La Liberté Religieuse, synthèse du problème

Le 7 décembre 1965, devant le Monde entier, Montini dit Paul VI promulguait le document conciliaire Dignitatis Humanae sur la liberté religieuse, voté à 2 308 voix contre 70. Alors que la tradition condamnait de vive voix la liberté de tous les cultes, le conciliabule Vatican II se réconciliait avec le monde moderne et déclarait que:

La personne humaine a droit à la liberté religieuse. Cette liberté consiste en ce que tous les hommes doivent être exempts de toute contrainte de la part tant des individus que des groupes sociaux et de quelque pouvoir humain que ce soit, de telle sorte qu’en matière religieuse nul ne soit forcé d’agir contre sa conscience ni empêché d’agir, dans de justes limites, selon sa conscience, en privé comme en public, seul ou associé à d’autres. Il déclare, en outre, que le droit à la liberté religieuse a son fondement réel dans la dignité même de la personne humaine telle que l’ont fait connaître la Parole de Dieu et la raison elle-même. Ce droit de la personne humaine à la liberté religieuse dans l’ordre juridique de la société doit être reconnu de telle manière qu’il constitue un droit civil.

Vatican II, Dignitatis Humanae, 7 décembre 1965

Dans cet article, 55 ans après la déclaration conciliaire, nous reviendrons sur les nombreuses condamnations de la liberté religieuse au fil des siècles puis nous prouverons que toute herméneutique de continuité est impossible.

I. Une hérésie condamnée par toute l’Église

Avant de nous intéresser aux condamnations des Papes, nous jugeons intéressant de traiter de l’opinion des Saints Pères de l’Église.

Saint Augustin, par exemple, fût beaucoup cité par les ecclésiastiques du XVIème siècle pour justifier l’Inquisition. Et pour cause, le Saint docteur n’était pas le plus tolérant de tous:

Si nous voulons nous en tenir à la vérité, nous reconnaîtrons que la persécution injuste est celle des impies contre l’Église du Christ, et que la persécution juste est celle de l’Église du Christ contre les impies. Elle est donc bienheureuse de souffrir persécution pour la justice, et ceux-ci sont misérables de souffrir persécution pour l’iniquité. L’Église persécute par l’amour, les autres par la haine; elle veut ramener, les autres veulent détruire; elle veut tirer de l’erreur, et les autres y précipitent.

Saint Augustin, Epist. CLXXXV, 415

Citons également le passage utilisé par le Pape Grégoire XVI dans l’encyclique Mirari Vos:

Le successeur de ces derniers, Julien, déserteur et ennemi du Christ, à la prière de vas évêques Rogatien et Ponce, accorda au parti de Donat une liberté de perdition; il rendit les basiliques aux hérétiques en même temps que les temples au démon, pensant que le nom chrétien pouvait périr par une atteinte portée à l’unité de l’Église d’où il était tombé, et par la liberté donnée aux discussions sacrilèges. […]

Emportés par cette haine, vous vous élevez avec tant d’impudence contre les lois des empereurs chrétiens que si vous le pouviez, vous n’invoqueriez pas contre nous Constantin, qui fut chrétien et ami de la vérité, mais vous tireriez des enfers l’apostat Julien. Du reste, si vous y parveniez, le plus grand mal n’en serait-il pas pour vous? Car y a-t-il pour l’âme une mort pire que la liberté de l’erreur ?

Saint Augustin, Epist. CV, 409

Un cas un peu plus concret: celui de Gaudentius. Cet évêque schismatique qui refusait de se soumettre à une loi ordonnant la confiscation des biens des donatistes au profit des catholiques. Alors qu’un tribun romain, Dulcitius, voulait l’appliquer, Gaudentius s’enferma dans la basilique avec ses fidèles et menaça d’y mettre le feu. Dulcitius fit donc appel à l’évêque d’Hippone et lui transmit deux lettres de Gaudentius écrites pour se justifier. Il y prétendait notamment que l’homme n’avait pas à défendre Dieu. Saint Augustin écrivit en réponse un long traité, le Contra Gaudentium.

Qu’on accepte vos raisons aussi vaines que fallacieuses, aussitôt les rênes sont lâchées à toutes les passions humaines, tous les péchés restent impunis, aucune barrière n’est plus là pour s’opposer au déchaînement des vices, à la haine incessante de la concupiscence contre les lois divines et humaines; le roi à l’égard de son royaume, le général à l’égard du soldat, le juge à l’égard de ses subordonnés, le maître à l’égard de son serviteur, le mari à l’égard de sa femme, le père à l’égard de son fils se trouvent désormais impuissants devant la liberté et la suavité du péché; ni menaces ni châtiments ne leur sont plus possibles. […]

Ou bien, comme les hommes ont coutume de rougir de leurs semblables, écriez-vous, si vous l’osez: Qu’on punisse les homicides, qu’on punisse les adultères, qu’on punisse tous les autres crimes, mais nous voulons que les lois laissent les sacrilèges impunis. N’est-ce point là l’enseignement que vous proclamez, quand vous osez dire: « Peut-on faire à Dieu une plus grande injure que de charger les hommes de défendre sa cause ? Quelle idée peut donc avoir de Dieu celui qui veut soutenir ses intérêts par la violence ? Croit-il donc que Dieu ne peut pas venger ses propres injures ? » Est-ce qu’un tel langage ne revient pas à dire « nous ne voulons pas qu’une puissance humaine enchaîne notre libre arbitre, quand il nous plaît de faire injure à Dieu » ? Ô douleur ! Combien les siècles qui ont précédé notre naissance doivent regretter de n’avoir pas connu une semblable doctrine !

Saint Augustin, Contra Gaudentium I, 20

Citons une dernière fois le docteur de l’Église:

Il y a deux livres de moi intitulés: Contre le parti de Donat. Dans le premier j’ai dit qu’il me déplaisait de voir une puissance temporelle quelconque réduire violemment les schismatiques à l’unité. Et en effet, cela me déplaisait alors, parce que je n’avais pas encore éprouvé ou bien à quel degré d’audace l’impunité les entraînait, ou bien à quel degré de conversion et d’amélioration une discipline vigilante pouvait les amener. Cet ouvrage commence ainsi: « Puisque les Donatistes. »

Saint Augustin, Rétractations II, 5

Le Père spirituel de Saint Augustin, Saint Ambroise de Milan, ne s’est pas non plus montré très tolérant, surtout à l’égard des juifs. Nous en voulons pour preuve les propos qu’il tînt dans une lettre à Théodose, alors que ce dernier voulait punir des chrétiens ayant mis le feu à une synagogue:

J’ai déclaré que la synagogue prît feu ou du moins j’ai ordonné à ces personnes qu’elle le mettent. Et si l’on m’objecte que je n’ai pas personnellement mis le feu à la synagogue, je proteste qu’elle commença d’être incendiée par le jugement de Dieu.

Saint Ambroise, Epist. XI à l’Empereur Théodose

Même si l’évêque de Milan n’a pas réellement mis le feu à la synagogue, il légitime par cette prise de position la répression des juifs et donc la coercition dans les matières religieuses. Évidemment, notre propos n’est pas tant de réclamer de telles mesures aujourd’hui, puisqu’elles s’inscrivent dans un contexte particulier, mais plutôt de montrer la fermeté avec laquelle l’Église a affirmé le droit et même le devoir d’empêcher les hérétiques et les infidèles de répandre leurs erreurs dans la société civile. Il en va de même pour toutes les citations présentées dans cet article.

Saint Cyprien de Carthage n’hésite pas non plus à justifier la mise à mort des païens:

Dieu est si courroucé contre l’idolâtrie, qu’il a même enjoint de faire mourir ceux qui persuadent les autres de sacrifier et de servir les idoles. […]

Se souvenant de ce précepte et de sa force, Mattathias tua celui qui s’était approché de l’autel pour sacrifier. Mais si avant la venue du Christ ces préceptes concernant le culte de Dieu et le mépris des idoles étaient observés, à combien plus forte raison doivent-ils l’être depuis l’avènement du Christ; puisque celui-ci, lorsqu’il est venu, ne nous a pas seulement exhortés par des paroles, mais aussi par des actes, et qu’après tous les torts et toutes les contestations, il a souffert et a été crucifié, afin de nous apprendre à souffrir et à mourir par son exemple, afin qu’il n’y ait aucune excuse pour un homme de ne pas souffrir pour lui, puisqu’il a souffert pour nous, et que, puisqu’il a souffert pour les péchés des autres, chacun doit bien plus souffrir pour ses propres péchés.

