Qu’est ce que le Kantisme ?

Emmanuel Kant est un philosophe allemand né le 22 avril 1724 et mort le 12 février 1804 à Königsberg, en Prusse-Orientale. Fondateur de l’idéalisme transcendantal et grand penseur des Lumières allemandes.

Kant établit que toute connaissance requiert d’une part, la sensibilité, comme faculté de recevoir des représentations et donc d’être affecté par les objets du monde extérieur; d’autre part, l’entendement, comme faculté de former des concepts et de les appliquer à ces intuitions.

Citation sur sa doctrine :


« Le kantisme est l’hérésie moderne. »

Pape saint Pie X (9 mars 1907)

Elie Blanc, Histoire de la philosophie (Tome II. Pages 254-255)


« Ensuite il n’est pas permis de placer les jugements avant les idées, pour déduire celles-ci de ceux-là. L’idée est si bien antérieure, de sa nature, au jugement, que les douze sortes de jugements déterminés par Kant se groupent sous les quatre idées de quantité, qualité, relation et modalité. Mais ces idées ne sont point les premières. On peut remarquer, en effet, qu’elles sont des idées d’accident ou de mode ; or, antérieurement à l’accident et au mode, il y a la substance et l’être même. Il n’y a pas d’idée antérieure à celle d’être, et néanmoins Kant ne la classe point ; il énumère, il est vrai, l’existence, qui est l’être en tant qu’être, et à cet égard pourrait être regardée comme la première idée, mais il la ramène à la modalité. Kant, en cherchant à faire dériver les catégories des jugements, a donné à celles-ci une forme subjective, qui ne répond plus directement à la réalité des choses. On s’explique d’autant mieux qu’il ait nié l’objectivité des catégories et partant la possibilité de connaître les essences des choses ou noumènes. Mais son scepticisme fait violence au langage même.


Pourquoi, par exemple, ne pas signaler les idées d’un et de plusieurs, de tout, d’être et de néant, de possible, etc. ? Certes, nous concevons l’un avant de concevoir l’unité, et ainsi du reste ; le langage et la conscience témoignent clairement de cet ordre et de cette origine de nos idées. Mais en préférant la forme logique et réfléchie, Kant protège mieux son scepticisme. Il ne réussit pas cependant à le justifier. Sans doute la forme réfléchie ou logique n’est que dans l’esprit ; mais, comme elle communique avec le concept direct dont elle est née, elle reste objective indirectement. Kant n’est donc pas fondé à soutenir que ses catégories sont privées de toute objectivité et qu’elles tiennent uniquement à la nature de l’esprit, auquel elles permettent de classer les objets de l’expérience sensible. L’esprit a beau s’envelopper dans ses propres pensées, il communique toujours avec la réalité des choses : il peut nier, mais il ne peut ignorer tout à fait l’objet même de ses négations. Bref, quoique prétende Kant, la raison pure connaît autre chose que les catégories ; elle connaît ce qu’elles expriment : quelque chose de l’essence des êtres, elle atteint les noumènes par delà les phénomènes. »

Kyrie Eleison N°791 (10 septembre 2022)


