Le royaume de Dieu – la Comédie Française

À travers une évocation dramatique puissante, Le royaume de Dieu, joué à la RTF le 25 février 1962 par la Comédie Française, Mgr F. Ducaud-Bourget rappelle les multiples maux qui salissaient et troublaient l’Église au temps du Pape Grégoire VII, (entre 1075 et 1106) et comment celle-ci, par l’intermédiaire de son Chef, forte de son droit et consciente de son devoir, réagissait malgré les dangers qui pouvaient surgir de ses décisions. Elle doit remplir sa mission coûte que coûte.
Voici quelques extraits de cette pièce, où l’on peut voir exposés avec force la grandeur et la responsabilité du Sacerdoce et encore plus du Sacerdoce Suprême, la Fidélité due à la Foi et à la Morale par chaque chrétien, la sainte liberté d’action du pouvoir spirituel sur le pouvoir temporel. Libre à vous de faire des rapprochements à la situation actuelle… Mais surtout, restons toujours fidèles : notre Église est de nature divine !
Grégoire, le Pape, qui vient de convoquer plusieurs cardinaux. : C’est pourtant simple. Aurais-je à vous expliquer, à vous gardiens de la Doctrine et Docteur de la foi, à quoi sert notre religion ? Je vous le demande. N’est-ce pas à unir l’humanité à la divinité ? Lien céleste, elle tire touit vers le ciel. Mais rien d’impur ne peut paraître devant Dieu. Il faut donc que la religion enseigne la pureté. « Soyez saints parce que je suis saint… » dit le Seigneur. « Soyez parfaits comme le Père céleste est parfait… » répète le Christ. Et cet enseignement s’adresse à tous, à tous les croyants, à tous les hommes. Et si Dieu exige cette sainteté des simples humains, que va-t-il demander à ceux qu’Il a choisis pour les convertir, les encadrer, les diriger, les commander dans la voie du salut ? Seront-ils dispensés de la loi commune, de pratiquer les vertus qu’ils enseignent ? Ou, au contraire, ne seront-ils pas tenus à plus de générosité, de sacrifice, d’héroïsme… comme ces capitaines qui se font tuer à la tête de leur troupe, les entraînant à leur suite vers la victoire ?
Cardinal d’Albano : Qui se font tuer…
Grégoire : Oui… nous devons mourir pour que les autres vivent. Nous devons nous immoler, nous dévouer. Si nous prêchons la doctrine de la croix, c’est du haut de la croix que nous devons le faire ; c’est cloués sur la croix que nous devons parler ; c’est la croix qui doit être notre chaire, notre tribune. Qui nous croira, qui croira nos discours si nous ne les avons pas déjà mis en action ?
Cardinal d’Ostie : Mais le mariage n’est pas un péché.
Grégoire : Certes. Mais il crée des devoirs qui ne peuvent se concilier avec l’absolu dévouement exigé par le service des âmes. Il empêche l’oubli de soi, la maîtrise de soi, l’affermissement de la volonté et la concentration de l’amour sur le seul Amour qui puisse les sauver, nous sauver… le seul Amour qui a sauvé le monde… sur la croix.
Cardinal d’Ostie : Mais les époux doivent s’aimer en Dieu et Lui susciter de nouveaux adorateurs. Ils peuvent procréer des prêtres…
Grégoire : évidemment. L’on peut sauver son âme dans le mariage, et même s’y sanctifier mutuellement… en théorie. Mais le but est forcément limité à la seule famille. Pour le prêtre, son rayonnement sanctificateur est sur tout l’univers… Et nulle lien, nulle attache de corps, d’esprit, de cœur ne doit l’empêcher de faire face aux sacrifices indispensables à sa mission.
Cardinal de Velletri : Oui… en cas d’épidémie… de misère publique…
Grégoire : Hé ! L’épidémie est constante. La misère est universelle. L’ignorance la plus mortelle misère. L’hérésie est l’épidémie constante. Sans cesse les âmes sont menacées, ou débiles, ou malades, ou mortes. Sans cesse le prêtre doit les animer, les réanimer, les veiller, les soutenir, les fortifier, les guérir… Comment pourrait-il s’y consacrer totalement s’il y avait un foyer à sa charge, une femme, des enfants ? Il se devrait d’abord à eux. Sa vocation sacerdotale passerait au second plan. L’œuvre de Dieu attendrait que le soin de sa famille lui permît de penser à celui des autres. Or, une famille exige tous les soins d’un honnête homme. Et Dieu serait sacrifié… (…)
Grégoire : Il y aura toujours des gens pour accuser la Loi de créer le désordre parce qu’elle réprime en le dévoilant.