Saint Cyprien, Exhortation au martyre, V

Le Pseudo-Cyprien tient plus ou moins le même langage:

Le roi doit réprimer les larcins, punir les adultères, faire disparaître de la terre les impies, ne pas permettre de vivre aux patricides et aux parjures, ni tolérer l’impiété des fils.

Pseudo-Cyprien, De duodecim gradibus abusionum, II, 1.

Saint Jérôme recommande également la peine capitale pour les sacrilèges:

Punir [de mort] les homicides, les sacrilèges et les adultères, ce n’est pas répandre le sang, c’est le ministère des lois.

Saint Jérôme, Commentaire sur Jérémie V, 22, 3; PL 24, 811

Saint Optat de Milève justifie aussi la peine de mort contre les donatistes:

Je suis maintenant obligé, contre ma volonté, de mentionner ces hommes – que je ne veux pas mentionner – que vous placez parmi les martyrs, par lesquels vous jurez, comme la seule chose que ceux de votre communion tiennent pour sacrée. […] À cause des noms de ces hommes, une haine folle hurle inconsidérément contre l’unité, et à cause d’eux, certains rejettent l’unité avec mépris, pensant qu’il faut la fuir ou l’attaquer, parce que Marculus et Donat auraient été attaqués et seraient morts. Comme si personne ne devait jamais être tué en punition des offenses faites à Dieu.

Saint Optat de Milève, Traité contre les donatistes III, 6

La liste des Pères prenant position contre la liberté religieuse pourrait encore s’allonger considérablement. Nous ne pouvons cependant tous les citer. Contentons-donc de rappeler que Saint Cyrille chassa les juifs d’Alexandrie en 415 et que Saint Jean Chrysostome, bien qu’opposé à la violence contre les hérétiques, voulait interdire leurs assemblées et les priver de liberté d’expression:

Considérons encore cette parole: « De peur qu’en cueillant l’ivraie, vous ne déraciniez aussi tout ensemble le bon grain. » Il semble qu’il dise par là: Si vous prenez les armes contre les hérétiques; si vous voulez répandre leur sang et les tuer, vous envelopperez nécessairement dans ce meurtre beaucoup de justes et d’innocents. De plus il y en a beaucoup qui sortant de l’hérésie, d’ivraie qu’ils étaient pourraient se changer en bon grain. Que si on prévenait ce temps, en croyant arracher de l’ivraie on détruirait le froment qui en devait naître. Ainsi il donne du temps aux hérétiques pour se convertir, et pour rentrer en eux-mêmes. Il n’empêche pas néanmoins qu’on ne réprime les hérétiques, qu’on ne leur interdise toute assemblée, qu’on ne leur ferme la bouche, et qu’on ne leur ôte toute liberté de répandre leurs erreurs; mais il ne veut pas qu’on les tue, et qu’on répande leur sang.

Saint Jean Chrysostome, Commentaire de l’ÉvanfileSaint Matthieu, Homélie XLVI

Après avoir vu le point de vue des Pères, voyons celui des docteurs de l’Église:

Saint Thomas d’Aquin, le docteur angélique, rappelle par exemple la position traditionnelle de l’Église sur la liberté religieuse:

Le gouvernement humain dérive du gouvernement divin et doit le prendre pour modèle. Or Dieu, bien qu’il soit tout-puissant et souverainement bon, permet néanmoins qu’il se produise des maux dans l’univers, alors qu’il pourrait les empêcher, parce que leur suppression supprimerait de grands biens et entraînerait des maux plus graves. Ainsi donc, dans le gouvernement humain, ceux qui commandent tolèrent à bon droit quelques maux, de peur que quelques biens ne soient empêchés, ou même de peur que des maux pires ne soient encourus. C’est ce que dit S. Augustin: « Supprimez les prostituées et vous apporterez un trouble général par le déchaînement des passions. » Ainsi donc, bien que les infidèles pèchent par leurs rites, ceux-ci peuvent être tolérés soit à cause du bien qui en provient, soit à cause du mal qui est évité. Du fait que les juifs observent leurs rites, qui préfiguraient jadis la réalité de la foi que nous professons, il en découle ce bien que nous recevons de nos ennemis un témoignage en faveur de notre foi, et qu’ils nous représentent comme en figure ce que nous croyons. C’est pourquoi les Juifs sont tolérés avec leurs rites. Quant aux rites des autres infidèles, comme ils n’apportent aucun élément de vérité ni d’utilité. il n’y a pas de raison que ces rites soient tolérés. si ce n’est peut-être en vue d’un mal à éviter. Ce qui est à éviter, c’est le scandale ou le dissentiment qui pourrait provenir de cette intolérance, ou encore l’empêchement de salut pour ceux qui, ainsi tolérés, se tournent peu à peu vers la foi. C’est pour cela en effet que l’Église a quelquefois toléré les rites des hérétiques et des païens quand les infidèles étaient très nombreux.

Saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique IIa IIæ, q. 10, art. 11

C’est la même idée qui ressort de son De Regno:

Parce que, donc, la fin de la vie que nous menons présentement avec honnêteté, est la béatitude céleste, il appartient, pour cette raison, à l’office de roi de procurer à la multitude une vie bonne, selon qu’il convient à l’obtention de la béatitude céleste; c’est-à-dire qu’il doit prescrire ce qui conduit à cette béatitude céleste, et interdire, selon qu’il sera possible, ce qui y est contraire.

Saint Thomas d’Aquin, De Regno, I, 14
Procès du Talmud, 1240

Son rival intellectuel de l’époque, Duns Scot, va encore plus loin:

Duns Scot suggéra que les enfants juifs fussent baptisés de force et que les parents qui refuseraient à se convertir fussent transportés dans une île où on les autoriserait à persévérer dans leur religion jusqu’à l’accomplissement de la prophétie d’Isaïe à propos du petit reste qui se convertirait.

Rabbin Jacob Salomon Raisin, Gentile Reactions to Jewish Ideals

Saint Bernard de Clairvaux n’est pas non plus particulièrement tolérant:

Ceux qui étaient présents n’étaient pas moins prêts à la leur faire souffrir, si bien que le peuple, se jetant sur eux, fit de nouveaux martyrs de leur détestable secte. Nous approuvons son zèle, mais nous ne conseillons pas d’imiter cette action, parce qu’il faut persuader la foi, au lieu de l’imposer par la violence. Quoiqu’il serait mieux sans doute qu’ils fussent punis par l’épée de celui qui ne la porte pas en vain, que de souffrir qu’ils en entraînassent d’antres dans leurs erreurs. Car il est ministre de Dieu, et il doit juger sévèrement celui qui fait mal (Rom. XIII, 14).

Saint Bernard de Clairvaux, Sermons sur le Cantique, LXVI, 12

Passons désormais aux condamnations magisterielles. La première condamnation (indirecte) de la liberté religieuse par le Magistère vient du Pape Saint Léon le Grand (395-461):

C’est à juste titre que nos pères […] ont agi avec fermeté pour que cet égarement impie soit chassé de toute l’Eglise: les princes du monde également ont abominé à ce point cette folie sacrilège, qu’ils ont abattu son auteur [Priscilien] par l’épée des lois publiques, en même temps que la plupart de ses disciples. Ils voyaient en effet que le lien des mariages serait entièrement défait, et que de même la Loi divine et humaine serait subvertie, s’il était permis à de tels hommes de vivre avec une telle profession en quelque lieu que ce soit. Pendant longtemps cette sévérité a profité à la douceur ecclésiastique, laquelle, même si elle se contente du jugement des prêtres et évite les peines sanglantes, reçoit néanmoins l’aide des décrets sévères des princes chrétiens, puisqu’on voit parfois recourir au remède spirituel ceux qui craignent le supplice corporel.

Saint Léon, Lettre XV Quam laudabiter, à Turibius, Évêque d’Astorga, 21 juillet 447, PL 54, 680

Le Saint Pape y justifie en effet l’intervention du pouvoir civil dans la répression de l’hérésie, jugeant que cette dernière faisait offense à Dieu.

Dans une autre lettre, il rappelle que les droits de l’Église doivent être défendus par le pouvoir civil, enseignant ainsi l’union des deux glaives, le glaive spirituel et le glaive temporel:

Le pouvoir royal vous a été donné non seulement pour gouverner le monde, mais surtout pour la protection de l’Eglise. En vous opposant aux entreprises impies, vous devez défendre le bon ordre déjà établi et rétablir la paix là où elle a été troublée.

Saint Léon, Lettre 156 à l’empereur Léon, PL 54, col. 1130

Plus encore, dans cette autre lettre, le Pape affirme la nécessité capitale de réprimer l’erreur:

En effet, nous ne pouvons pas guider les personnes qui nous sont confiées si nous ne poursuivons pas avec le zèle de la Foi dans le Seigneur ceux qui détruisent et sont perdus, et si nous n’isolons pas avec toute la sévérité possible ceux qui ne sont pas sains d’esprit, afin que la peste ne continue pas à se répandre.