« En un seul article de sa Summa Theologiæ pleine de bon sens (Ia, q. 85, a.2), saint Thomas d’Aquin réfute, avec quelque 500 ans d’avance, les imbécillités de Kant et de ses nombreux disciples dans les temps modernes, à savoir que notre esprit humain ne peut connaître que les apparences des choses qui nous entourent. Car selon Kant, nous, les êtres humains, ne pouvons pas connaître la réalité des choses telles qu’elles sont réellement au-delà de leurs apparences. La chose, telle qu’elle est en elle-même (en allemand « das Ding an sich ») est absolument inconnaissable par nous. Si tel est le cas, nous pouvons nous demander comment nous pouvons même savoir qu’il existe un « Ding an sich » derrière les apparences des choses. En conséquence, les disciples de Kant n’ont plus porté aucune attention à une soi-disant réalité en soi, ou réalité extra-mentale. Résultat : la « philosophie » moderne a fait ses valises pour « Alice au Pays des Merveilles », rejoint l’ensorcelant sourire du chat du Cheshire encore dans l’arbre après la disparition du chat. Au revoir, la réalité. Bienvenue à toutes les fantaisies imaginables !
Saint Thomas a deux arguments de bon sens pour faire tomber ce misérable Kant de son piédestal.  Je vois par exemple un cheval dans un pré. Physiquement, le cheval n’est évidemment pas dans ma tête, mais seulement une certaine représentation du cheval. Maintenant, problème :
1) cette représentation du cheval par laquelle je connais le cheval est-elle comme une fenêtre ouverte sur le cheval de sorte que je connaisse le cheval lui-même ; ou
2) cette représentation est-elle elle-même ce que je connais, comme une peinture du cheval qui dépeint le cheval mais ne me donne aucune vue sur le cheval lui-même ?
Pour Saint Thomas, les représentations dans notre esprit sont comme des fenêtres sur la réalité extérieure à notre esprit. Pour Kant, elles sont comme des peintures derrière ou au-delà desquelles nous ne pouvons rien voir. Pour l’Aquinate, elles sont ce par quoi nous connaissons ; pour Kant, elles sont ce que nous connaissons.


Premier argument de Saint Thomas : si nous ne connaissons, pour ainsi dire, que le sourire du chat et pas le chat lui-même, alors comment pouvons-nous avoir une quelconque connaissance des chats ou de toute réalité extra-mentale ? Il n’existe plus de science ni de connaissance de la réalité extérieure à notre esprit. Et si nous ne connaissons rien en dehors de notre esprit, mais seulement nos propres représentations à l’intérieur de notre esprit, alors c’est la fin de toute connaissance de la réalité, et la fin de toute science. Évidence ! Plus d’un « savant » contemporain finit par perdre prise sur la réalité de sa propre « science », parce qu’à l’instar de la quasi-totalité du monde actuel, il a laissé le kantisme lui faire perdre la tête.


Second argument : si nous ne connaissions que les représentations de notre esprit, alors toutes ces représentations seraient vraies, car la vérité consiste en la conformité de notre esprit à la réalité qui lui est extérieure. Or si nous ne pouvions rien savoir au-delà de nos propres représentations, nous n’aurions aucun accès à une quelconque réalité extérieure pour pouvoir dire si nos représentations lui sont conformes ou non. Ainsi, tous les jugements de notre esprit basés sur nos propres représentations deviendraient vrais, car ils seraient conformes à eux-mêmes. Ainsi, Paul pourrait juger que le miel est amer tandis que Pierre pourrait juger qu’il est doux, et tous deux auraient raison ! Ni l’un ni l’autre n’aurait accès à une réalité objective autre que les représentations que chacun s’en fait, pour trancher le conflit de leurs opinions contradictoires. Exit la loi de non-contradiction. Exit la possibilité d’une discussion. Exit toute pensée objective. Entre en scène la « philosophie » moderne.
Saint Thomas est objectif par-dessus tout. Dans le même Article, il poursuit en expliquant que dans la vie réelle, la forme même de l’objet extérieur à notre esprit :
1) donne à cet objet son existence, et
2) in-forme également notre esprit, c’est-à-dire procure l’existence même de nos pensées à notre esprit.
En d’autres termes, non seulement nos esprits sont capables de saisir la réalité extra-mentale ;

mais encore, ils sont totalement incapables de fonctionner sans elle (du moins à l’origine de leur pensée). Par conséquent, la base même de la pensée humaine doit être objective, et cette base (pour autant qu’elle soit connaissable) peut être invoquée pour régler tout conflit d’opinions subjectives. Et, inscrite dans la réalité objective, la loi de non-contradiction – rien ne peut être et ne pas être en même temps et sous le même rapport – est également la base de notre pensée. Nos représentations de la réalité sont donc bien des fenêtres qui ouvrent fidèlement sur la réalité extérieure à notre esprit, et non des peintures qui bouchent la vue sur toute réalité située au-delà ou derrière elles, comme le prétend l’abominable Kant, qui s’est entêté jusqu’à la ruine de toute prise sur la réalité, et de toute pensée objective. »