Cardinal d’Albano : Telle n’est pas ma pensée… mais je redoute les conséquences…
Grégoire : Ils sont entre les mains de Dieu… et c’est pour Lui que nous agissons.
Cardinal de Velletri : Mais on ne comprendra pas…
Grégoire : Qui comprend la Vérité ? Qui peut comprendre Dieu ? … Il ne s’agit pas de comprendre, mais de Lui obéir.
Cardinal d’Ostie : Lui obéir… ? À Dieu ?
Grégoire : Vous ignorez, Illustrissime, que l’univers – et nous en lui – doit obéir à Dieu ?
Cardinal d’Ostie : Non, certainement… Mais dans ce cas…
Grégoire : Ce sont les droits de l’Église… les droits de Dieu que nous défendons.
Cardinal de Palestrina : Sont-ils bien les mêmes ? L’Église est divine, oui… mais elle est aussi terrestre…
Grégoire : L’Église est le Fils de Dieu continuant à vivre en ce monde.
Cardinal d’Albano : Une réincarnation ?
Grégoire : Non ! L’Incarnation se parachevant dans le Corps mystique.
Cardinal d’Ostie : Le Corps mystique ?… Qui ?
Grégoire : Vous… moi… tous… dans la grâce… dans la Lumière de l’Évangile… dans la Vie du Seigneur Jésus. (…)
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Le Diacre (qui fait la lecture au Pape) : « Car un temps viendra où les hommes ne supporteront plus la saine doctrine, mais au contraire au gré de leurs passions… ils détourneront l’oreille de la Vérité pour se tourner vers des fables… »
Grégoire : Ce temps est venu. Il est le nôtre. Le vin de l’Évangile est trop fort pour ces gorges malades. Il leur faut le miel de la flatterie. Ce qui berce leurs ambitions matérielles, leur cupidité, leur vanité, leur luxure… Ce qui prétend apaiser leur malaise de vivre sans Dieu, hors de Dieu. Ils ne veulent plus de la Doctrine, leur seul remède parce que la seule vraie… la doctrine du Christ crucifié. Ils ne veulent plus de la croix, du sacrifice, de l’obéissance, de l’ordre. Or de la croix, il n’y a plus que passions aveugles, révolte, désordre… souffrance. Et c’est vers leurs passions qu’ils vont, en s’éloignant de l’Évangile… vers leur malheur… Tu entends, mon enfant, ce que saint Paul écrivait à son disciple : « Ils se tourneront vers des fables… »
Le Diacre : Vers eux-mêmes… qui ne sont qu’erreur et mensonge.
Grégoire : Ils ne veulent pas admettre qu’il n’y a qu’une Vérité, qu’elle est éternelle et que rien ni personne ne peut l’empêcher d’être… Mon enfant, la Vérité nous a tous appelés, tous les hommes jusqu’à la fin des temps. Elle nous a appelés pour que nous la recevions et soyons heureux en Elle. Même, elle est venue à nous, qui sommes siens, qu’elle a créés, non pour son bonheur, mais pour le nôtre, pour faire le nôtre en se donnant à nous… et tu vois la faiblesse, la stupidité, l’ingratitude du monde : Elle s’est incarnée, elle est venue à nous sous la forme adorable du Seigneur Jésus ; elle est venue parmi les siens, parmi ceux qui lui appartiennent par son droit de création… et les siens ne l’ont pas reçue… Peux-tu concevoir une telle misère… ou un tel crime ? Et non seulement ils n’ont pas reçue… mais ils l’ont chassée, insultée, torturée, avant de la clouer par les quatre membres sur une croix infâme.
Le Diacre : Pauvre… pauvre Dieu !
Grégoire : Et ce ne sont pas les seuls juifs qui ont commis le crime… Il est celui de toutes les générations depuis le Calvaire… depuis dix siècles ! Dix siècles de refus, dix siècles de faux prétextes, dix siècles de négation. Oui…, « predica opportune, importune… » Donne au monde la Parole divine afin qu’il la vicie, la trouble, la mélange, l’empoisonne pour s’enivrer d’erreurs. Donne le Verbe de Dieu pour qu’on le déchire sur des millions de croix. Donne-leur l’Agneau de Dieu pour qu’ils le sacrifient sur les hôtels de leurs idoles intimes, de leurs vices, de leur fausses divinités.