Saint Léon, Lettres VII, VIII aux Évêques italiens

Viennent ensuite les condamnations (toujours indirectes) par les Saints Papes Pélage (500-561) et Agathon (574-681):

Ne pensez pas que c’est un péché de punir de tels individus [des évêques réfractaires]. Il est établi par les lois divines et humaines que les perturbateurs de la paix et de l’unité de l’Eglise soient réprimés par le pouvoir civil, et c’est le plus grand service que vous puissiez rendre à la religion.

Saint Pélage, Lettre I au duc d’Italie, PL 69, 394

Aucun autre motif plus approprié ne saurait recommander à la divine majesté votre force absolument invincible: combattez ceux qui se sont écartés de la règle de la vérité, faites connaître et proclamez partout l’intégrité de notre foi évangélique et apostolique.

Saint Agathon, Lettre I Consideranti mihi aux empereurs, 27 mars 680, PL, 87, 1212

500 ans plus tard, le IIIème Concile œcuménique du Latran déclare:

Quoique l’Église, suivant que le dit saint Léon, rejette les exécutions sanglantes, elle ne laisse pas d’être aidée par les lois des princes chrétiens, en ce que la crainte du supplice corporel fait quelquefois recourir au remède spirituel ; c’est pourquoi nous anathématisons les hérétiques nommés cathares, patarins ou publicains, les albigeois et autres qui enseignent publiquement leurs erreurs, et ceux qui leur donnent protection ou retraite, défendant, en cas qu’ils viennent à mourir dans leur péché, de faire des oblations pour eux, et de leur donner la sépulture entre les chrétiens. Le concile ordonne de dénoncer excommuniés, dans les églises, les jours de dimanches et de fêtes, les brabançons, les cottereaux, etc., qui portaient la désolation partout. Il permet même de prendre les armes contre eux, et reçoit ceux qui les attaqueront sous la protection de l’Église, comme ceux qui visitent le saint sépulcre. Ces cottereaux ou roturiers étaient des troupes ramassées dont les seigneurs se servaient pour leurs guerres particulières, et qui vivaient sans discipline et sans religion.

Concile de Latran III, Canon 27

Le Concile (infaillible) montre ici non seulement la légitimité de la répression de l’erreur par le pouvoir public mais également la légitimité de la peine de mort.

Quelques années plus tard, le Pape Lucius III (1181-1185) réitère la condamnation:

Pour éradiquer la malice de certaines hérésies qui ont récemment émergé aux quatre coins du monde, il convient que le pouvoir conféré à l’Eglise soit suscité et qu’au moyen de l’assistance de la puissance impériale, soient écrasées l’insolence et l’impertinence des hérétiques et de leurs mensonges, et que la Vérité pure du catholicisme qui se trouve, étincelante, dans la Sainte Eglise, soit exaltée, pure et libre, contre l’exécrable nature de leurs fausses doctrines. C’est pourquoi, avec le soutien de la présence de Notre très cher fils Frédéric, le très illustre empereur des romains, élargissant toujours l’Empire, avec les avis et les conseils concertés de Nos frères, patriarches, archevêques et de bien d’autres princes, rassemblés et venus de toutes parts du monde, Nous nous élevons contre ces hérétiques, qui se donnent différents noms selon les nombreuses fausses doctrines qu’ils professent, et par la sentence de ce décret général ici présent, et par Notre autorité apostolique, Nous condamnons toutes sortes d’hérésies, qu’importe le nom qu’elles empruntent.

Lucius III, Ad Abolendam, novembre 1184

Son successeur, Innocent III (1198-1216), dit lui que l’hérésie est un crime de lèse-majesté qui mérite la peine capitale:

La peste mortifère n’a pas encore pu, jusqu’à présent, être mise à mort et empêchée de s’insinuer plus largement en secret comme un cancer et de répandre même à découvert le poison de son iniquité, trompant de nombreux simples et séduisant certains sages, dissimulée sous l’apparence de la religion — étant fait maître d’erreur celui qui n’a pas été disciple de la vérité. […] Puisque, selon les sanctions légitimes, une fois les coupables de lèse-majesté punis du châtiment capital, leurs biens sont confisqués et la vie de leurs enfants n’est épargnée que par miséricorde, ô combien plus ceux qui offensent Dieu Jésus Christ, fils de Dieu, en errant dans la foi, doivent-ils être séparés de notre tête, qui est le Christ, par la rigueur ecclésiastique, et dépouillés de leurs biens temporels, puisqu’il est bien plus grave de léser la majesté éternelle que la majesté temporelle !

Innocent III, Bulle Vergentis in senium, 25 mars 1199

En 1207, le Pape va encore plus loin avec la bulle Ad eliminandam:

Pour éliminer totalement du Patrimoine de saint Pierre la souillure hérétique, nous établissons par une loi destinée à être perpétuellement observée que tout hérétique et, en particulier, tout patarin qui y sera trouvé sera immédiatement capturé et transféré au tribunal séculier pour être puni selon les sanctions légitimes. Tous ses biens seront confisqués et répartis ainsi: celui qui l’aura pris en recevra un tiers, un autre tiers ira au tribunal qui le punira, le troisième sera affecté à la construction de la muraille du lieu où il aura été arrêté. La maison où un hérétique aura été accueilli sera détruite de fond en comble ; que personne n’ose la réédifier, et que devienne dépôt d’ordures le lieu qui fut repaire des perfides. En outre, leurs croyants, défenseurs et partisans seront mis à l’amende d’un quart de leurs biens, lesquels seront affectés à l’usage public. Et si, punis de la sorte, ils retombaient dans une faute semblable, qu’ils soient chassés complètement de leur territoire et n’y reviennent jamais, si ce n’est par un mandat du souverain pontife, après juste satisfaction. Que l’on ne reçoive pas les plaintes ou les appels de ces personnes; que nul ne soit contraint de leur répondre en justice dans aucune cause, mais qu’eux soient contraints de répondre aux autres. Qu’aucun juge, ni avocat, ni notaire fasse son office pour aucun d’entre eux, sous peine d’être privé de son office à perpétuité. Que les clercs ne permettent pas d’accéder aux sacrements ecclésiastiques à de tels pestilents, ni ne reçoivent leurs aumônes ou oblations, et de même pour les templiers, les hospitaliers et les réguliers de toute sorte, sans quoi ils seront privés de leur office, lequel ne leur sera pas restitué sans indult spécial du Siège apostolique. Quiconque osera, en outre, conduire à une sépulture ecclésiastique de telles personnes, à savoir les croyants, les partisans, les hôtes et les défenseurs des hérétiques, sera frappé du glaive de l’anathème jusqu’à satisfaction idoine. Aucun d’eux ne sera admis comme témoin, ni n’accèdera à quelque office public, ni au conseil commun. Celui qui élirait une telle personne, qu’il soit puni de la peine susdite en tant que partisan des hérétiques. Que ce statut soit recopié dans le capitulaire sur lequel les podestats, consuls ou recteurs jurent chaque année et n’en soit jamais retiré, pour qu’ainsi ils jurent de respecter toujours fermement ce statut. Quiconque refuserait ou négligerait de l’observer sera déposé de sa charge et encourra la peine de cent livres à acquitter à celui que le souverain pontife désignera.

Innocent III, Ad eliminandam, 23 septembre 1207

Quelques années plus tard, en 1215, le IVème Concile de Latran publie le Canon Excommunicamus, aujourd’hui assez connu:

[…] Tous les hérétiques convaincus de culpabilité devront être livrés à leurs supérieurs laïques et à leurs baillis (fonctionnaires civils) pour recevoir leur châtiment. S’ils sont clercs, ils seront au préalable dégradés. Les biens des coupables seront, s’ils sont laïcs, confisqués, s’ils sont clercs, attribués à l’église dont ils touchaient les revenus. Ceux qui seront suspects d’hérésie, s’ils ne peuvent se disculper entièrement par une purgation appropriée, compte tenu des raisons du soupçon et du caractère de la personne. Que ces personnes soient évitées par tous jusqu’à ce qu’elles aient donné une satisfaction adéquate. Que les autorités séculières, quelles que soient les fonctions qu’elles exercent, soient conseillées et incitées, et si nécessaire contraintes par la censure ecclésiastique, si elles veulent être réputées et tenues pour fidèles, à prêter publiquement serment pour la défense de la foi, à l’effet qu’elles chercheront, dans la mesure de leurs possibilités, à expulser des terres soumises à leur juridiction tous les hérétiques désignés de bonne foi par l’Église.