« Pour Kant, le principe de causalité et cette proposition : le monde doit avoir un premier principe, sont des jugements synthétiques a priori, par conséquent de pures créations de notre Intelligence, sans aucune valeur objective. Tout son système repose, en définitive, sur une pétition de principe et sur une contradiction. Le bel auxiliaire qu’on nous propose là ! En écartant les données du bon sens et le témoignage de la conscience humaine, le philosophe de Kœnigsberg s’est placé en dehors de l’humanité. Nous demandons qu’on veuille bien l’y laisser. »

Chanoine Marchand, La critique du libéralisme (Tome IX)

Paul Janet, Les maîtres de la pensée moderne


« Que l’on réfléchisse un instant sur ce qu’il y a d’étrange dans l’hypothèse de Kant. Selon cette hypothèse, c’est l’esprit humain qui prête à la nature, par son concours avec elle, tout ce qu’elle nous offre de rationnel, d’intelligible, d’harmonieux et de régulier. La nature, dépouillée de ce que l’esprit humain lui attribue, n’est qu’une multitude de phénomènes indéterminés et désordonnés, une matière sans forme, quelque chose de semblable à ce que les anciens poètes appellent le chaos. La raison, d’après Kant, joue à l’égard de la nature à peu près le même rôle que l’artiste divin remplit à l’égard du monde dans le système de Platon. La raison est le véritable démiurge, la suprême organisatrice de l’univers. Il faut bien se garder de confondre le scepticisme de Kant avec l’ancien pyrrhonisme qui ne laissait rien debout, ni au dedans, ni au dehors de nous-mêmes, que la conscience de nos sensations. Kant, instruit par le grand exemple des sciences, reconnaît que la pensée, soit sous une forme purement subjective (comme dans la logique et les mathématiques), soit appliquée à la nature (comme dans les sciences physiques et naturelles), forme un tout systématique et lié.

C’est de la réunion de la pensée avec les phénomènes que résulte le cosmos avec ses merveilleuses harmonies. Si l’on songe, en effet, que l’espace, dans lequel les phénomènes sont contenus, le temps, dans lequel ils se succèdent, les rapports de cause et d’effet, d’action et de réaction, par lesquels nous les enchaînons, les idées d’unité et de pluralité qui nous servent à les classer et à les distribuer, enfin que tout ce qui sert à lier les phénomènes vient de notre esprit, et non des choses elles-mêmes, on conviendra que, selon Kant, c’est l’esprit qui est le vrai créateur de la nature. Je demande alors quel est l’avantage d’une telle hypothèse. Pourquoi supposerais-je que c’est l’entendement qui apporte à la nature ce qui la rend intelligible et capable d’être connue scientifiquement, au lieu de dire tout simplement que la nature est intelligible en elle-même, qu’en elle-même elle forme un tout rationnel et intelligible ? La constance, le développement des phénomènes suivant des lois, l’enchaînement, la liaison, la hiérarchie de ces lois, la combinaison des causes et des effets (je ne parle même pas des rapports de finalité, de convenance et d’harmonie), toutes ces conditions qui seules rendent possible une science de la nature, nous apparaissent en même temps comme les conditions de l’ordre des choses.

Quelle facilité et quel avantage trouve-t-on à concevoir que l’entendement porte en soi et produit spontanément ce système et qu’il l’applique à la nature au lieu de l’y découvrir ? Plus j’étudie la nature, plus se confirme en moi la pensée qu’elle forme un tout raisonnable. Jamais les idées qui me servent à la comprendre ne se sont trouvées démenties : autrement il n’y aurait point de science. Le champ des découvertes a beau s’étendre : tous les phénomènes viennent les uns après les autres, se coordonner dans le système général, et l’avenir même se plie à nos prévisions. Pourquoi donc supposerions-nous que tout cela est notre œuvre, et que nous sert-il, suivant la comparaison de Kant, de faire tourner la terre autour du soleil, au lieu de faire tourner, comme Ptolémée, le soleil autour de la terre ?

On remarquera d’ailleurs que cette hypothèse qui se présente en apparence comme modeste, puisqu’elle prétend ne pas vouloir se prononcer sur les choses telles qu’elles sont en soi, est au contraire passablement orgueilleuse, puisqu’elle consiste précisément à attribuer à l’esprit humain tout ce qu’il y a pour nous de plus grand et de plus merveilleux dans la nature elle-même.