Le Diacre : Père… mais alors… pourquoi leur offrir cet Évangile qui les condamnera, puisqu’ils l’auront repoussé ? Pourquoi leur parler de Dieu, puisqu’ils ne peuvent croire qu’en eux-mêmes ? Puisque le culte de l’homme se dresse contre le culte de Dieu… à quoi bon le leur prêcher ? Laissons-les dans leur ignorance. Ils seront moins coupables. Les ténèbres sont mauvaises de n’avoir pas accueilli la Lumière quand elle s’est révélée à elles. Mais si elles n’avaient jamais aperçu la Lumière… elles ne seraient pas responsables de rester ténèbres. Elles ne seraient pas coupables…
Grégoire : Mais alors… ce serait nous les coupables. (il lit.) « Pour toi, sois prudent en tout, supporte l’épreuve, fais œuvre de prédicateur de l’Évangile, acquitte-toi à la perfection de ton ministère… » Il n’y a plus rien à ajouter. Faisons notre devoir de chrétiens, de disciples du Christ, de prêtres du Seigneur. Enseignons, répétons toujours quand même, sans attendre, sans espérer le succès. Nous n’avons pas été appelés au sacerdoce pour triompher, mais pour prêcher la parole et proclamer le Règne de Dieu sur la terre comme au ciel. Si les hommes ne veulent pas accepter leur Roi, s’ils le crucifient chaque jour… et nous avec Lui… si nous sommes vaincus avec Lui… c’est sans aucun doute dans l’ordre et selon la pensée du Père. Nous ne sommes pas prêtres pour le succès, la gloire ou les honneurs. Nous sommes prêtres pour enseigner la croix et le crucifiement. Et la meilleure prédication, la plus opportune, la plus efficace est d’être crucifié, de se crucifier soi-même, par imitation, par fusion d’amour avec le Crucifié. (…)
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Grégoire : Il n’est pas de comprendre, mais de croire et d’aimer… Vois-tu, nous n’y pouvons rien. La Révélation est la Vérité substantielle que rien ni personne ne peut changer. La Vérité EST. Qu’on la comprenne ou non, elle EST. Si les hommes n’admettent pas cela, cette réalité, ils pourront se livrer durant des siècles à leurs raisonnements subtils et profonds, ils pourront susciter des hypothèses, inventer des systèmes bouleversants… mais ils n’arriveront à rien qu’au malheur, à leur malheur. « Que sert à l’homme de gagner l’univers s’il vient à perdre son âme ? » Tout est là. Dans le surnaturel, dans le royaume de Dieu… Henri de Germanie n’a pas compris cela. Bien d’autres chefs d’État, au long des âges, à sa suite, ne le comprendront pas et dresseront leur force contre la Vérité. La matière contre l’Esprit du Christ. La Nature contre la Surnature. L’homme contre Dieu… Ils ne pourront rien contre un adversaire éternel. Ils remporteront peut-être des succès apparents. Ils seront peut-être un jour, unis au démon le prince de ce monde, les maîtres du monde physique, les dominateurs de la matière, les sectateurs de l’Arbre de Science. C’est possible. Jésus a dit : « Lorsque je reviendrai sur terre, y retrouverai-je encore la foi ? » Il la retrouvera en quelques-uns, certes, dans son Église décimée, par qui Il continue de vivre sa Vérité, sa Révélation. Il sera vaincu en apparence, comme au Vendredi Saint. En apparence. Car il y a toujours Pâques, ensuite. Le triomphe du Ciel sur la terre, la gloire éternelle du Vrai.
Le Diacre : « La figure de ce monde passe… »
Grégoire : Mais notre tâche est de lui donner, de lui rendre sa vraie figure. Il a été créé par Dieu pour Dieu, et Dieu a vu que c’était bien. Mais l’homme ennemi a semé l’ivraie dans le bon champ. Et si nous n’avons pas à l’arracher jusqu’au moment de la moisson, nous devons veiller pour que la mauvaise herbe n’étouffe pas le pur froment… pour que le mensonge n’éteigne pas la Vérité. Car le Maître du champ a droit à la récolte. Il est juste que ses serviteurs travaillent pour qu’elle soit belle, copieuse et lourde. (…)
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L’Évêque de Brême (investi naguère par l’empereur d’Allemagne qui vient de mourir) : On ne parle pas ainsi d’un mort.