Concile de Latran IV, Canon Excommunicamus, 1215

Innocent IV (1243-1254) publie 39 ans après la bulle Cum in constitutionibus dans laquelle il ordonne la destruction des maisons des hérétiques.

Innocent, serviteur des serviteurs de Dieu, à ses aimés fils les frères de l’ordre des Prêcheurs inquisiteurs de la dépravation hérétique dans la province de Lombardie, salut et bénédiction apostolique.

Étant, comme on sait, stipulé expressément entre autres dans les constitutions que nous avons promulguées récemment contre les hérétiques que la maison dans laquelle est trouvé un ou une hérétique et celles qui lui sont contiguës, si ces dernières appartiennent au même propriétaire, doivent être détruites de fond en comble sans espoir de reconstruction, vous nous avez demandé de préciser officiellement par notre réponse la règle qui doit être observée en un tel cas pour les tours. À quoi nous répondons brièvement qu’il était et demeure dans notre intention que, dans un tel cas, le même jugement soit prononcé pour les tours et pour les maisons. Quant aux charpentes, aux pierres et aux tuiles des maisons et des tours qui seront ainsi détruites, nous décidons qu’elles seront réparties selon les mêmes modalités que celles que nous avons ordonnées dans lesdites constitutions pour diviser les autres choses trouvées sur place.

Innocent IV, Cum in constitutionibus, 29 juillet 1254

Toujours au temps de la chrétienté médiévale, les Papes Lucius III, Innocent III, Grégoire IX et Boniface VIII adoptent des décrétales prévoyant le renvoi de l’hérétique au bras séculier (X, 5, 7, 9 ; 13 ; 15 et VI, 5, 2, 18). Ces textes prévoient la livraison du coupable « animadversione debita puniendus » pour être puni de la correction qui lui est due. Pour qu’il n’y ait aucun doute sur la sentence, la glose ajoute : « La punition due est la crémation par le feu. »

Au XIVème siècle, le Pape Clément V et le Concile de Vienne demandent aux princes de ne pas tolérer le culte public de Mahomet sur leur territoire:

Pour l’offense du nom divin et la honte de la foi chrétienne, il arrive que, dans certaines régions du monde soumises à des princes chrétiens, où des sarrasins habitent avec des chrétiens, parfois à part, parfois mêlés à eux, leurs prêtres, appelés en langue vulgaire Zabazala, invoquent et annoncent à haute voix le nom de Mahomet, dans leurs temples ou mosquées, où les sarrasins se réunissent afin d’adorer le perfide Mahomet, et ceci chaque jour, à des heures déterminées, à partir d’un lieu élevé, et qu’ils y professent publiquement certaines paroles en son honneur. Il existe en outre un lieu où fut enterré un certain Sarrasin que d’autres Sarrasins vénèrent comme un saint. Un grand nombre de Sarrasins y affluent ouvertement de loin et de près. Cela qui n’abaisse pas peu notre foi et engendre un grave scandale dans le cœur des fidèles. Puisque ces choses qui déplaisent à la majesté divine ne doivent plus être tolérées, avec l’approbation du saint concile, Nous défendons avec la plus grande rigueur qu’elles se produisent désormais à l’intérieur des territoires des chrétiens. Nous enjoignons à tous et chacun des princes catholiques qui détiennent la souveraineté sur lesdits Sarrasins et sur le territoire desquels ces pratiques se produisent, et nous leur imposons l’obligation pressante, en vertu du jugement divin, de prendre en considération, en tant que vrais catholiques et zélés pour la foi chrétienne, l’opprobre qui leur est fait ainsi qu’aux autres chrétiens, d’éliminer totalement de leurs territoires et de veiller à ce que soit éliminée la honte que ce qui précède entraîne pour eux-mêmes et pour les autres fidèles, afin qu’ils puissent obtenir la récompense du bonheur éternel. Nous interdisons expressément que quiconque relevant de leur autorité s’aventure à invoquer ou à professer publiquement le nom sacrilège de Mahomet. Ils interdiront également à quiconque dans leurs dominions de tenter à l’avenir ledit pèlerinage ou de le cautionner de quelque manière que ce soit. Ceux qui oseront agir en sens contraire seront corrigés de telle manière que les autres, terrorisés par leur exemple, seront éloignés de la même présomption.

Concile de Vienne, Canon 12

En 1515, le Pape Léon X réitère les condamnations et ordonne la confiscation des mauvais livres, et en cas de refus, de les brûler:

C’est pourquoi, pour éviter que ce qui a été heureusement inventé pour l’accroissement de la foi et la propagation des arts utiles, ne soit perverti en un usage tout contraire et ne devienne un obstacle au salut des fidèles, nous avons jugé que notre attention doit être exercée sur l’impression des livres, précisément pour que les épines ne poussent pas avec la bonne semence ou que les poisons ne se mêlent pas aux médicaments. […]

Outre la saisie et le bûcher public des livres imprimés, le paiement de cent ducats à la fabrique de la basilique du prince des apôtres à Rome, sans espoir de soulagement, et la suspension pendant une année entière de la possibilité de se livrer à l’impression, il sera imposé à quiconque présumera agir autrement la sentence d’excommunication.

Concile de Latran V, Xè session, 4 mai 1515

Plus tard, il condamne la proposition suivante:

Que les hérétiques soient brûlés, c’est contre la volonté de l’Esprit. –CONDAMNÉE

Léon X, Exsurge Domine, 1520

Saint Pie V (1566-1572) ne se fait pas non plus connaître pour sa tolérance et exhorte les princes chrétiens à abattre l’hérésie:

Gardez-vous de croire, très-chère fille en Jésus-Christ, que l’on puisse faire quelque chose de plus agréable à Dieu que de persécuter ouvertement ses ennemis, par un zèle pieux pour la religion catholique.

Lettre XXII à Catherine de Médicis, 17 octobre 1569

Ne permettez pas qu’on vous trompe en affectant de vrais sentiments de piété; et n’ambitionnez pas, en pardonnant les injures faites à Dieu lui-même, la fausse gloire d’une prétendue clémence: car rien n’est plus cruel que la miséricorde envers les impies qui ont mérité le dernier supplice.

Lettre XXIV à Charles IX, 20 octobre 1569

150 ans plus tard, le Pape Clément XI condamne le jansénisme par la bulle Unigenitus et demande l’appui du bras séculier pour réprimer l’hérésie si cela s’avère nécessaire:

Nous ordonnons de plus à Nos Vénérables Frères, les Patriarches, les Archevêques et Évêques et autres Ordinaires des lieux, comme aussi aux Inquisiteurs de l’hérésie, de réprimer et de contraindre par les censures, par les peines susdites, et par tous les autres remèdes de droit et de fait, ceux qui ne voudraient obéir; et même d’implorer pour cela, s’il en est besoin, le secours du bras séculier.

Clément XI, Unigenitus, 1713

En 1751, le Pape Benoît XIV condamne la Franc-Maçonnerie et exhorte les princes à agir:

Or, parmi les causes très graves de la susdite prohibition et condamnation, exprimées dans la constitution rapportée ci-dessus, la première est que, dans ces sortes de sociétés ou conventicules, il se réunit des hommes de toute religion et de toute secte; d’où l’on voit assez quel mal peut en résulter pour la pureté de la religion catholique. […] Enfin, Notre dit prédécesseur engage, dans la constitution rapportée ci-dessus, les Évêques, les Prélats supérieurs, et autres Ordinaires des lieux, à ne pas omettre d’invoquer le secours du bras séculier, s’il le faut, pour la mettre à exécution. […]Toutes et chacune de ces choses non seulement Nous approuvons, confirmons, recommandons et enjoignons aux mêmes Supérieurs ecclésiastiques; mais encore Nous personnellement, en vertu du devoir de Notre sollicitude apostolique, invoquons par Nos présentes lettres, et requérons de tout notre zèle, à l’effet de leur exécution, l’assistance et le secours de tous les princes et de toutes les puissances séculières catholiques, les souverains et les puissances étant choisis de Dieu pour être les défenseurs de la foi et les protecteurs de l’Église; et par conséquent, leur devoir étant d’employer tous les moyens pour faire rendre l’obéissance et l’observation dues aux constitutions apostoliques; ce que leur ont rappelé les Pères du Concile de Trente, sess. 25, chap. 20; et ce qu’avait fortement auparavant bien déclaré l’empereur Charlemagne dans ses Capitulaires, tit. 1, chap 2. où, après avoir prescrit à tous ses sujets l’observation des ordonnances ecclésiastiques, il ajouta ce qui suit: « Car nous ne pouvons concevoir comment peuvent nous être fidèles ceux qui se sont montrés infidèles à Dieu et à ses prêtres. » […]