Supposons cependant qu’on admette cette hypothèse, afin d’éviter les embarras qui pourraient naître de l’hypothèse opposée ; croit-on avoir par là coupé court à toute difficulté, refréné à tout jamais la curiosité humaine, assuré à l’esprit humain cette tranquillité, cette ataraxie, suivant l’expression des pyrrhoniens, à laquelle ont toujours prétendu les sceptiques de tous les temps ? C’est ici que Kant nous paraît avoir été sous le prestige de cette illusion, commune à tous les inventeurs de systèmes, qui consiste à croire que tous les esprits pourront s’arrêter là où l’on s’est arrêté soi-même, et se satisfaire de ce qui nous a satisfaits. Embarrassé du monde objectif, Kant a pensé que la résolution de toutes difficultés était de subjectiver toutes choses. Quand il avait fait passer un problème de l’objectif au subjectif, il croyait avoir tout fait, et il ne paraissait pas soupçonner que le subjectif à son tour ne pouvait se suffire à lui-même, qu’il y avait là un monde nouveau d’obscurités et de difficultés.

On explique le dehors par le dedans, la nature par l’esprit, l’objet par le sujet. Fort bien ; mais le sujet lui-même, comment l ‘explique-t-on ? Dans ce sujet, il y a des formes « a priori » de la sensibilité, des catégories de l’entendement, des idées pures de la raison, et tout cela forme un système si bien lié que c’est grâce à lui que l’esprit pense la nature, et au delà de la nature un monde intelligible, dont on ne peut pas nier au moins la possibilité. Je le demande, d’où viennent ces formes d’ »a priori », ces catégories, ces idées ? D’où vient cet entendement qui juge tout et qui crée tout ? N’est-il pas lui-même le plus étonnant des miracles ?

Cette conception d’un monde supra-sensible, d’une nature soumise à un ordre rationnel, a beau être subjective : encore faut-il nous l’expliquer. À propos de quoi, en vertu de quoi, par quel pouvoir, par quel privilège l’esprit pense-t-il, et qu’est-ce que la pensée ? On dira que cette question implique un cercle vicieux, que c’est en vertu des lois de la pensée que nous demandons la cause et le pourquoi de quelque chose ; que, recueillis une fois dans l’enceinte de la pensée, il n’y a plus à demander pourquoi, et par conséquent qu’il n’y a pas à se demander pourquoi l’homme pense, car ce serait supposer quelque chose d’antérieur à la pensée, quelque chose qui expliquerait la pensée, tandis que la pensée explique tout.

Cependant, qui ne voit que répondre ainsi, c’est précisément poser la pensée comme quelque chose d’absolu, comme quelque chose en soi ? C’est en faire le principe des choses ; c’est, en un mot, passer, comme l’ont fait Fichte et Schelling, de l’idéalisme subjectif à l’idéalisme absolu.


Veut-on au contraire rester dans les limites mêmes de l’idéalisme de Kant, voici encore des abîmes de difficultés. Pour concevoir quelque chose de subjectif, ne faut-il pas qu’il y ait un sujet ? Or, dans la doctrine de Kant, il n’y a pas plus de sujet que d’objet. Ces formes pures et ces idées « a priori » planent dans le vide, sans qu’on puisse savoir à qui les attacher. Je comprends très bien, dans une doctrine où l’on admettrait, comme Descartes, une substance pensante, que cette substance se construise à elle-même l’univers d’après certains concepts innés ; mais, dans le système de Kant, il n’y a pas de chose pensante : à qui appartiennent donc ces concepts ? En qui résident-ils ? Ils sont « a priori » ; mais qui donc les possède « a priori » ? Qui en fait l’application à la nature?


Ne dites pas que c’est l’esprit humain, car c’est là un mot vague et peu philosophique. Qu’est-ce que l’esprit humain? Ce n’est pas une substance, car la notion de substance est elle-même une notion formelle et subjective dont nous nous servons pour constituer l’unité apparente des choses, sans que rien lui réponde dans la réalité. Est-ce le moi ? Non, car l’idée du moi, comme celle de la substance, n’est encore, selon Kant, qu’une forme subjective.

