Les carmélites de Compiègne

Dans le film (celui de 1960, non celui de 1984, que je ne crois pas avoir vu, attendu que comme en politique, je préfère l’original que la copie), les répliques sont grandioses — chaque phrase est une formule qu’on aimerait pouvoir retenir —, les acteurs, Jeanne Moreau, Madeleine Renaud, Judith Magre, Pierre Brasseur, Georges Wilson…, sont sublimes, les regards inspirés, les effets de lumière, les jeux de scène, la gestuelle, la diction, à couper le souffle.

Ce film est la transposition cinématographique de Dialogues des Carmélites de Georges Bernanos, ce dernier s’étant inspiré d’une nouvelle de Gertrude von Le Fort, écrivain catholique (mais née calviniste) allemand du début du XX e siècle, La dernière à l’échafaud. Ces trois œuvres, les littéraires et la cinématographique — auxquelles on peut ajouter l’opéra éponyme de Francis Poulenc — sont tirées de l’histoire du martyre des seize Carmélites de Compiègne, guillotinées à Paris, le 17 juillet 1794, après leur condamnation à mort par le Tribunal révolutionnaire. A noter qu’elles furent béatifiées par le pape saint Pie X. Les trois œuvres sont tirées de cette tragédie mais ne lui sont pas fidèles. Une grande partie des récits est librement inventée. Ainsi, par exemple, du personnage poignant de Blanche de la Force…

SOBRIÉTÉ CARMÉLITAINE

La bande dessinée qui vient de paraître, Les Carmélites de Compiègne — Martyres de la Révolution —, se veut, elle, fidèle au récit historique. C’est là peut-être sa première originalité. Que ceux qui s’attendent à lire, en version dessinée, les textes évoqués ci-dessus, soient immédiatement détrompés. D’ailleurs, dans leur préface, les actuelles carmélites de Compiègne, remercient « les auteurs qui ont eu à cœur de respecter au plus près la réalité historique ». Ce faisant, les auteurs de l’ouvrage, Marie et Olivier Malcurat, heureux parents d’une belle fratrie de sept enfants, ainsi que le dessinateur, Fabrizio Russo, offrent à leurs lecteurs l’occasion de revenir à l’histoire vraie de cet acte, odieux et écœurant, de terrorisme républicain, d’aller au cœur du sujet à travers un récit dépouillé de tout esthétisme, un récit qui élève et purifie l’âme comme un acte de constriction, un récit ascétique mais haletant, mené tambour battant ; un récit d’une rigueur un rien “brutale”, d’une sobriété toute carmélitaine.

UN ÉBÉNISTE DU DESSIN

La deuxième originalité de l’ouvrage, c’est qu’à notre connaissance il constitue la première bande dessinée consacrée au sujet. N’étant pas familier de ce genre de livre, nous ne saurions nous prononcer sur sa valeur du point de vue des canons du genre. Ce que nous pouvons cependant affirmer, c’est que, bien que non familier du genre parce que , tout compte fait, peu intéressé par lui, nou avons été happé, emporté, enthousiasmé… par le tourbillon des vignettes, le jeu des couleurs, des ombres et des lumières, lequel jeu participe de la conduite et du contenu du récit ; par l’effacement de certains visages, ou plutôt leur estompement, qui permet à nos yeux de se braquer sur la lumière de certains regards. Ce que nous prenions, au commencement de la lecture — que le dessinateur nous pardonne ! —, pour un soupçon d’amateurisme, un manque de métier, de talent ou de capacité à répéter les mêmes portraits, planche après planche, et pour tout dire, de tenue de crayon un peu par-dessus la jambe, s’est révélé à nos yeux, au fur et à mesure que nous tournions les pages, comme un véritable travail dialectique de mise en retrait et de mise en valeur, une façon de marqueterie de détails façonnés et imbriqués par un ébéniste du dessin. Il en ressort des vignettes particulièrement éloquentes où les silhouettes, les visages, les gestes, les yeux, les mouvements expriment de façon réaliste ou allégorique, la haine ou la joie de la Foi, la stupidité sanguinaire des révolutionnaires, le désarroi de Louis XVI, l’espérance chrétienne dans les yeux des martyres, le dénuement dans le dévouement à la cause du Christ et de l’Eglise, la peur humaine de mourir, le courage et l’abnégation…


Dans les ténèbres de la Révolution et de l’avènement des Lumières, les seize carmélites de Compiègne ont choisi la Lumière. Le chemin vers la Lumière passait par le sacrifice et le martyr. Donc par la mort acceptée ; la mort nécessaire. Cette mort acceptée car nécessaire n’a rien à voir avec la mort volontaire, le suicide. Bien au contraire. Dans le contexte historique d’alors, le sacrifice et le choix du martyre étaient l’expression la plus haute de la liberté personnelle, humaine, et de cette liberté dont saint Paul dit qu’elle est fruit de la Vérité. D’une certaine façon, il n’y a que la Foi qui aide à mourir ; qui veuille la mort. Voilà un peu plus de vingt ans, le professeur William Bush publia un livre intitulé Apaiser la Terreur (réédité par les éditions Clovis en 2021), consacré à l’acte d’holocauste commis par les religieuses, qui, à l’instigation de leur prieure, Mère Thérèse de Saint-Augustin, répétaient chaque jour, en communauté et à haute voix, après que la terreur révolutionnaire avait commencé de les menacer, la prière d’offrande, qu’on trouvera dans la bande dessinée. Dans un entretien paru dans une publication catholique, l’auteur affirmait : « Dans une telle situation, le témoignage de la personne qui meurt pour le Christ devient une véritable manifestation de la puissance de Dieu, rendue visible dans le témoignage du martyr, et montrant que cette puissance est plus forte que l’instinct de survie chez l’homme ». Si la tragédie des carmélites de Compiègne constitue un épisode emblématique de l’horreur révolutionnaire, il faut savoir que les prêtres et religieux furent nombreux à avoir librement choisi le martyre par fidélité à l’Eglise. On pense notamment à un martyr encore présent dans bien des mémoires de cantaliens, l’abbé réfractaire François Filiol. Alors qu’il avait la possibilité de s’enfuir avant d’être guillotiné à Mauriac, il refusa la fuite et prononça ces paroles : « Dieu est irrité contre notre chère France, et il faut du sang de martyr pour apaiser sa juste colère ». Répétez cela aujourd’hui devant un “prêtre” conciliaire, il vous répondra qu’il n’entrave que pouic au patois catho.

Nous pourrions signaler dix, vingt, trente extraits de cette bande dessinée. Retenons-en un : page 34, où à la fin d’un dialogue avec le prêtre, sœur Constance de Jésus († 29 ans), qui appréhendait le martyre, finit par dire : « Oui, mon père, et je n’ai plus peur ». La représentation du visage de la future Bienheureuse est alors une réussite parfaite : sous le crayon du dessinateur, ce visage est lumière. Et Dieu sait qu’il n’est pas facile de dessiner la lumière ! C’est sœur Constance de Jésus qui monta la première à l’échafaud en chantant le psaume 116 : « …Son amour envers nous s’est montré le plus fort ; éternelle est la fidélité du seigneur ». A l’approche de la fête de la Nativité, pensons à offrir l’histoire des carmélites martyres de la Révolution à tous ceux qui nous sont chers. Comme dirait l’autre, c’est un geste qui relève du devoir de Mémoire !… J.-P. R.

Source : Les Carmélites de Compiègne – Rivarol numéro 3590 du 29 novembre 2023

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