Benoît XIV, Providas, 1751

Toujours à l’époque des Lumières, Clément XIII demande aux évêques de brûler les mauvais livres et donc de réprimer l’erreur:

Ainsi, puisque le Saint Esprit a fait de vous des évêques pour gouverner l’Eglise de Dieu et vous a enseigné tout ce qui concerne l’unique sacrement pourvoyant au salut des hommes, Nous ne pouvons négliger notre devoir face à cette littérature maléfique. Nous devons susciter l’enthousiasme de votre dévotion afin que vous, qui avez la tâche de partager Nos sollicitudes pastorales, vous unissiez pour vous opposer à ce mal de toutes vos forces. Il s’agit de combattre âprement, ainsi que la situation l’exige, et d’éradiquer de toutes nos forces les destructions mortelles causées par de tels ouvrages. La racine de l’erreur ne sera jamais extirpée tant que les criminels éléments du mal ne seront brulés par le feu. Puisque vous avez été constitués intendants des mystères divins et que vous avez été armés de Sa force pour détruire leurs défenses, employez-vous à garder les brebis qui vous ont été confiées, ces brebis rachetées par le Sang du Christ, loin de ces pâturages empoisonnés. Il est impératif d’éviter la compagnie des malfaiteurs, car leurs paroles encouragent l’impiété et leurs discours agissent comme un cancer. De grands désastres peuvent être causés par l’épidémie de leurs livres ! Bien écrits, de façon sournoise, ces livres se trouvent partout autour de nous et à portée de main. Ils voyagent avec nous, se trouvent dans les foyers et entrent dans les chambrées, lesquelles devraient fermer leur porte à leurs tromperies et à leur malfaisance.

Clément XIII, Christianae Reipublicae salus, 25 Novembre 1766

Son successeur Pie VI demande également de combattre les faux cultes et les erreurs en isolant les membres infectés de la société:

C’est pourquoi, Vénérables Frères, Vous qui êtes le Sel de la Terre, les gardiens et les pasteurs du troupeau du Seigneur, vous qui devez combattre les batailles du Seigneur, levez-vous, armez-vous de votre épée, qui est la parole de Dieu. Chassez de vos terres la contagion inique. Jusqu’à quand garderons-nous cachée l’injure faite à la Foi commune et à l’Église ? Considérons-nous stimulés, comme par le gémissement de l’Épouse souffrante du Christ, par les paroles de Bernard:

« Une fois cela fut prédit, et maintenant est venu le temps de l’accomplissement. Voici, dans la paix, ma très amère amertume; amère déjà, à cause du massacre des martyrs, plus amère ensuite, à cause de la lutte des hérétiques, et très amère à présent, à cause des mœurs privées… La blessure de l’Église est une plaie interne; voilà pourquoi dans la paix mon amertume est très amère. Mais quelle paix ? Nous avons la paix et la non-paix. La paix en ce qui concerne les païens et les hérétiques, mais certainement pas la paix en ce qui concerne les enfants. En ces jours, on entend la voix de quelqu’un qui pleure: J’ai nourri mes enfants, et je les ai élevés; mais ils m’ont méprisée. Ils m’ont méprisée et ils m’ont souillée par leur vie abjecte,par leurs gains et leurs commerces abjects, et enfin par leur façon d’agir en errant dans les ténèbres » (Sermon XXXIII, n° 16, tome IV, Paris 1691).

Qui ne serait ému en entendant ces lamentations mêlées de larmes de la pieuse mère, qui ne se sentirait pas irrésistiblement poussé à faire tout son possible, comme il l’a promis avec fermeté à l’Église. Purgez donc les vieux ferments, éliminez le mal qui est parmi vous; et donc, avec beaucoup d’énergie et de dévouement, éloignez les livres empoisonnés hors de vue du troupeau; isolez promptement les âmes infectées, afin qu’elles ne nuisent pas aux autres. « En effet, – comme le disait le Très Saint Pontife Léon – nous ne pouvons pas guider les personnes qui nous sont confiées si nous ne poursuivons pas avec le zèle de la Foi dans le Seigneur ceux qui détruisent et sont perdus, et si nous n’isolons pas avec toute la sévérité possible ceux qui ne sont pas sains d’esprit, afin que la peste ne continue pas à se répandre » (Épîtres VII, VIII aux Évêques italiens, chap. 2).

Pie VI, Inscrutabile divinae, 25 décembre 1775

Vient ensuite la première condamnation directe de la liberté religieuse, toujours par le Pape Pie VI:

L’effet nécessaire de la Constitution décrétée par l’assemblée est d’anéantir la religion catholique et, avec elle, l’obéissance due aux rois. C’est dans cette vue qu’on établit, comme un droit de l’homme en société, cette liberté absolue qui non seulement assure le droit de n’être pas’ inquiété sur ses opinions religieuses, mais qui accorde encore cette licence de penser, de dire, d’écrire et même de faire imprimer impunément en matière de religion tout ce que peut suggérer l’imagination la plus déréglée; droit monstrueux qui paraît cependant résulter à l’assemblée de l’égalité et de la liberté naturelles à tous les hommes. Mais que pouvait-il y avoir de plus insensé que d’établir parmi les hommes cette égalité et cette liberté effrénée qui semble étouffer la raison, le don le plus précieux que la nature ait fait à l’homme et le seul qui le distingue des animaux ?

Pie VI, Quod aliquantulum, 1791

Son successeur, Pie VII, réitère la condamnation:

Un nouveau sujet de peine dont Notre cœur est encore plus vivement affligé, et qui, Nous l’avouons, Nous cause un tourment, un accablement et une angoisse extrêmes, c’est le 22e article de la Constitution. Non seulement on y permet la liberté des cultes et de conscience, pour Nous servir des termes mêmes de l’article, mais on promet appui et protection à cette liberté, et en outre aux ministres de ce qu’on nomme les cultes. Il n’est certes pas besoin de longs discours, Nous adressant à un évêque tel que vous, pour vous faire reconnaître clairement de quelle mortelle blessure la religion catholique en France se trouve frappée par cet article. Par cela même qu’on établit la liberté de tous les cultes sans distinction, on confond la vérité avec l’erreur, et l’on met au rang des sectes hérétiques et même de la perfidie judaïque l’Épouse sainte et immaculée du Christ, l’Eglise hors de laquelle il ne peut y avoir de salut. En outre, en promettant faveur et appui aux sectes des hérétiques et à leurs ministres, on tolère et on favorise, non seulement leurs personnes, mais encore leurs erreurs. C’est implicitement la désastreuse et à jamais déplorable hérésie que saint Augustin mentionne en ces termes: « Elle affirme que tous les hérétiques sont dans la bonne voie et disent vrai, absurdité si monstrueuse que je ne puis croire qu’une secte la professe réellement ».

Pie VII, Post tam diuturnitas, 1814

Les condamnations qui suivent sont elles plus connues, nous ne prendrons donc pas la peine de les commenter:

De cette source empoisonnée de l’Indifférentisme, découle cette maxime fausse et absurde ou plutôt ce délire: qu’on doit procurer et garantir à chacun la liberté de conscience; erreur des plus contagieuses, à laquelle aplanit la voie cette liberté absolue et sans frein des opinions qui, pour la ruine de l’Église et de l’État, va se répandant de toutes parts, et que certains hommes, par un excès d’impudence, ne craignent pas de représenter comme avantageuse à la religion. « Quelle mort plus funeste pour les âmes, que la liberté de l’erreur ! », disait saint Augustin. En voyant ôter ainsi aux hommes tout frein capable de les retenir dans les sentiers de la vérité, entraînés qu’ils sont déjà à leur perte par un naturel enclin au mal, c’est en vérité que nous disons qu’il est ouvert ce puits de l’abîme, d’où saint Jean vit monter une fumée qui obscurcissait le soleil, et des sauterelles sortir pour la dévastation de la terre. […] L’expérience nous l’atteste et l’antiquité la plus reculée nous l’apprend: pour amener la destruction des États les plus riches, les plus puissants, les plus glorieux, les plus florissants, il n’a fallu que cette liberté sans frein des opinions, cette licence des discours publics, cette ardeur pour les innovations.

