Joseph de Maistre : le catholicisme contre la philosophie des Lumières – Marc Froidefont
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Agrégé de philosophie, Marc Froidefont est dirait-on une autorité reconnue quand il s’agit de Joseph de Maistre : ne voit-on pas ses analyses ici, sur un site sédévacantiste – duquel a priori je serais enclin à attendre les meilleures garanties d’orthodoxie catholique ?
… ou sur le site de l’Institut Iliade, se réclamant (page « présentation ») de « la continuité de la pensée et de l’action de Dominique Venner » – dont voici quelques citations ou résumés d’idées, tirés de Metapedia : « De même, il est nécessaire de combattre toutes les doctrines égalitaires (marxisme, socialisme internationaliste, libéralisme) ainsi que les philosophies qui y ont donné naissance, au premier desquelles il faut citer le christianisme. » ; « Aux premiers siècles de notre ère, quand ils furent confrontés au christianisme naissant, les Romains dénoncèrent dans cette religion [le christianisme] une forme d’athéisme. Cela nous surprend parce que nous avons oublié la logique du polythéisme. (…) Et du jour où l’existence de ce Dieu devient dépendante de la raison – effet involontaire du thomisme –, le risque s’ouvrit de le voir réfuter par la raison, ne laissant derrière lui que le vide. L’étape suivante fut le cartésianisme. (…) Après la mise à mort des dieux et de la sagesse antique, après l’évacuation du Dieu chrétien, il ne restait plus que le néant, c’est-à-dire le nihilisme. Par un paradoxe saisissant, la religion du Dieu unique avait conduit à la forme la plus négative de l’athéisme.» ; « Pour dire les choses de façon brève, je suis trop consciemment européen pour me sentir en rien fils spirituel d’Abraham ou de Moïse, alors que je me sens pleinement celui d’Homère, d’Epictète ou de la Table Ronde. Cela signifie que je cherche mes repères en moi, au plus près de mes racines et non dans un lointain qui m’est parfaitement étranger. (…) Pour autant, je ne tire pas un trait sur les siècles chrétiens. La cathédrale de Chartres fait partie de mon univers au même titre que Stonehenge ou le Parthénon. Tel est bien l’héritage qu’il faut assumer. L’histoire des Européens n’est pas simple. Après des millénaires de religion indigène, le christianisme nous fut imposé par une suite d’accidents historiques. Mais il fut lui-même en partie transformé, « barbarisé » par nos ancêtres, les barbares francs et autres [NOTE PERSONNELLE : non, ce fut au contraire la christianisation de l’Empire romain qui causa celle, consécutive, des Francs et autres barbares]. Il fut souvent vécu comme une transposition des anciens cultes. Derrière les saints, on continuait de célébrer les dieux familiers sans se poser de grandes questions. Et dans les monastères, on recopiait souvent les textes antiques sans nécessairement les censurer. Cette permanence est encore vraie aujourd’hui, mais sous d’autres formes, malgré les efforts de prédication biblique. Il me semble notamment nécessaire de prendre en compte l’évolution des traditionnalistes qui constituent souvent des ilôts de santé, opposant au chaos ambiant leurs familles robustes, leurs enfants nombreux et leur groupement de jeunes en bonne forme. La pérennité de la famille et de la patrie dont ils se réclament, la discipline dans l’éducation, la fermeté dans les épreuves n’ont rien de spécifiquement chrétien. Ce sont les restes de l’héritage romain et stoïcien qu’avait plus ou moins assumé l’Église jusqu’au début du XXe siècle. Inversement, l’individualisme, le cosmopolitisme actuel, le culpabilisme sont bien les héritages laïcisés du christianisme, comme l’anthropocentrisme extrême et la désacralisation de la nature dans lesquels je vois la source d’une modernité faustienne devenue folle et dont il faudra payer les effets au prix fort.» ?