Enfin l’esprit humain n’est pas même, comme le définissait Condillac, une succession de phénomènes, puis-que l’idée de succession est l’application de l’idée de temps aux phénomènes intérieurs, et l’idée de temps, comme toutes les autres, n’est qu’une forme qui ne représente aucune chose en soi. Il est donc impossible de se faire aucune idée claire de ce qu’est le sujet pensant dans la doctrine de Kant, et lorsque nous disons que c’est le sujet qui produit des concepts d’ »a priori », nous ne savons en réalité ce que nous disons. Si l’on réfléchit ensuite à la ténuité de ce sujet phénoménal, qui n’est qu’une ombre, ne trouve-t-on pas aisément que ce vaste système de concepts et d’idées qui s’appelle la raison pure, qui contient en soi en puissance la nature tout entière, est d’un ordre bien plus élevé et d’une bien autre importance que le sujet lui-même ?

Cette raison pure, qui donne au sujet l’unité, la liaison dans le temps, la conscience même, est vraiment la cause et le principe du sujet, au lieu d’en être l’effet et l’attribut. Possédant comme caractère essentiel la nécessité et l’universalité, portant partout avec elle dans la nature et dans le moi l’ordre, la liaison systématique, la vérité, que lui manque-t-il pour être la raison absolue, principe commun de l’objectif et du subjectif, de la nature et de l’esprit ?


Lorsque Kant parle de la raison, il est manifeste qu’il entend parler de la raison humaine en général, de celle des autres hommes aussi bien que de la mienne ; mais alors il y a donc quelque chose en dehors de moi, il y a des pensées, des êtres pensants. Ces êtres pensants ont un entendement constitué comme le mien, des lois intellectuelles semblables aux miennes.

Dans tous les hommes, il y a des formes d’ »a priori », des catégories, des idées pures, et ce sont les mêmes. De là on peut conclure que tout n’est pas subjectif : il y a, outre ma raison individuelle, une raison humaine en général, raison qui m’a précédé, qui me survivra, et qui s’étend bien au delà de ma propre personne. Ainsi le domaine du subjectif s’étend considérablement et dépasse de beaucoup les limites de la conscience individuelle.

Bien plus, la raison, une fois sortie de ces limites et devenant la raison humaine en général, qui m’empêche de concevoir cette raison comme plus générale encore, et embrassant non seulement tous les hommes, mais encore tous les autres pensants ? Sans doute, cette raison serait toujours subjective, ce serait toujours à son propre point de vue qu’elle considérerait l’univers ; mais qui ne voit qu’à mesure que cette raison grandit, s’étend, se généralise, il devient de moins en moins nécessaire de supposer un monde en soi par derrière les phénomènes ; car alors la raison absolue est le monde en soi lui- même ! Elle est l’archétype du monde ; elle le crée en le pensant : et voilà encore une fois l’idéalisme absolu qui sort de l’idéalisme subjectif. »

Cardinal Mercier, Critériologie générale


« Kant ne s’est point préoccupé de tracer les caractères distinctifs des sens et de l’intelligence, ni la délimitation de leurs domaines respectifs ; il en est résulte une perpétuelle confusion de la sensation, de la perception sensible et de la notion abstraite.


D’une part, Kant oppose l’intuition sensible à la connaissance conceptuelle de l’entendement ; il semble donc que l’intuition doive avoir un objet d’intuition, le concept de l’entendement un objet de conception. Or, d’autre part, Kant déclare et répète qu’une intuition, sans concept, est aveugle ; que le concept, faute d’intuition, serait vide.


La logique du système le veut ainsi : il faut que les objets soient le fruit de l’entendement, afin que le monde objectif dépende de la constitution et de la loi d’activité du sujet. Mais, alors, qu’est-ce donc que cette intuition qui n’est plus une simple affection passive, et qui cependant n’est point, à elle seule, une connaissance d’objet ?