Grégoire XVI, Mirari Vos, 1832

Et de fait, vous le savez parfaitement, Vénérables Frères, il s’en trouve beaucoup aujourd’hui pour appliquer à la société civile le principe impie et absurde du « naturalisme », comme ils l’appellent, et pour oser enseigner que « le meilleur régime politique et le progrès de la vie civile exigent absolument que la société humaine soit constituée et gouvernée sans plus tenir compte de la Religion que si elle n’existait pas, ou du moins sans faire aucune différence entre la vraie et les fausses religions ». Et contre la doctrine de la Sainte Écriture, de l’Église et des saints Pères, ils affirment sans hésitation que: « la meilleure condition de la société est celle où on ne reconnaît pas au pouvoir le devoir de réprimer par des peines légales les violations de la loi catholique, si ce n’est dans la mesure où la tranquillité publique le demande ». À partir de cette idée tout à fait fausse du gouvernement des sociétés, ils ne craignent pas de soutenir cette opinion erronée, funeste au maximum pour l’Église catholique et le salut des âmes, que Notre Prédécesseur Grégoire XVI, d’heureuse mémoire, qualifiait de « délire »: « La liberté de conscience et des cultes est un droit propre à chaque homme. Ce droit doit être proclamé et garanti par la loi dans toute société bien organisée. Les citoyens ont droit à l’entière liberté de manifester hautement et publiquement leurs opinions quelles qu’elles soient, par les moyens de la parole, de l’imprimé ou tout autre méthode sans que l’autorité civile ni ecclésiastique puisse lui imposer une limite ». Or, en donnant pour certitudes des opinions hasardeuses, ils ne pensent ni ne se rendent compte qu’ils prêchent « la liberté de perdition », et que « s’il est permis à toutes les convictions humaines de décider de tout librement, il n’en manquera jamais pour oser résister à la vérité et faire confiance au verbiage d’une sagesse toute humaine. On sait cependant combien la foi et la sagesse chrétienne doivent éviter cette vanité si dommageable, selon l’enseignement même de Notre Seigneur Jésus-Christ. »

Pie IX, Quanta Cura, 1864

LXXVII. A notre époque, il n’est plus utile que la religion catholique soit considérée comme l’unique religion de l’État, à l’exclusion de tous les autres cultes.

LXXVIII. Aussi c’est avec raison que, dans quelques pays catholiques, la loi a pourvu à ce que les étrangers qui s’y rendent y jouissent de l’exercice public de leurs cultes particuliers.

LXXIX. Il est faux que la liberté civile de tous les cultes, et que le plein pouvoir laissé à tous de manifester ouvertement et publiquement toutes leurs pensées et toutes leurs opinions, jettent plus facilement les peuples dans la corruption des mœurs et de l’esprit, et propagent la peste de l’Indifférentisme.

Pie IX, Syllabus, 1864 (Propositions Condamnées)

À plusieurs reprises déjà, dans des documents officiels adressés au Monde Catholique, Nous avons démontré combien est erronée la doctrine de ceux, qui sous le nom séducteur de liberté du culte, proclament l’apostasie légale de la société, la détournant ainsi de son Auteur divin.

Léon XIII, È giunto

Il en est un grand nombre qui, à l’exemple de Lucifer, de qui est ce mot criminel: « Je ne servirai pas », entendent par le nom de liberté ce qui n’est qu’une pure et absurde licence. Tels sont ceux qui appartiennent à cette école si répandue et si puissante et qui, empruntant leur nom au mot de liberté, veulent être appelés Libéraux. […] Mais une chose demeure toujours vraie, c’est que cette liberté, accordée indifféremment à tous et pour tous, n’est pas, comme nous l’avons souvent répété, désirable par elle-même, puisqu’il répugne à la raison que le faux et le vrai aient les mêmes droits, et, en ce qui touche la tolérance, il est étrange de voir à quel point s’éloignent de l’équité et de la prudence de l’Église ceux qui professent le Libéralisme. […] Nier cette souveraineté de Dieu et refuser de s’y soumettre, ce n’est pas la liberté, c’est abus de la liberté et révolte ; et c’est précisément d’une telle disposition d’âme que se constitue et que naît le vice capital du Libéralisme. […] S’insurger complètement contre l’empire suprême de Dieu et lui refuser absolument toute obéissance, soit dans la vie publique, soit dans la vie privée et domestique, c’est à la fois, sans nul doute, la plus grande dépravation de la liberté et la pire espèce de Libéralisme. C’est sur elle que doivent tomber sans restriction tous les blâmes que nous avons jusqu’ici formulés.

Léon XIII, Libertas Præstantissimum

II. Une impossible continuité

En comparant le paragraphe de Dignitatis Humanae avec les citations ci-dessus, on peut difficilement dire qu’il n’y a aucune contradiction. Alors que la tradition enseigne que dans un pays catholique, l’État peut et doit réprimer l’erreur, Vatican II enseigne l’exact inverse pour le monde entier. Et pourtant, malgré l’évidence, certains essayent encore de trouver une herméneutique de continuité à ce texte. Nous listerons ici les principales objections:

Objection 1: La liberté religieuse condamnée est une liberté morale tandis que Dignitatis Humanae enseigne la liberté civile.

Réponse: La tradition condamne en effet la liberté religieuse morale (à savoir le droit de choisir la religion qu’on aura réputé vraie par la raison) mais, comme nous l’avons vu, la tradition condamne également la liberté religieuse civile.

Objection 2: Les textes condamnant la liberté religieuse ne sont pas infaillibles (notamment le Syllabus).

Réponse: Au vu du nombre de textes patristiques, magistériels et théologiques, il est compliqué d’affirmer que la condamnation n’est pas infaillible. Dans Quanta Cura Pie IX dit lui-même indirectement que les condamnations de l’encyclique et du syllabus en annexe sont infaillibles:

Au milieu donc d’un telle perversité d’opinions corrompues, Nous souvenant de Notre charge Apostolique, dans notre plus vive sollicitude pour notre très sainte religion, pour la saine doctrine, et pour le salut des âmes à Nous confiées par Dieu » et pour le bien de la société humaine elle-même, Nous avons jugé bon d’élever à nouveau Notre Voix Apostolique. En conséquence, toutes et chacune des opinions déréglées et des doctrines rappelées en détail dans ces Lettres, Nous les réprouvons, proscrivons et condamnons de Notre Autorité Apostolique; et Nous voulons et ordonnons que tous les fils de l’Église catholique les tiennent absolument pour réprouvées, proscrites et condamnées.

En comparant ce paragraphe avec celui sur les conditions de l’infaillibilité de Pastor Aeternus, on remarque que les similitudes sont frappantes:

Le Pontife romain, lorsqu’il parle ex cathedra, c’est-à-dire lorsque, remplissant sa charge de pasteur et de docteur de tous les chrétiens, il définit, en vertu de sa suprême autorité apostolique, qu’une doctrine sur la foi ou les mœurs doit être tenue par toute l’Église, jouit, par l’assistance divine à lui promise en la personne de saint Pierre, de cette infaillibilité dont le divin Rédempteur a voulu que fût pourvue son Église, lorsqu’elle définit la doctrine sur la foi et les mœurs. Par conséquent, ces définitions du Pontife romain sont irréformables par elles-mêmes et non en vertu du consentement de l’Église.

Concile Vatican I, Pastor Aeternus

Sinon, le lecteur pourra se référer à l’excellent article de philosophie du christianisme ici.

Objection 3: La liberté religieuse condamnée est un droit positif tandis que la liberté religieuse de Dignitatis Humanae est un droit négatif.

Réponse: Le droit positif est le droit d’agir d’une certaine manière, le droit négatif est le droit de ne pas être empêché d’agir d’une certaine manière. Bien que cette distinction ne soit pas particulièrement pertinente, il faut répondre que le droit négatif découle du droit positif ! Ratzinger lui-même l’admet dans sa réponse aux Dubia de Mgr Lefebvre:

En conséquence, la liberté religieuse est un droit négatif. Comme toute négation suppose une affirmation, ce droit négatif suppose un autre droit positif. Or, ce droit positif n’est pas celui de répandre l’erreur, mais celui (qui est en même temps un devoir grave) de chercher la vérité et de rendre culte à Dieu. Ce grave devoir est le fondement de la prétention de la personne à un espace social d’activité autonome.

L’explication fournie n’est pas pour autant satisfaisante. Il n’y a aucun lien logique voire même plus une contradiction entre le droit positif: “Rechercher la Vérité et rendre un culte à Dieu” et le droit négatif: “Répandre l’erreur par la participation publique à des cultes non-catholiques.”

Par ailleurs, si l’on considère que le droit négatif est uniquement le droit de ne pas empêcher d’agir, il faut se rendre à l’évidence: il est tout autant condamné.

