L’Église calomniée, 1ère partie : une institution meurtrière ? – Marion Sigault
Bref catalogue des principales calomnies proférées par les gens des Lumières, contre l’Église catholique. Les affaires Calas, chevalier de la Barre, la chasse aux sorcières, Giordano Bruno… Autant d’affaires qui font le miel des anticléricaux, et ne sont que mensonges.
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Ecclesia abhorret a sanguine : application du principe.
Gilles Henri. Peine de mort et droit canonique. In: La mort et l’au-delà en France méridionale (XIIᵉ-XVᵉ siècles), Toulouse : Éditions Privat, 1998. pp. 393-416. (Cahiers de Fanjeaux, 33).
https://www.persee.fr/doc/cafan_0575-061x_1998_act_33_1_1709
D’accord pour l’affaire Calas, où le dossier me paraît aller dans ce sens ; je crois aussi qu’il en va de même pour le chevalier de La Barre. Quant à la chasse aux sorcières, les ennemis de l’Église ont imaginé des chiffres invraisemblables, négligé de comparer à ce qui se passait hors des pays catholiques, et oublié que ce n’est qu’une partie de l’histoire de l’Église, qui pendant son premier millénaire ne s’y est pas souillée, ni lors des derniers siècles – encore que dans certains pays cela se fît plus longuement.
Pour le cas de Giordano Bruno, les défenseurs de l »Église ont des arguments à faire valoir, mais, me semble-t-il, sûrement pas ceux de mademoiselle Sigaut.
Extrait des commentaires sous cette vidéo :
L’article en lien par lequel mademoiselle Sigaut répond se contente de renvoyer vers un site recopiant un article paru au dix-neuvième siècle, d’un certain Théophile Desdouits.
http://www.biblisem.net/etudes/desdbrun.htm
Les arguments de cet article sont tout sauf probants. Seule une lettre d’un Allemand séjournant à Rome et ayant assisté au supplice prouverait le supplice, et elle serait douteuse. Car :
• Elle se trouve dans un livre où le nom de l’auteur, celui de l’éditeur et le nom du lieu d’édition sont faux. Mais Desdouits reconnaît qu’on trouve des faits réels jusque dans la fiction., et que, si c’est un faux, il est d’une si grande vraisemblance qu’il échappe à la critique (« Nous avons reconnu que le récit attribué à Schopp est naturel, vraisemblable, et qu’il a en lui-même une apparence de vérité. Mais comme le métier des faussaires est précisément de produire cette apparence de vérité, il nous est impossible de conclure, du naturel d’un récit, à son authenticité. Nous ne ferons pas non plus difficulté d’avouer que le style ne dément pas le nom de Gaspard Schopp. » – remarque : il n’existe pas d’école de faussaires, et c’est ce qui fait que peu de faux résistent même à une critique élémentaire).
• L’auteur, Gaspard Schopp ou Scoppius, y mentionne les tribulations de Giordano Bruno, que, selon Desdouits, son correspondant n’aurait pas dû ignorer compte tenu du bruit qu’elles avaient causé.
Mais les nouvelles en 1600 circulaient lentement, rien ne permettait donc de supposer a priori que son destinataire les connaissait, et rien ne permet encore de le supposer ; l’admettrait-on que l’on serait dans le cas d’hommes, aujourd’hui, commentant les informations. Et Bruno érait depuis des années emprisonné. Qui, évoquant Julian Assange, bien plus connu que ne le fut Bruno, et à une époque où l’information circule incomparablement mieux et plus vite, croirait ne pas devoir préciser ses tribulations, en évoquant son cas ?
• Schopp était alors dévoué à la papauté, donc dans une lettre à un luthérien il n’aurait pas évoqué, en s’en félicitant en plus, le supplice d’un hérétique.
