie, 1925

(1) Le pseudo-Aérophagie cité par saint Thomas. S. th. III, q. 84. a. 3.
(2) Umbra futurorum, corpus autem Christi, Col. II, 17.
(3) S. Jean, v. 39.
(4) Aeterne rerum conditor. Laudes du Dimanche »

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