L’importance de la famille traditionnelle par Mgr Delassus



Le travail d’observation auquel M. Le Play s’est livré, durant tant d’années et en tant de pays, l’a amené à ces conclusions. Il y a toujours, et il y a actuellement encore dans le monde, trois régimes de famille : la famille patriarcale, la famille-souche et la famille instable.

Sous le régime patriarcal, que l’on trouve encore dans presque toute l’Asie et en Europe sur certaines montagnes, le père garde sous son autorité immédiate ses fils, leurs femmes et leurs enfants. La communauté comprend jusqu’à quatre générations. Les idées, les mœurs, les habitudes des ancêtres, l’esprit de la race pénètrent les enfants dès le jeune âge d’une manière ineffaçable.


Le mauvais côté de ce régime est la routine, l’absence de progrès.
La famille-souche se maintient à travers les âges comme la famille patriarcale, mais elle a plus de souplesse et se prête mieux au perfectionnement. Elle a, comme la famille patriarcale, un double
élément de stabilité et de perpétuité : l’un matériel, le foyer; l’autre moral, la tradition. L’intérêt que la famille-souche considère comme majeur, qu’elle place avant tous les autres, c’est la conservation du bien patrimonial transmis par les aïeux. La famille est semblable à une ruche, de nouveaux essaims y naissent et en partent, mais la ruche ne doit pas périr.


Pour la maintenir, les parents, à chaque génération, associent à leur autorité celui de leurs enfants qu’ils jugent le plus apte à travailler de
concert avec eux, puis à continuer après leur mort l’œuvre de la famille : la culture du domaine familial ou la marche de l’industrie. Cet enfant n’est pas de droit l’aîné, il l’est presque toujours de fait. L’aîné semble désigné par la Providence, il est plutôt prêt à donner son concours au père, il peut mieux veiller à l’éducation de ses frères et sœurs. Il se prépare de bonne heure aux obligations qui lui sont en quelque sorte imposées par la volonté divine.

A l’époque de son mariage, il est institué héritier du foyer et du domaine ou de l’atelier; ou plutôt il en est constitué le dépositaire pour le transmettre, après l’avoir fait valoir, à la génération suivante. En Provence, il est appelé le soutien de la maison. Cette qualité lui impose les charges de chef de la famille. Il a l’obligation d’élever les plus jeunes enfants, de leur donner une éducation en rapport avec la condition de la famille, de les doter et de les établir avec l’épargne réalisée d’année en année par le travail de tous.

On n’est pas digne de gouverner les hommes, dit M. de Bonald, lorsqu’on ne sent pas l’influence sur les habitudes d’un peuple, c’est à- dire, sur ses vertus, d’une loi qui, constituant chaque famille comme la société elle-même, y établit on quelque sorte la royauté par le droit d’aînesse, l’indivisibilité et presque l’inaliénabilité du patrimoine par la nécessité de convenance où sont les frères de prendre en argent leur portion légitimaire, et de laisser dans la maison paternelle l’intégrité des possessions.

Cette maison a été la demeure de mes pères, elle sera le berceau de mes descendants. Là, j’ai vu la vieillesse sourire à mes premiers travaux,
et je verrai moi-même l’enfance essayer ses forces naissantes. Ces champs ont été cultivés par mes pères, je les cultive moi-même pour mes enfants. Des souvenirs aussi chers, des sentiments aussi doux se lient au goût le plus puissant sur le cœur de l’homme, le goût de la propriété, et fait le bonheur de l’homme en assurant le repos de la société; je dis plus, elles assurent la perpétuité.

Dans les pays où, par l’égalité des partages, la loi force les enfants de vendre tout ce qui pourrait leur rappeler leurs pères, il n’y a jamais de famille; je dirai plus, il n’y a jamais de société, parce qu’à chaque génération la société finit et recommence.

Là, aucun des enfants, n’a intérêt à rester auprès de ses parents pour travailler gratuitement à améliorer un bien dont les frères, à la mort du père, retireront autant que lui. Les enfants, à mesure qu’ils sont en âge de travailler, quittent la maison paternelle pour aller chercher de forts salaires dans d’autres exploitations agricoles ou dans les établissements d’industrie.