… ou sur wikipedia – où ses ouvrages sont une part non négligeable de la bibliographie française récente, avec ceux d’Henri dd Maistre (Marc Froidefont : • Théologie de Joseph de Maistre, Paris, Éditions Classiques Garnier, coll. « Études romantiques et dix-neuviémistes », 2010, 501 p. (ISBN 978-2-8124-0167-1) • « La philosophie de Joseph de Maistre », Conférences et Débats du Cercle d’études philosophiques d’Annecy, 2e trimestre 1999, p. 21-33. • Henri de Maistre, Joseph de Maistre, Perrin, 1990. • « Joseph de Maistre et l’idée de monarchie », Revue d’études maistriennes, no 14, 2004, p. 413-424. (ISBN 2-7453-0958-7) • « Joseph de Maistre, lecteur d’Origène », dans le recueil Autour de Joseph et Xavier de Maistre, mélanges pour Jean-Louis Darcel, textes réunis par Michael Kohlhauer, Chambéry, université de Savoie, 2007, p. 109-118. (ISBN 2-915797-23-4) […] • Henri de Maistre, Joseph de Maistre (avec une préface de Gabriel Matzneff), Paris, Perrin, 1990, 298 p., (ISBN 2-262-00756-X), (BNF 35153307).) ?
… ou bien publiées par lecontemporain(point)net (Comprendre la théologie de Maistre – Entretien avec Marc Froidefont), où les derniers entretiens que je vois sont avec Raphaël Enthoven et Jacques Attali ?
… ou sur le site 450(point)fm, dont l’extension dit tout – et où un commentateur demande si Froidefont ne fut pas candidat du FN en 1993, dans l’Eure ?
Bref, une référence unanimement acceptée.
Je me propose d’examiner les assertions de monsieur Froidefont, invitant ceux que cela intéresse à d’abord voir la vidéo dont le titre est ici :
https://catholiquedefrance.fr/les-papes-controverses/#comment-4686
Le lien de cette vidéo (une heure huit minutes quatre secondes) peut se trouver un peu plus haut, et le résumé se trouve au contraire sans le commentaire suivant.
Ci-dessus, lire : Le lien de cette vidéo (une heure huit minutes quatre secondes) peut se trouver un peu plus haut [que le commentaire en lien], et le résumé se trouve au contraire dans le commentaire suivant.
J’ai également trop superficiellement lu et donc mal interprété la phrase de D. Venner sur la « barbarisation » du christianisme, contre laquelle ma glose est donc malvenue, et laissé passé la double et choquante coquille de Metapedia affectant le mot îlot.
Je vais m’appuyer sur plusieurs recensions des ouvrages de monsieur Froidefont sur Joseph de Maistre :
(1) Sur le site Lettres du Mont-Blanc ( montblanc(point)hypotheses(point)org : Théologie de Joseph de Maistre : un ouvrage de Marc Froidefont.
(2) La recension (je crois par monsieur Emmanuel Godo) de Théologie de Joseph de Maistre de monsieur Froidefont sur journals(point)openedition(point)(point)org
(3) article Parution : Joseph de Maistre. La nation contre les droits de l’homme (sur le site institut-iliade(point)com )
Source 1 :
La préexistence des âmes est un des principes de la cabale, qui est la base de l’enseignement maçonnique (voir, d’Athur Preuss, Étude sur la franc-maçonnerie américaine, ouvrage avec imprimatur). Le recours par monsieur Froidefont à l’autorité d’Origène pour étayer sur ce point l’inspiration catholique de de Maistre me rappelle un exemple cité par Preuss, s’appuyant sur les écrits de deux autres éminents francs-maçons du rite écossais (celui-là même pratiqué par de Maistre), Albert Pike et Albert Mackey (Arthur Preuss, op. cit., ch. X, La Franc-maçonnerie américaine et l’âme humaine ; la glose entre crochets est de moi) :
Wikipedia (page Joseph_de_Maistre, paragraphe Appartenance_à_la_franc-maçonnerie) :
J’ai mis ailleurs sur ce site un lien vers le document de 1782, dont il me semble évident qu’il est hautement incompatible avec le catholicisme.
La réversibilité selon de Maistre n’était pas, comme pour un catholique, le rejaillissement sur l’Église des mérites des saints, mais une apocatastase où toutes les âmes finiraient rachetées et fondues en Dieu, y compris celle de Lucifer (voir la vidéo de Radio Regina).