La nature de l’objet de la connaissance est très obscure dans l’idéologie kantienne. Cet objet n’est pas, en effet, l’objet perçu intuitivement ; car l’intuition n’est pas le concept. Il y a donc, outre l’intuition, une sorte d’objet absolu, qui est l’objet propre de l’entendement, qui s’ajoute aux intuitions, et a la vertu de les transformer en expérience ! Qu’est cet inimaginable objet?


Il n’est pas directement représentable, mais par le moyen des catégories il s’additionne aux intuitions et devient objet de connaissance. Quelle est donc la vraie nature des catégories qui apparaissent tantôt comme la condition de la représentation intuitive, tantôt comme la fonction de la simple pensée abstraite?


Ces obscurités recouvrent vraisemblablement plus d’une contradiction. Mais il en est de plus saillantes à la base même et au cœur du système.


Le système veut que la « chose en soi » nous échappe. Mais ces impressions passives de la sensibilité qui « nous sont données » ; ces formes a priori, intuitions pures, catégories, idées, tous ces rouages compliqués nécessaires au mécanisme de la connaissance, ne sont-ils pas des « choses en soi » ?


L’opposition établie par Kant entre les choses en soi et ces choses telles qu’elles nous apparaissent, entre les noumènes et les phénomènes, est contradictoire en soi. Car enfin, pourrait-on dire à Kant, ou le noumène existe ou il n’existe pas : s’il n’existe pas toute voire théorie, fondée sur la réalité supposée d’un noumène en rapport avec le phénomène, est radicalement fausse ; et, s’il existe, elle est sans doute vraie en soi, mais, comme nous ne pouvons savoir s’il existe en effet, c’est là une de ces vérités qu’il est à jamais impossible de distinguer de leurs contraires.


Le monde extérieur est inattingible, attendu que nous n’avons pour matériaux de connaissances que nos affections subjectives : à ce stade, le criticisme est idéaliste, au sens rigoureux du mot : il nie la cognoscibilité certaine des existences et laisse place seulement à la cognoscibililé des essences idéales.
L’objet de la connaissance n’est pas la réalité de nos affections subjectives abstraite et généralisée, c’est une fiction créée par les catégories, quoique dépendamment des intuitions : à ce stade, le criticisme devient du subjectivisme phénoméniste : il nie, en effet, jusqu’à la possibilité (le connaître les essences idéales en elles-mêmes, et ne laisse place qu’à la cognoscibilité des divers modes de l’activité mentale.
Il y a un manque de logique évident entre ces deux étapes de la Critique de la raison pure.


Il y a aussi manque de logique dans les conclusions: En effet, le subjectivisme phénoméniste enveloppe logiquement toute l’étendue du connaissable ; or, Kant voulait le restreindre au domaine métaphysique et lui soustraire celui de l’expérience. Kant demeure donc sceptique, on dira plus tard agnostique, relativement au réel inexpérimentable ; mais il redevient dogmatique, nous dirions positiviste, relativement aux choses d’expérience.


Indéniable incohérence ! Si je ne connais que le mode d’apparition des objets à ma pensée, le phénomène, le réel empirique m’échappe aussi bien que le réel métempirique.


Si, au contraire, le réel empirique n’est pas en dehors des prises de ma connaissance, rien ne m’empêche de passer de la certitude des noumènes d’expérience à la certitude des noumènes métaphysiques qui seraient, par hypothèse, la condition nécessaire de l’existence des premiers. »

Abbé de Nantes, CRC n° 158 (Octobre 1980)


« Kant était professeur, et fort ignorant. C’est le pire fléau dans un monde civilisé. Il ignorait tout de la philosophie du sens commun, d’Aristote et de sa théorie de l’abstraction. Un beau jour, il s’occupa donc de donner aux sciences un fondement sûr. En prenant les choses révolutionnairement, non plus par le gros bout de la lorgnette, qui est la vue du monde et de la nature des choses, mais par le petit bout, qui est celui de la pensée de l’homme et de ses idées a priori. On devine le gâchis, le désastre immense, irréparable !