Les parents cependant avancent en âge et bientôt la vieillesse ou les infirmités ne leur permettent plus de cultiver leur bien. Ils le vendent pièce à pièce à mesure de leurs besoins, ou le laissent dépérir; et dès qu’ils ne sont plus, les enfants viennent partager ce qui reste, maudissent quelquefois leur père de ce qu’il a ébréché leur patrimoine, ou trop souvent plaident entre eux pour ce partage; et les cœurs restent encore plus divisés que les propriétés ne sont morcelées.

Et la mère, si elle survit à son époux, la mère, seule autorité que reconnaisse l’enfance et que respecte encore la jeunesse, que deviendra t-elle? Veuve de son mari, veuve de ses enfants, qui, sans point de ralliement, s’en vont chacun de leur côté, elle voit vendre la couche nuptiale, le berceau où elle avait allaité ses enfants, la maison pour laquelle elle avait quitté la maison paternelle et où elle avait cru finir ses jours; elle reste isolée, sans considération et sans dignité, abandonnée à la fois et de sa famille à qui elle avait donné le jour, et de celle où elle l’avait reçu.


Et les puînés ont-ils à se féliciter autant qu’on le croit de l’égalité des partages? Sans doute, dans quelques familles opulentes et peu nombreuses, les premières parts sont plus fortes; mais chaque enfant veut faire une famille; et ce bien divisé d’abord en petit nombre, se divise de nouveau entre un plus grand, et tôt ou tard ce morcellement croît en raison géométrique.

Chez les petits propriétaires, ce mal se fait sentir à la première génération; chacun cependant reste attaché à sa petite fraction de propriété, se tourmente et s’exténue lui-même pour en tirer une chétive subsistance qu’il aurait gagnée avec moins de peine et plus de profit dans une autre profession.

L’égalité des partages porte un coup mortel à la propriété. Quel intérêt peut mettre le propriétaire à l’acquisition et à l’amélioration d’une propriété qui lui donne tant d’embarras pendant sa vie, et qui doit, à sa mort, disparaître en fractions imperceptibles et aller grossir le patrimoine d’une famille étrangère? Comment oserait- il se livrer à des spéculations d’amélioration qu’il peut ne pas achever cl que personne après lui ne continuera ?


Dans la famille solidement établie sur le sol, ou sur l’usine, ou sur la maison de commerce, les garanties de prospérité se fortifient à mesure que s’accroît le nombre des enfants, car ils ont des aptitudes et des qualités différentes et tous travaillent au bien commun.

Quelques adultes restent au foyer paternel. Les filles qui ne se marient point sont la providence des enfants, le soulagement des infirmes, des malades et des vieillards, la joie du foyer, les gardiennes des bonnes œuvres et des saines traditions.


De loin en loin, un rejeton doué d’aptitudes supérieures s’élève par ses talents et ses vertus au-dessus du rang occupé par la famille, soit dans le clergé, soit dans la magistrature, soit dans l’armée. Tous, les plus illustres comme les plus humbles, se plaisent à honorer la maison souche;
ils y reviennent à certains anniversaires, même des lieux les plus éloignés.

Par là, ils signalent l’éducation morale qu’ils ont reçue au foyer paternel comme étant la cause de leurs succès; et ils montrent à leurs descendants la
source des traditions d’honneur et de vertu au quelles les familles ainsi essaimées devront, elles aussi, la prospérité.

Cicéron parlant d’Arpinium dit :

« Ici est ma vraie patrie et celle de mon frère Quinlus; ici nous sommes nés d’une très ancienne famille; ici sont nos sacrifices, nos parents, de nombreux monuments de nos aïeux. Vous voyez cette maison, je suis né en ce lieu. Aussi je ne sais quel charme s’y trouve qui touche mon cœur et mes sens »

Extrait de L’esprit familial de Mgr Delassus :

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