Le Diacre : (devenu Cardinal, Légat du Saint Siège) : Cela ajoute-t-il quelque chose à sa valeur, qu’il soit mort ? La mort ajoute-t-elle aux vertus ? Efface-t-elle les vices et les crimes vivants ? Si vous voulez qu’on vous juge bien après votre mort, vivez comme vous devez vivre. Soyez honorable vivant si vous voulez être un mort honoré. Il faut gagner sa mort… sa haute mort.
L’Évêque de Brême : Cependant…
Le Diacre : Non, Messire Évêque. Le mensonge est le mensonge, même quand il s’applique à un mort. Ce serait trop commode, autrement. L’on pourrait tuer, piller, violer, abuser de son pouvoir, de sa force, de son rang, commettre toutes les abominations possibles… et ensuite, parce que l’on commence à pourrir, on serait respectable ? (…) Auriez-vous peur que le mort se venge ? Vous me feriez rire. Mes jours commencent à être nombreux. J’ai vu beaucoup de gens et de choses, mais je n’ai jamais constaté la vengeance des morts, des méchants morts… Soyez en paix, Messire (…)
L’Évêque de Brême : On ne peut cependant pas traiter les restes de l’Emp… comme ceux d’un condamné…
Le Diacre : Pourquoi pas… Puisqu’il est un condamné… et même un condamné qui n’a pas accompli sa peine en ce monde… un condamné qui s’est évadé, qui a bravé la sentence, qui s’est moqué de son juge et même, ô folie criminelle ! qui a prétendu le juger à son tour. Il est mort, maintenant, mais sa condamnation vit toujours. Elle prend possession de son objet.
L’Évêque de Brême : De sa victime.
Le Diacre : Lui, une victime ? Celui qui jeté le trouble dans la chrétienté ? Qui a suscité la révolte contre l’esprit ? Lui qui a damné les âmes et combattu le Christ de la terre ? Lui qui a versé le sang des innocents, volé le pain des pauvres, usurpé les droits de l’Église… une victime ! Nouveau langage. Nouvelle morale. Nouvelle religion.
Y a-t-il un fait qui soit contesté parmi ceux affirmés ici ?
https://www.la-croix.com/Les-formations-Croire.com/Histoire-de-l-Eglise/Les-papes-du-XXe-siecle/Leon-XIII-au-tournant-de-la-modernite/Leon-XIII-au-tournant-de-la-modernite
F. Ducaud-Bourget fut un grand défenseur de Marcel Lefebvre.
https://laportelatine.org/formation/crise-eglise/le-franc-parler-de-mgr-ducaud-bourget-en-defense-de-la-tradition#h-d-fenseur-de-mgr-lefebvre
Un peu de chronologie sur les réformes accomplies par Vatican II :
(Loupiac-Deffayet Laurence. Amici Israel : les raisons d’un échec : des éléments nouveaux apportés par l’ouverture des archives du Saint- Office. In: Mélanges de l’École française de Rome. Italie et Méditerranée, tome 117, n°2. 2005. Sanctuaires français et italiens dans le monde contemporain, p. 832 – j’ai donné le lien de cet article dans un récent commentaire, avec sa conclusion, laquelle rappelle très pertinemment le lien entre lex orandi et lex credendi).
Et après ces réformes ?
Pie XII mourut en 1958. Jean XXIII ouvrit le concile de Vatican II en 1962 et mourut en 1963. Son successeur, Paul VI, célébra la prrmière messe en vernaculaire en mars 1965, clôt le concile en décembre (Nostra Ætate ayant été promulgée dès le), et l’adoption du nouveau missel se fit en 1969, . F. Ducaud-Bourget refusa d’appliquer cette dernière réforme à la chapelle de l’hôpital Laënnec, et en fut donc exclu en 1971. Il fit partie de ceux qui s’emparèrent de Saint-Nicolas-du-Chardonnet en 1977. Il mourut en 1984. L’abbé Philippe Laguérie lui succéda à Saint-Nicolas.