1. LA SCIENCE


Toute science est certaine, dogmatise le professeur de Kœnigsberg. Or le monde visible ne peut fournir que des phénomènes singuliers et contingents… Voilà deux affirmations aussi discutables que péremptoires. DONC l’universalité et la nécessité de la science ne lui viennent pas des choses mais de l’esprit. Ses idées ne viennent DONC à l’homme que de lui-même, au contact des phénomènes fluents dont la nature profonde lui demeure insaisissable, inconnaissable, si même elle existe !De cette absurde « critique transcendantale », restera aux Européens moderne l’idée-force, l’axiome, ou plutôt le préjugé, que leur science est le reflet de leur propre intelligence et non pas celui des choses… et de Dieu.
Kant se battra les flancs pendant neuf ans pour trouver dans l’esprit humain ces fameuses « catégories a priori de l’entendement » qui lui viendraient spontanément pour se dire à lui-même le monde extérieur. Et le misérable tableau qu’enfin il en propose est si ridicule qu’il n’a été retenu par aucun de ses disciples ! En fait, il triche. Tous ses disciples, Hegel, Fichte, Marx… tricheront à leur tour, en allant quêter leurs idées dans la nature : sans observation pas d’idées, sans laboratoire pas de science ! Mais au moment qu’il leur plaira, ils invoqueront gravement le criticisme du Maître pour se donner comme les inventeurs, les créateurs de leurs systèmes, les seigneurs de leur propre science. Premier désordre.


2. LA MÉTAPHYSIQUE


Du monde visible nous ne connaissons, déclare Kant, que sa surface mouvante et confuse, informe et vide, ce qui apparaît aux sens corporels, les phénomènes. Le fond des choses, s’il existe, nous échappe totalement. Pour ce réel inconnu, Kant invente le mot barbare de « noumène » qui dirait plutôt le contraire de ce qu’il doit signifier : c’est la réalité en ce qu’elle a de plus étrangère à l’esprit !
Or la métaphysique millénaire prétendait réfléchir sur cet être profond, remonter à ses causes et découvrir ses raisons ultimes : le monde, les âmes, Dieu. Mais voilà qui est impossible après Kant, puisque la raison ne peut rien connaître au-delà des phénomènes. Tel est l’axiome que tous les philosophes européens atteints de la peste kantiste répéteront sans jamais le discuter. DONC tout raisonnement qui dépasse les limites du domaine sensible est nul. Il n’est ni vrai ni faux, il est nul. Ainsi, dogmatiquement, toute philosophie, toute métaphysique, toute théologie sombre dans le discrédit total. Et alors la philosophie va devenir le domaine du sentiment, du rêve, de l’illusion libérée de toute contrainte objective ou rationnelle. Deuxième désordre.


3. LA MORALE


Faute de connaître la nature des êtres, il ne devrait plus exister ni techniques, ni arts, ni morale. Hypocrite, le kantisme maintient cependant pour son confort quotidien la valeur des techniques et des arts. Mais de la morale naturelle, non ! Elle n’a aucun fondement « nouménal », elle a DONC perdu toute consistance, toute réalité.


Emmanuel Kant cependant, piétiste et disciple fervent de Jean-Jacques Rousseau, découvre à la morale une source plus sûre, un fondement plus certain, c’est la conscience, c’est son idée claire et distincte du bien et du mal, c’est son sentiment absolu du devoir ! Tels seront ces fameux « principes de la raison pratique » que des générations d’Européens, protestants ou assimilés, tiendront du philosophe de Kœnigsberg comme un nouveau décalogue. Succession de règles sèches, universelles, impraticables, dont on ne fait rien, dont on fait ce qu’on veut.


C’est en réfléchissant ainsi sur soi-même que chacun est censé se refaire une croyance à base de sentiment moral, retrouver un sens à la vie, une raison au monde, un législateur originel et un juge à venir, un dieu, des âmes immortelles, une sorte de paradis pour soi, et pour les autres un enfer. L’ordre du monde, la loi des consciences, la vie spirituelle et Dieu sont DONC des postulats de la conscience, affirmés à l’aveugle par le sentiment auguste du devoir et le respect de soi !De même que l’homme ne peut trouver de principe de sa science qu’en lui-même, il ne doit trouver de principe de sa conduite que dans sa conscience. Il paraît que c’est là le plus sûr.