« Pensait-il édifier et son ami, et les luthériens d’Allemagne, en leur disant que, si l’inquisition a brûlé Giordano Bruno, en revanche, la formule de la sentence n’avait rien de terrible, et qu’en livrant la victime au bras séculier, on avait adouci les rigueurs de l’exécution par des paroles ironiques de clémence ? Si c’est un ami de Rome qui écrivait cela, c’était un ami bien maladroit, et j’inclinerais plutôt à croire que ce récit est une invention d’un sage ennemi. »
C’est un anachronisme et un contre-sens à la fois que commet Desdouits : Giordano Bruno avait failli être brûlé à peu près partout où il était allé ; nous trouvons cela horrible (heureusement), mais à l’époque on louait ce qui semblait une rigueur salvatrice pour les âmes, et on reprochait à l’Église de ne pas assez réprimer : oui, à l’époque ces mesure contre les hérétiques étaient bien vues, et Desdouits n’a pas ici l’excuse de l’ignorance, car il le sait parfaitement (« Mais tout le monde sait que c’est un mensonge [que la fréquence des bûchers à Rome] ; tout le monde convient que ces rigueurs, habituelles dans les autres pays de l’Europe, n’étaient pas habituelles à Rome. »). Voulant montrer qu’un intransigeant défenseur de l’Église, comme l’était à l’époque Schopp (avant d’en devenir un ennemi), n’aurait jamais écrit une lettre saluant l’usage du bûcher, Desdouits prouve l’inverse, et montre par cette gaffe pourquoi il y a si peu de faux réussis, étayant inconsciemment la vraisemblance du témoignage de Schopp sur la mort de Bruno.
Mais ce qui rend inexcusable Desdouits, c’est que quelqies lignes plus bas, dans une note ajoutée ensuitr, il cite lui-même un exemple de cette bruyante approbation de la mort au bûcher qu’il nous dit impossible, au point de justifier le rejet de la lettre de Schopp :
« Dans le même chapitre, il [Mersenne] déclare qu’il faudrait opposer la crainte des supplices à l’envahissement de l’athéisme militant ; comme exemple à suivre, il cite le supplice de Vanini à Toulouse et celui d’un autre athée brûlé à Paris. »
Ainsi Desdouits, aveugle, réfuta-t-il son propre argument.
• La mort sur le bûcher de Bruno, en 1600, ne serait pas crédible, affirme Desdouits. D’abord parce que celle de Vanini, en 1619, allait faire parler davantage, et puis même le Mercure de France ne rapporta pas le premier de ces supplices. Mais Vanini mourut une génération après Bruno, en France, il était un personnage qui savait se faire aimer et avait donc des partisans, il avait caché son hérésie, fait semblant d’être catholique, et son procès fit du bruit en partie par ce qu’il révéla. Quant au Mercure galant, précurseur du Mercure de France, son premier numéro ne parut qu’une petite douzaine d’années après la mort de Bruno.
« Le silence de tous les contemporains, silence absolu, puisque la lettre de Schopp ne saurait compter aux yeux d’une critique sérieuse, est une chose véritablement inexplicable, si réellement Bruno a été brûlé publiquement à Rome. Une exécution capitale, en pleine Rome, à Rome où le spectacle d’un bûcher n’était pas habituel, pouvait-elle passer absolument inaperçue ? Encore, si la victime n’était qu’un impie vulgaire et inconnu ! Mais non, c’est un des plus illustres philosophes de l’Europe, c’est le plus redoutable ennemi de la papauté et de la foi chrétienne. On le brûle, et personne n’y fait attention ! Ou du moins personne n’en parle dans aucun ouvrage du temps ! »
Justement, la lettre de Schopp comble cette supposée absence. Surtout la question est encore présentée à rebours du vrai : Giordano Bruno avait partout où il était allé (monde catholique ou protestant) failli finir sur un bûcher ; il est admis qu’il se rendait odieux partout ; sa doctrine, farfelue, était inaccessible pour la foule, et, s’opposant à celle d’Aristote, rebutait toute personne éduquée, sauf quelques assoifés d’ésotérisme à tiroirs et nuées, aussi était-il dénué de toute influence notable (n’ayant inspiré que quelques passionnés d’occulte, évidemment rendus discrets par les bûchers des uns et des autres). Il était en prison depuis des années, aux mains de l’Inquisition romaine qui le poursuivait (c’est aujourd’hui prouvé) pour hérésie persévérante, il était tenu pour hérétique odieux par les catholiques comme par les protestants, et son sort paraissait réglé bien avant le 17 février 1600. Sa mort ne put être que la conclusion attendue d’une vie qui avait slalomé entre les bûchers – pour ceux qui se souvenaient de lui.