Et contre la doctrine de la Sainte Écriture, de l’Église et des saints Pères, ils affirment sans hésitation que: « la meilleure condition de la société est celle où on ne reconnaît pas au pouvoir le devoir de réprimer par des peines légales les violations de la loi catholique, si ce n’est dans la mesure où la tranquillité publique le demande ». À partir de cette idée tout à fait fausse du gouvernement des sociétés, ils ne craignent pas de soutenir cette opinion erronée, funeste au maximum pour l’Église catholique et le salut des âmes, que Notre Prédécesseur Grégoire XVI, d’heureuse mémoire, qualifiait de « délire ».

Pie IX, Quanta Cura, 1864

Objection 4: Quanta Cura condamne une liberté effrénée tandis que Dignitatis Humanae promeut une liberté dans de justes limites.

Réponse: Laissons Mgr Lefebvre répondre à cette objection (extrait tiré des Dubia):

« Nous avons cité trois des propositions condamnées par Pie IX dans Quanta Cura; un parallèle troublant ressort de la comparaison de ces trois propositions avec trois affirmations correspondantes de « Dignitatis humanæ »:

  • (A) « La meilleure condition de la société est celle où on ne reconnaît pas au pouvoir l’office de réprimer par des peines légales les violateurs de la religion catholique, si ce n’est lorsque la paix publique le demande »
  • (A’) « En matière religieuse, que nul ne soit […] empêché d’agir selon sa conscience, en privé et en public, seul ou associé à d’autres, dans de justes limites »
  • (B) « La liberté de conscience et des cultes est un droit propre à chaque homme »
  • (B’) « La personne a droit à la liberté religieuse. Cette liberté consiste en ce que… » […]

Objection: (B’) admet les « justes limites » de (A’), tandis que (B) semble être un droit revendiqué sans limite. Autrement dit, Quanta Cura condamnerait une liberté effrénée (sans limite), tandis que Vatican Il déclarerait une liberté modérée et échapperait ainsi à la condamnation portée par Quanta Cura.

Réponse: (B) affirme seulement que la liberté en question est un droit. Mais ce droit, dans son exercice sera limité par les exigences de la paix publique (A). Donc Quanta Cura ne condamne pas cette liberté en tant qu’effrénée.
Sans doute, la « paix publique » est loin de recouvrir tout le contenu des « justes limites » indiquées par Vatican II. Comme nous l’avons dit (XVIII, 3, b), les justes limites préconisées par DH sont celles de l’ordre public, qui englobe dans son ampliation non seulement le maintien de la paix publique, mais aussi la sauvegarde des droits de chacun et la protection de la morale publique qui doit respecter un « ordre moral objectif ».

Mais au fond, peu importe cette différence ! (B) et (B’) conviennent en ceci que la liberté religieuse en question ne peut être limitée pour des raisons intrinsèques (fausseté de la religion envisagée) mais uniquement pour des raisons extrinsèques et « per accidens »: paix publique ou ordre moral objectif.

  • C’est cela que déclare Vatican II, par exemple quand il précise: « le pouvoir civil […] sort de son domaine s’il s’arroge le droit […] d’empêcher des cultes religieux » (DH. 3, in fine): ce qui signifie: s’il empêche des actes religieux pour ce seul motif qu’ils sont jugés faux, ou contraires à la religion catholique, ou pour tout autre raison proprement religieuse intrinsèque à la religion envisagée.
  • C’est aussi ce qu’exprime bien Quanta Cura par l’opposition faite dans la proposition (A), entre: d’une part « les violateurs de la religion catholique » c’est-à-dire ceux qui transgressent simplement les prescriptions cultuelles ou disciplinaires de I’Eglise catholique (motif intrinsèque à la religion envisagée), et d’autre part ceux qui troubleraient la « paix publique », élément extrinsèque et « per accidens » à la profession du culte envisagé.

Résumons: (B) et (B’) proclament le même droit. Et quant à l’exercice de ce droit, (A) et (A’) en précisent les limites et conviennent toutes deux en ceci que le droit à la liberté religieuse ne peut pas être limité pour des raisons intrinsèques à la religion en question. Eh bien c’est cela que déclare Vatican II, et que condamne Quanta Cura. Ou, pour mieux s’exprimer: c’est cela que déclare « simpliciter et per se » Vatican II, tout en prévoyant des limites « secundum quid et per accidens », et que condamne « simpliciter et per se » Quanta Cura, en précisant que les limites « secundum quid et per accidens » ne sont pas les seules à devoir limiter la liberté religieuse. »

Objection 5: L’État n’a pas à défendre les droits de l’Église. Quanta Cura entend l’ordre public comme Dignitatis Humanae.

Réponse: Cette position mène inévitablement à la séparation de l’Église et de l’État, telle que pensée par Ratzinger:

Il n’est pas de la compétence de l’Etat en tant que tel de discerner la vérité en matière religieuse (à part en ce qui se rapporte à la morale naturelle, à ce qui peut limiter, comme on vient de le dire, les manifestations portant atteinte au bon ordre public). Ce principe est basé sur la distinction des fins et des moyens propres à l’Eglise et à l’Etat.

Réponse adressée par la Sacrée Congrégation romaine pour la doctrine de la foi aux Dubia sur la liberté religieuse présentées par S.E. Mgr Lefebvre

Si l’on cherche un diagnostic global de [Gaudium et Spes], on pourrait dire qu’il est une révision du Syllabus de Pie IX, une sorte de contre-Syllabus. Harnack, on le sait, a interprété le Syllabus de Pie IX tout simplement comme un défi à son siècle; ce qu’il y a de vrai, c’est qu’il a tracé une ligne de Séparation devant les forces déterminantes du XIXe siècle: les conceptions scientifiques et politiques du libéralisme. […]

L’attachement unilatéral, conditionné par la situation, aux positions prises par l’Eglise à l’initiative de Pie IX et de Pie X contre la nouvelle période ouverte par la Révolution française avait été dans une large mesure corrigé via facti; mais une détermination fondamentale nouvelle des rapports avec le monde tel qu’il se présentait depuis 1789 manquait encore. […]

Presque personne ne conteste plus que les concordats espagnols et italiens cherchaient à conserver beaucoup trop de choses d’une conception du monde qui depuis longtemps ne correspondait plus aux données réelles. De même presque personne ne peut contester qu’a cet attachement à une conception périmée des rapports entre l’Église et l’État correspondaient des anachronismes semblables dans le domaine de l’éducation. […]

Contentons-nous ici de constater que le texte joue le rôle d’un contre-Syllabus dans la mesure où il représente une tentative pour une réconciliation officielle de l’Eglise avec le monde tel qu’il était devenu depuis 1789…

Joseph Ratzinger, Les principes de la théologie catholique, 2005

Cette erreur pernicieuse qu’est la séparation de l’Église et de l’État a été de nombreuses fois condamnée par le magistère:

LV. L’Église doit être séparée de l’État, et l’État séparé de l’Église.

Pie IX, Syllabus, 1864 (Proposition condamnée)

Qu’il faille séparer l’Etat de l’Eglise, c’est une thèse absolument fausse, une très pernicieuse erreur. Basée, en effet, sur ce principe que l’Etat ne doit reconnaître aucun culte religieux, elle est tout d’abord très gravement injurieuse pour Dieu, car le créateur de l’homme est aussi le fondateur des sociétés humaines et il les conserve dans l’existence comme il nous soutient.

Nous lui devons donc, non seulement un culte privé, mais un culte public et social, pour l’honorer.

En outre, cette thèse est la négation très claire de l’ordre surnaturel; elle limite, en effet, l’action de l’Etat à la seule poursuite de la prospérité publique durant cette vie, qui n’est que la raison prochaine des sociétés politiques, et elle ne s’occupe en aucune façon, comme lui étant étrangère, de leur raison dernière qui est la béatitude éternelle proposée à l’homme quand cette vie si courte aura pris fin.

Saint Pie X, Vehementer Nos, 1905

Objection 6: Pie XII enseigne que la laïcité est une doctrine traditionnelle de l’Église:

Que vos cités soient une partie vivante de l’Eglise. Il y a des gens, en Italie, qui s’agitent parce qu’ils craignent que le christianisme enlève à César ce qui est à César. Comme si donner à César ce qui lui appartient n’était pas un commandement de Jésus; comme si la légitime et saine laïcité de l’Etat n’était pas un des principes de la doctrine catholique; comme si ce n’était pas une tradition de l’Eglise, de s’efforcer continuellement à maintenir distincts, mais aussi toujours unis, selon les justes principes, les deux Pouvoirs; comme si, au contraire, le mélange entre le sacré et le profane ne s’était pas plus fortement vérifié dans l’histoire quand une portion de fidèles s’était détachée de l’Eglise.

Pie XII, Allocution à la colonie des marches, 1958

L’État n’a donc pas à défendre les droits de l’Église et donc à réprimer l’hérésie.