Par ailleurs l’utilisation d’éléments isolés pris dans des sources catholiques mais insérés dans un raisonnement s’opposant aux conclusions desdites sources ne saurait être un gage d’orthodoxie catholique, et imite la façon dont Preuss (op. cit.) dit que la franc-maçonnerie annexe toutes les spiritualités, christianisme compris. Ainsi, pour saint Thomas d’Aquin, il arrive que le peuple ait le droit de se révolter contre son souverain, mais pas pour de Maistre qui pourtant s’appuie sur lui. Cela suffit d’ailleurs à répondre à ceux qui font de de Maistre un sincère nationaliste (voir : source (3)), alors qu’il considérait que la vie des peuples impliquait leur mort et qu’il les déclarait obligés par une obéissance inconditionnelle à tout accepter de leur souverain ; à l’opposé, l’adage romain disait salus populi lex suprema (le salut du peuple est la loi suprême).
Pour autant la réputation d’auteur absolutiste de de Maistre (mentionnée dans l’émission de Radio Regina, par exemple) n’est pas moins injustifiée. Wikipedia (article Joseph de Maistre, paragraphe La théocratie, étroite alliance du pouvoir et du religieux) :
Ce qu’on comparera à ce passage, que j’ai déjà cité sur ce site, du principal théologien ultramontain qui défendit l’infaillibilité pontificale avant et après Vatican I :
Assertion de monsieur Froidefont :
« Que Maistre soit fidèle à la tradition catholique est précisément ce qui fait la force et la solidité de sa pensée… » (Marc Froidefont, op. cit., p. 12, cité par (2)).
À comparer à : Reboul Yves : Pierre Glaudes, Joseph de Maistre et les figures de l’histoire, Cahiers Romantiques n° 2, 1997. In : Littératures, 38, printemps 1998. p. 162 (consultable sur persee(point)fr – aucun de mes commentaires à plusieurs liens n’est plus accepté depuis longtemps ici) :
Poir juger de Maistre sincèrement catholique il faut penser qu’un partisan de ce que j’appelle l’apocatastase luciférienne et de la cabale se croit sincèrement inspiré du catholicisme, même s’il en pioche seulement ici ou là des bribes, que d’ailleurs il ordonne pour les faire contredire ses sources catholiques ? « Théodon » et « Janek », de Radio Regina, rappellent que ses œuvres auraient été mises à l’Index s’il n’avait été un si ardent propagandiste de l’ultramontanisme (je dirais plutôt de l’ « ultra-ultramontanisme », plus papiste que le pape). Ils évoquent aussi son manichéisme (doctrine que saint Léon le Grand qualifiait d’ omnium errorum impietatumque mixturam, mélange de toutes les erreurs et impiétés).
Wikipedia (Joseph_de_Maistre) :
Au moins Tolstoï, Balzac, Baudelaire, Barbey d’Aurevilly et Bloy étaient franc-maçons ; Baudelaire était conscient d’être cabaliste ; Barbey d’Aurevilly est à mes yeux un luciférien manifeste, des mœurs de qui se gaussait même son ultra-ultramontain soutien Louis Veuillot dans sa correspondance privée, et qui, obsédé d’inceste, comme son filleul, le franc-maçon Léon Bloy officiellement converti par Ernest Hello et lui (Bloy était luciférien conscient derrière un masque catholique : lire, de Raymond Barbeau, Léon Bloy : Un Prophète luciférien) passe toutefois pour un auteur catholique, grâce à sa détestation de la modernité, à son « ultra-ultramontanisme » et au soutien de Veuillot.