Mais qu’on note bien ceci. La science kantienne est une sécrétion de l’entendement et, toute voisine, la morale est une sécrétion semblable de la conscience. Un jour viendra où la cloison qui les sépare tombera, la science se fera sentiment, la conscience passera pour science, les idées et les instincts se mêleront en un magma confus, jaillissement de feu et de fumée. Telle est bien la gnose scientifique. Troisième désordre.


4. L’EXPÉRIENCE SENSIBLE


Restait cependant, incontestable, indéformable, l’expérience sensible. Non, il ne fallait pas qu’elle sorte indemne de ce grand dérangement universel ! Pour Kant, l’espace et le temps eux aussi viennent de l’homme, n’existent pas, ou du moins ne sauraient être affirmés des choses elles-mêmes. Ce sont de nos a priori, non des réalités absolues, en soi, comme pensait Spinoza, et non des qualités inhérentes aux êtres corporels, comme expliquait Aristote. C’est donc l’homme qui encadre les phénomènes dans ses instruments, l’espace et le temps, « catégories a priori de la sensibilité ». Hors de ses prises, les phénomènes n’ont ni lieu ni dimension, ni durée ni date, et les « noumènes » moins encore.
Qu’en résultera-t-il ? Une tendance inévitable des savants et des philosophes à nier toute objectivité au temps et à l’espace, pour n’y voir que des suppositions de l’esprit humain, utiles à sa perception des phénomènes, à leur mesure, à leur classement. Ils n’auront de cesse, on l’aurait parié ! qu’ils n’aient par quelque artifice de calcul réussi à déformer l’espace, à le courber, à en réduire ou en multiplier les dimensions. Et de même, à contracter le temps ou le dilater, en attendant de l’inverser comme s’il n’était pas, de soi, orienté et non réversible. Ainsi auront-ils achevé la déstructuration du réel que Dieu leur donne à connaître et à admirer, préférant se complaire dans leurs reconstructions imaginaires et les jeux de leurs esprits. Ultime désordre. »

Louis Le Carpentier, (Catholique et fasciste toujours)

« Petite erreur dans les principes, grande erreur dans les applications » nous dit l’Aquinate ; si cela est vrai en théologie et en philosophie, cela l’est a fortiori en politique : nous allons en avoir la preuve.


Commençons par le subjectivisme de Kant, qui est le premier fondement du démocratisme moderne. Voici (très brièvement) résumée l’épistémologie kantienne : le passage du « phénomène » au « noumène » (c’est-à-dire du sensible à l’intelligible) est rigoureusement impossible, le noumène étant au delà de l’expérience ; pourtant nous pensons à partir de concepts qui s’identifient à ces noumènes ; c’est donc que notre entendement possède des « catégories subjectives » , qui permettent de nous représenter ces noumènes, de nous en faire une idée.

Par-là, ce que la raison doit chercher à connaître, ce ne sont pas les catégories de l’être, mais ses propres catégories ; son objet n’est pas le réel mais la représentation, ou l’idée, qu’elle s’en fait (aucun rapport avec lui). Ainsi, le principe de la vérité n’est nullement le réel, mais la raison objective.

Et dans ces conditions, n’a logiquement de valeur morale que ce qui émane du sujet, et n’a de légitimité politique que ce qui provient de la volonté générale (ou volonté de la majorité) : la démocratie devient, en fin de compte, la seule forme de gouvernement authentiquement légitime.

Le problème de Kant est qu’il a méconnu le fonctionnement de la raison ; et plus précisément, il a ignoré le processus fondamental de la connaissance humaine, qui est le processus de l’abstraction – c’est-à-dire le passage de la connaissance sensible à la connaissance intellectuelle, de la perception du singulier à la conception de l’universel – ; en effet, c’est en voyant plusieurs tables que nous parvenons à en tirer ce qu’elles ont de commun ; de même, c’est en percevant des arbres que nous arrivons à en extraire la nature, l’essence. La première opération de l’esprit – à savoir la simple appréhension des quiddités – se réalise grâce à l’abstraction. Le fondement de la démocratie moderne, à savoir le subjectivisme kantien, est donc philosophiquement irrecevable. »

Source : https://breviairedecombat.wordpress.com/kantisme/

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