En supposant même que Desdouits aurait raison, l’obstacle qu’il croit voir ici serait aussi grand contre sa thèse que contre celle à laquelle il s’oppose : pas une source ne mentionne la mort naturelle de Bruno, ni son abjuration, qui l’une et l’autre auraient marqué les esprits si, justement, il avait suscité grand intérêt où que ce fût en Europe. Qu’on pense au retentissement de l’abjuration de Galilée, qui fit plus parler que mille bûchers.
• Desdouits : « On s’expliquerait ainsi [c’est-à-dire en supposant que Bruno aurait échappé au bûcher] l’absence complète de pièces officielles concernant le procès de Bruno. Ah ! sans doute cette absence de pièces n’embarrasse guère ceux qui croient au récit donné sous le nom de Schopp. »
La disparition d’un document n’est pas exceptionnelle, et d’autant moins ici que les archives en question ont fait l’aller-retour Rome-Paris en temps de guerre, et qu’à cette occasion déjà une partie en a été perdue.
Pourtant, et ici Théophile Desdouits n’est pas fautif, on a depuis (sous Pie XII) retrouvé l’essentiel de ces documents, y compris des interrogatoires de Bruno (sur son opposition à la mécanique d’Aristote, sapant la physique de celui-ci, ce qui avait des implications par exemple pour l’explication de la transsubstantiation) précédant de quelques mois sa mort. On a retrouvé les chefs d’accusation (motifs strictement religieux, plus contestation de la physique aristotélicienne). Il ne manque que le verdict, qui est prévisible, puisque l’accusé persistait, et que son hérésie était complète et totale.
• Quand Desdouits en arrive à Mersenne qui, en 1624, invoque le supplice de Bruno, c’est pour conclure que puique Mersenne n’en parle pas dans un autre ouvrage un peu antérieur, c’est qu’il a dû en entendre parler entre-temps, par exemple par la lettre de Schopp de 1619. C’est aberrant : Mersenne mentionne deux exécutions de ce type, plus proches de lui dans le temps, et toutes deux en France. Il évoque la situation en 1624, et ne cite donc aucun cas plus ancien ni à l’étranger : pourquoi citerait-il Bruno, brûlé dans un autre pays un quart de siècle ? Et même s’il avait cité des exemples étrangers et anciens, depuis quand l’argument a silentio est-il parlant ? Redisons d’ailleurs que le ton sur lequel Mersenne évoque ces bûchers suffirait lui seul à réfuter l’argument que Desdouits croyait tirer de l’invraisemblance du ton de la lettre de Schopp.
Depuis Desdouits, les archives de Venise et de Rome ont donc livré des documents prouvant qu’il s’etait trompé. La nullité de ses arguments ne peut convaincre que celui qui aspire à y céder.
On ne peut reprocher à personne de préférer une chose à une autre, et par cette préférence nous tombons facilement dans l’erreur.
Mademoiselle Sigaut a fait sur certains sujets un travail remarquable, bien qu’elle ait manqué récemment à son devoir d’historienne. Dans cette vidéo de 2015 il aurait mieux valu qu’elle s’abstînt de mentionner le cas de Giordano Bruno, sur une base documentaire si étroite surtout, et sur une analyse si fautive.
On constate qu’à chaque occasion où elle erre, parfois gravement, c’est qu’à la fois elle croit (à tort) défendre l’Église et qu’elle est sortie du domaine dans lequel elle est remarquablement érudite : le dix-huitième siècle.
Réfréner son cœur et se consacrer à ce qu’elle maîtrise parfaitement serait le remède à de telles erreurs, qui sont de nature à nuire à l’ensemble de son travail. Espérons qu’elle suive cette voie.