Source 4 : article Comprendre la théologie de Maistre – Entretien avec Marc Froidefont (paru sur lecontemporain(point)net , consultable aussi sur 450(point)fm ) :
Un extrait de cette source :
À comparer à cet extrait du Mémoire au duc de Brunswick de Joseph de Maistre (1782 ; consultable par exemple sur directoirerectifie(point)org , article Joseph de Maistre Mémoire au duc de Brunswick Le Christianisme transcendant) :
Je vois trois erreurs qu’impliquent ou suggèrent ces propos de messieurs Abed et Froidefont : l’une selon laquelle l’inerrance biblique imposerait une lecture littérale, ce qui est démenti même par saint Jérôme de Stridon, le plus grand des exégètes, et par saint Augustin (De Genesi ad litteram) ; une autre selon laquelle le franc-maçon de Maistre pourrait être préjugé orthodoxe pour son attachement au littéralisme alors qu’au contraire il cherchait à faire des deux Testaments des allégories que comprendraient les seuls initiés, ce qui ne me paraît fort peu orthodoxe justement, et qu’il allait même jusqu’à juger erreur moderne la lecture littérale ; enfin la troisième erreur est qu’implicitement ces propos font d’une lecture littérale de certains passages un critère de distinction entre l’ésotérisme maçonnique et le catholicisme, alors que l’enseignement maçonnique est noachique, c’est-à-dire qu’il se base sur l’acceptation des chapitres de la Genèse jusqu’à Noé et au Déluge : or c’est exactement cela que manifestent les thèses de de Maistre citées par Froidefont, et on aurait donc bien tort d’y voir un étalon de catholicité.
Monsieur Froidefont nuance d’ailleurs l’assertion de son interlocuteur sur le littéralisme de de Maistre ; il conclut que celui-ci s’en remettait à l’autorité de l’Église pour l’interprétation de la Bible. L’inverse aurait pu impliquer l’excommunication, soit dit en passant, et qu’il ne s’agît que d’une précaution oratoire me paraît prouvé par le contenu du Mémoire au duc de Brunswick.
(4) :
Joseph de Maistre est né en 1753 et mort en 1821 ; on sait qu’il appartenait déjà à la franc-maçonnerie en 1774 (21 ans), et qu’il écrivait d’importants textes maçonniques sans cesse au moins jusqu’en en 1818 (mentionné par exemple par Radio Regina), à 65 ans, alors qu’il mourut à 68 ans. Il atteignit les plus hauts grades, et fut un des francs-maçons les plus importants de l’histoire ; faire de cette affiliation une « activité de jeunesse », c’est soit ignorer le sujet soit délibérément détourner de la vérité le regard.
Il est exact que Barruel remarquait, comme de Maistre, que tous les francs-maçons n’étaient pas révolutionnaires, mais contrairement à de Maistre il voyait dans la révolution non l’œuvre d’individus accidentellement francs-maçons mais au contraire l’œuvre de la franc-maçonnerie à laquelle certains de ses membres pour des raisins individuelles ne participèrent pas. Voici un passage d’une version abrégée de ses Mémoires pour servir à l’histoire du jacobinisme :
Je pose donc la question suivante : qui estime judicieusement choisie la tournure employée par monsieur Froidefont pour résumer la thèse de Barruel sur le rôle révolutionnaire de la franc-maçonnerie ?
Dans son entretien avec monsieur Abed, monsieur Froidefont affirme ensuite que de Maistre ne fut pas longtemps franc-maçon, ce qui est faux, et semble ignorer le rang exceptionnel qu’il tînt dans la hiérarchie maçonnique.
Quant à l’affiliation maçonnique de Joseph de Maistre, certaines sources essayent d’en faire paraître moindre la gravité du fait qu’il fréquentait les loges spiritualistes et non les loges progressistes : c’est ainsi le cas de l’émission de Radio Regina, qui distingue ici la situation de Maistre de celle de René Guénon, pourtant affilié également aux loges spiritualistes et professant des thèses largement semblables à celles de de Maistre.
En réponse voici un extrait d’un article de Jean Vaquié, diffusé par exemple sur le site bouddhanar (La Franc-maçonnerie, de Poncins, Guénon et Evola, publié le 14 septembre 2014) :
Source 5 : Théologie de Joseph de Maistre : un ouvrage de Marc Froidefont ( montblanc(point)hypotheses(point)org ).
Extrait :
Oui : comment ne pas voir ?