Réponse: Il suffit de bien lire le texte pour comprendre que Pie XII parle d’une juste distinction entre les deux pouvoirs, et non pas d’une séparation totale. Cela n’implique pas la condamnation d’un État confessionnel.

Objection 7: Les « violatores » dont parle Pie IX sont des violateurs physiques ou verbaux. Il ne s’agit pas de toute personne dans l’erreur qui ne respecte pas intégralement les lois de Dieu et de l’Église.

Réponse: Tout faux culte constitue une violation morale des lois de l’Église et de Dieu, donc de la religion catholique. C’est une offense à Dieu qui doit donc être empêchée dans l’esprit de Pie IX.

Objection 8: Peu importe que Pie IX parle de violation morale puisque Dignitatis Humanae enseigne que le respect des droits des personnes constitue une limite à la liberté religieuse:

En outre, comme la société civile a le droit de se protéger contre les abus qui pourraient naître sous prétexte de liberté religieuse, c’est surtout au pouvoir civil qu’il revient d’assurer cette protection; ce qui ne doit pas se faire arbitrairement et en favorisant injustement l’une des parties, mais selon des normes juridiques, conformes à l’ordre moral objectif, qui sont requises par l’efficace sauvegarde des droits de tous les citoyens et l’harmonisation pacifique de ces droits, et par un souci adéquat de cette authentique paix publique qui consiste dans une vie vécue en commun sur la base d’une vraie justice, ainsi que par la protection due à la moralité publique.

Vatican II, Dignitatis Humanae 7, §3

Réponse: Vatican II exclut ici véritablement les droits de l’Église, la déclaration conciliaire perdrait de toute façon tout son sens dans le cas contraire.

Objection 9: On ne peut confondre paix publique naturaliste et ordre publique juste. Ce dernier, commenté par Dignitatis Humanae, comprend dans sa définition la morale objective, le respect des droits de tous et la vraie paix publique. Pie IX enseigne donc enseigne ici implicitement la proposition « l’État a le devoir de réprimer les violateurs de la religion catholique même lorsqu’ils ne troublent pas la paix publique »; Dignitatis Humanae enseigne implicitement la proposition: « l’État n’a le devoir de réprimer les violateurs de la religion catholique que lorsqu’ils violent l’ordre public juste objectif »

Réponse: Encore une fois, l’exercice d’un faux culte constitue une violation de la religion catholique. Ainsi, les limites posées par Vatican II ne sont pas suffisantes, et s’apparentent finalement à celles condamnées par Pie IX.

Objection 10: Vatican II donne pour limites l’ordre moral objectif. Par conséquent, Dignitatis Humanae enseigne que l’État peut interdire la pornographie et autres immoralités. C’est donc un enseignement traditionnel.

Réponse: La seule autorité pouvant se prononcer sur la morale objective est l’Église. Pourtant, nulle part Dignitatis Humanae ne confère ce droit uniquement aux catholiques mais plutôt aux religions de manière générale. Le contraire impliquerait encore une fois une contradiction puisque tout faux culte est une atteinte à la morale, et aux deux premiers commandements en particulier. Saint Robert Bellarmin disait aussi de l’Islam:

La loi de Mahomet est opposée à la morale la plus élémentaire. C’est, d’après saint Jean Damascène, un assemblage monstrueux, un accouplement bizarre, informe, effrayant de mille superstitions. Le judaïsme lui a donné son horreur du porc, la polygamie, le divorce, la circoncision et les ablutions multipliées. L’arianisme lui a transmis son impiété sur le Verbe, le nestorianisme lui a prêté son hérésie sur le Christ. Manès lui a appris que le Fils de Marie n’était pas mort et qu’il fallait s’abstenir de vin. Aristippe et Épicure lui ont enseigné que le bonheur suprême consistait dans la possession de beaux jardins, de nombreuses épouses, et dans toutes les jouissances charnelles.

Saint Robert Bellarmin, Discours, I, V

Ceci peut être aussi dit de la plupart des fausses religions et notamment du luthérianisme. Or, Dignitatis Humanae est censé accorder la liberté religieuse à ces cultes, la déclaration conciliaire donnerait donc une liberté à des personnes dans l’erreur, sauf si elles sont dans l’erreur… ce qui constitue une contradiction évidente.

Objection 11: Vatican II donne le droit à la liberté religieuse aux gens qui suivent leur conscience de bonne foi, alors que Pie IX la condamne pour ceux qui suivent leur propre volonté, même si celle-ci va à l’encontre de leur conscience.

Réponse: Pour résumer, Vatican II accorderait une liberté de suivre sa conscience là où Pie IX la condamnerait pour ceux qui suivent leurs caprices. Enième tentative de réconciliation entre les deux textes qui échoue encore, Dignitatis Humanae accordant la liberté religieuse même aux personnes de mauvaise foi:

C’est pourquoi le droit à cette exemption de toute contrainte persiste en ceux-là mêmes qui ne satisfont pas à l’obligation de chercher la vérité et d’y adhérer; son exercice ne peut être entravé, dès lors que demeure sauf un ordre public juste.

Objection 12: Pie XI a enseigné le droit à la liberté religieuse dans Mit Brennender Sorge:

Le croyant a un droit inaliénable à professer sa foi et à la vivre comme elle veut être vécue. Des lois qui étouffent ou rendent difficiles la profession et la pratique de cette foi sont en contradiction avec le droit naturel.

Pie XI, Mit Brennender Sorge, 1937

À moins de refuser Pie XI, on doit donc admettre l’orthodoxie de la liberté religieuse.

Réponse: Pie XI parle ici seulement des catholiques. Nous en voulons pour preuve qu’il précise au début de l’encyclique que seuls ceux qui associent à Dieu le vrai concept de divinité le connaissent:

Prenez garde, Vénérables Frères, qu’avant toute autre chose la foi en Dieu, premier et irremplaçable fondement de toute religion, soit conservée en Allemagne, pure et sans falsification. Ne croit pas en Dieu celui qui se contente de faire usage du mot Dieu dans ses discours, mais celui-là seulement qui à ce mot sacré unit le vrai et digne concept de la divinité.

Pie XI parle donc très clairement de foi surnaturelle et non de toutes les religions. D’ailleurs, Pie XI appelle les fidèles (catholiques) les « Gläubigen » (les croyants) et dans cette phrase la version originale utilise les mots: « der Gläubige Mensch » (ce qui se traduit littéralement par « l’homme croyant »).

Objection 13: Pie XII enseigne la liberté religieuse dans son discours aux juristes italiens:

En d’autres termes, on demande si le fait de « ne pas empêcher » ou de tolérer est permis dans ces circonstances et si, par là, la répression positive n’est pas toujours un devoir.

Nous avons invoqué tantôt l’autorité de Dieu. Bien qu’il lui soit possible et facile de réprimer l’eireur et la déviation morale, Dieu peut-il choisir dans certains cas de « ne pas empêcher » sans entrer en contradiction avec son infinie perfection ? Peut-il se faire que, dans des circonstances déterminées, Il ne donne aux hommes aucun commandement, n’impose aucun devoir, ne donne même aucun droit d’empêcher et de réprimer ce qui est faux et erroné ? Un regard sur la réalité autorise une réponse affirmative. Elle montre que l’erreur et le péché se rencontrent dans le monde dans une large mesure. Dieu les réprouve; cependant il leur permet d’exister. Donc l’affirmation: l’erreur religieuse et morale doit toujours être empêchée quand c’est possible, parce que sa tolérance est en elle-même immorale — ne peut valoir dans un sens absolu et inconditionné.

Pie XII, Discours aux juristes italiens, 1953

Réponse: Pie XII prône à l’évidence une tolérance religieuse dans certains cas, tout en réaffirmant le devoir de l’État de réprimer l’erreur. Ce texte ne peut donc être comparé à Dignitatis Humanae.

Conclusion

On voit donc une contradiction frappante entre Quanta Cura et Dignitatis Humanae, l’encyclique de Pie IX ayant été par ailleurs confirmée par des siècles de tradition dans l’Église.

Pour résumer, on pourra dire que pour Pie IX, la norme est la répression de l’erreur dans les limites du bien commun (ordre public juste) alors que pour Vatican II, la norme est plutôt la liberté des cultes erronés dans les limites d’un ordre public naturaliste et maçonnique.

Une seule conclusion logique s’impose, le Concile Vatican II n’était pas un Concile œcuménique pour la simple et bonne raison que celui qui le présidait n’avait pas l’autorité pontificale et donc le charisme de l’infaillibilité.

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One thought on “La Liberté Religieuse, synthèse du problème

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