CONNAÎTRE LA PENSÉE PHILOSOPHIQUE DE SAINT THOMAS D’AQUIN – Louis JUGNET

Qu’on ne s’attende pas à trouver ici une histoire, même sommaire, de la philosophie médiévale, si bien étudiée par des spécialistes comme Gilson et Maurice de Wulf. D’abord, parce que notre but n’est pas de faire oeuvre historique, mais bien de dégager la signification essentielle et la valeur perdurable de la pensée thomiste, non de nous asservir à des contingences chronologiques.

Ensuite, parce qu’il s’en faut de beaucoup que pensée médiévale soit synonyme de thomisme, et même de scolastique. Nous nous proposons simplement dans le présent chapitre de dissiper des confusions trop répandues, et de donner une idée générale, à la fois sommaire et précise, de la naissance du thomisme. C’est pourquoi nous ne dirons que le strict nécessaire des systèmes qui l’ont précédé, et rien de ceux qui l’ont suivi (scotisme, occamisme, etc.).


Disons tout d’abord que thomisme et scolastique ne sont nullement synonymes. Sans doute, à nos yeux, le thomisme représente la plus pure incarnation et la seule forme vraiment valable de pensée scolastique. Mais, enfin, il existe en dehors de lui d’autres courants qui font authentiquement partie de l’École (augustinisme franciscain, scotisme, suarézisme). Les rapports entre thomisme et scolastique sont ceux de la partie au tout, si l’on prend la question sur le plan purement descriptif et historique.


Ensuite, le thomisme n’est, pas plus que les autres grands systèmes scolastiques, « la philosophie du Moyen Age », et ceci pour deux motifs: d’abord, parce qu’au Moyen Age même, la scolastique, malgré sa prééminence en milieu occidental, a toujours eu à combattre des systèmes très opposés à elle par leur esprit et leur contenu, et entretient vis-à-vis de la pensée médiévale le même rapport de partie au tout qu’entretient le thomisme lui-même vis-à-vis des autres systèmes scolastiques; ensuite, parce que le thomisme (comme du reste le scotisme ou le suarézisme, mais plus fortement qu’eux) déborde le Moyen Age en durée, étant donné qu’il s’est incarné en de grands noms et en des oeuvres puissantes du XVI° au XVII°, voire XVIII° siècle comme le montrera un appendice consacré à l’histoire de l’école thomiste. Il faut tout ignorer de la culture médiévale pour la considérer comme un bloc monolithique, asservi à un
conformisme caporalisé, et supprimant les diversités les plus profondes.

Le Moyen Age, en13 dehors même des sectes non chrétiennes, juives ou musulmanes, dont la vitalité philosophique et théologique fut grande et dont l’influence s’exerça jusqu’en milieu chrétien, a connu des
formes doctrinales telles que le panthéisme, le dualisme de type manichéen, voire le matérialisme. Si nous y regardons de près, la chose est frappante. Ne découvre-t-on pas qu’en plein XIV° siècle, très exactement en 1351, un théologien fut déclaré nihiliste dans une dispute publique pour le doctorat…. Sans parler des mystiques orthodoxes, parfois réservés à l’égard de la spéculation scolastique, et des esprits de tournure scientifique plus ou moins hostiles à la métaphysique, comme Roger Bacon, savant et érudit, ou comme les docteurs de l’Université de Paris, dont les travaux en mécanique préparèrent les découvertes de la Renaissance.


Il serait long de faire la nomenclature des facteurs qui ont contribué à la formation de la scolastique prise dans son en semble. Déjà les Pères de l’Église et les écrivains ecclésiastiques des premiers siècles avaient tenté, parfois avec un certain succès et une réelle richesse de pensée, d’utiliser les ressources de la philosophie antique pour repousser les objections des païens et des hérétiques. Mais leurs tentatives restaient souvent fragmentaires, ou astreintes à des préoccupations apologétiques un peu strictes qui les empêchaient de construire un véritable système du monde, et surtout de reconnaître à la philosophie la spécificité qui lui convient. Les grandes invasions, la fin de l’Empire romain furent une catastrophe pour la
culture profane et religieuse.

Mais lentement celle-ci arriva à émerger, et ce fut le début de la scolastique, durant le Haut Moyen Age. Du milieu du VIII° siècle au milieu du XI° la scolastique se forme. Du XI° au XIII° siècle, elle s’organise. Au XIII° siècle, elle connaît son âge d’or.

Ensuite, c’est un lent déclin. Voyons les choses d’un peu plus près.
Dans la dernière partie du VIII° siècle, grâce à Charlemagne, l’enseignement s’organise, soutenu
par la fondation d’écoles parmi lesquelles il faut accorder une mention particulière à l’École palatine, d’Aix-la-Chapelle. Rappelons le nom d’Alcuin, grâce auquel de grandes choses furent possibles. En plus des écoles du Palais se multiplièrent les écoles monacales et épiscopales: Corbie, Reims, Auxerre, Cluny, etc. pour la France. D’où le nom de scolastique (schola).

On y commente les textes, c’est-à-dire ce qu’on connaît d’Aristote (assez peu de chose, et surtout
des écrits logiques) et des sources néo-platoniciennes en particulier. On y enseigne les arts libéraux (trivium et quadrivium) qui englobent l’ensemble de la culture profane (sans préjudice d’études proprement religieuses sur l’Écriture, les Pères, etc.). La philosophie est vis-à-vis de la théologie en un état d’indistinction complète, mais les controverses religieuses (sur la Trinité, la14 présence réelle dans l’Eucharistie, etc.) obligent les maîtres à approfondir les notions métaphysiques fondamentales (substance, nature, personne, etc.). Citons Raban Maur, Fridugise, et Jean Scot Erigène parmi ces premiers « écolâtres »: le dernier professe une doctrine d’inspiration néo-platonicienne qui échappe bien difficilement, malgré ses intentions et ses protestations, au reproche de panthéisme et prend place en fait dans les systèmes anti-scolastiques dont nous parlions plus haut.


Puis c’est la période des systèmes, où l’on prend conscience des problèmes philosophiques d’une façon plus distincte et plus explicite, avec la célèbre querelle des universaux (loin d’être périmé en son principe, ce problème porte au fond sur un des points essentiels de toute philosophie: la nature et la valeur du concept, ou idée générale, qui intéresse toute notre théorie de la connaissance). Notons d’ailleurs que les protagonistes de ces luttes n’aboutissent pas encore à dégager une solution vraiment satisfaisante (Guillaume de Champeaux, Roscelin, Abélard, Gilbert de la Porrée). N’oublions pas de signaler au passage l’importance d’Abélard qui, s’il ne fut pas le rationaliste destructeur que certains prétendent, fut néanmoins un esprit d’envergure et une belle intelligence spéculative. L’école dite de Saint-Victor, notamment Hugues, met l’accent sur la vie intérieure et l’élan mystique, sans rejeter pour cela la spéculation.

Mais, sans parler du catharisme albigeois, qui est somme toute une philosophie religieuse plutôt qu’une religion propre ment dite, et dont les notions-clefs s’opposent si radicalement au catholicisme qu’on ne peut qu’à peine le qualifier d’hérésie chrétienne (dualisme manichéen, etc.), certains auteurs sou tiennent en plein XIII° siècle un matérialisme d’inspiration épicurienne. Bernard de Tours et Amaury de Bènes professent le panthéisme. David de Dinant arrive à identifier Dieu et la matière….

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