Les neufs médiations pour l’heure Sainte sur l’Agonie de NSJC – P. Charles PARRA


GETHSÉMANI, NEUF MÉDITATIONS POUR L’HEURE SAINTE SUR L’AGONIE DE JÉSUS – Par le P. Charles PARRA, S.J. (Nihil Obstat et Imprimatur. Publié par l’APOSTOLAT DE LA PRIÈRE, 9 rue Montplaisir, Toulouse.)

Préface

On peut dire en toute vérité que c’est Notre-Seigneur lui-même qui a institué l’Heure Sainte.

D’abord, il l’a faite le premier ; non pas pendant une heure, mais pendant trois heures d’agonie atroce.

Or, comme il entrait à Gethsémani, il demande formellement à Pierre, Jacques et Jean de veiller et de prier avec lui. Mais les apôtres étaient lourds de sommeil et, pendant que Jésus agonisait en son âme, ils dormaient tranquillement. Le Cœur du Maître en fut meurtri et il s’en plaignit douloureusement : « Ainsi donc, vous n’avez pu veiller une heure avec moi ! »

C’était la première invitation à l’Heure Sainte : elle ne fut pas comprise.

Bien plus tard, en 1673, Jésus se tourne vers Marguerite-Marie. Lui-même prit soin de rappeler le mystère de Gethsémani et de marquer qu’il y a, entre la demande qu’il adresse à sa confidente et celle qu’il fit à ses apôtres préférés, continuité et même identité. Il souligne enfin l’affreuse déception que lui causa la défection des apôtres pour laquelle il sollicite une réparation. Écoutez :

« Toutes les nuits du jeudi au vendredi, je te ferai participer à cette mortelle tristesse que j’ai bien voulu sentir au Jardin des Olives. Pour m’accompagner dans cette humble prière, que je présenterai alors à mon Père, tu te lèveras entre onze heures et minuit ; tu te prosterneras pendant une heure avec moi, la face contre terre, tant pour apaiser la divine colère en demandant miséricorde pour les pécheurs, que pour adoucir en quelque façon l’amertume que je sentais de l’abandon de mes Apôtres, qui n’avaient pu veiller une heure avec moi ».

Allègrement, Marguerite-Marie répondit à l’appel du Cœur divin en détresse ; elle s’offrit généreusement à tous les tourments de l’agonie ; toutes les nuits, du jeudi au vendredi, prosternée, pendant une heure, la face contre terre, elle éprouvait en son cœur les appréhensions qui avaient fait éclater, vingt siècles plus tôt, le Cœur de Jésus. Aucune heure de sa vie ne lui paraissait plus douloureuse et plus précieuse ; aucune pour elle n’était plus sainte.

Après elle, par milliers, les âmes ont entendu la plainte divine, et, avidement, elles se sont appliquées à faire oublier à Jésus l’indigne lâcheté des Apôtres : c’est par millions qu’il faut compter les heures passées par ces âmes fidèles dans la contemplation de l’agonie divine et la participation aussi réelle que possible à ses amertumes.

Ce petit livre veut aider les amis du Cœur de Jésus qui, plus nombreux à mesure que la Passion du Christ se prolonge et en un sens très juste s’accroît de tous les péchés du monde, veulent, comme il le demandait, l’assister, le soutenir, veiller, prier avec lui et avec lui pâtir en leur cœur de ses propres douleurs.

Puissent-ils y découvrir un peu plus profondément le Cœur agonisant de Jésus et surtout y puiser la volonté de veiller avec lui non pas une heure mais aussi longtemps qu’il agonisera.

Toulouse, en la fête du Précieux Sang. Juillet 1931.

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• PREMIÈRE MÉDITATION : Entrant en agonie…
Factus in Agonia

Avec un instinct très sûr, la piété chrétienne a résumé tout le mystère de Gethsémani en un seul mot terrible : l’agonie. Avant celle qui, au Golgotha, durera trois interminables heures, pendant trois heures sans fin, au Jardin des Oliviers, Jésus connut une autre agonie, celle du cœur. Essayons de la comprendre. Ce n’est pas assez : tâchons de la sentir.

Sancta Mater, istud agas
Crucifixi fige plagas
Cordi meo valide !

I – L’agonie d’un jour

Pour comprendre l’agonie du Cœur de Jésus, je me représenterai d’abord l’agonie d’un mourant. J’ai vu mourir des êtres aimés, mon père peut-être, ou ma mère. Je revois tous les détails qui ont précédé la fin ; si horribles, que la mort même sembla tout d’un coup, par la paix qu’elle apporta, une véritable délivrance. Râles, sueurs, effroi du regard, surtout ce mouvement perpétuel des bras qui rabattent les couvertures et les draps pour chasser une oppression qu’on ne peut vaincre. C’est la bataille suprême du corps contre l’âme qui veut se détacher et que, par toujours ses fibres, il essaie de retenir. Et cela peut durer, dans la claire conscience de l’esprit, des heures et des jours : étouffement, angoisse, cauchemar ; c’est cela agoniser ; c’est cela une agonie physique.

Car il y a aussi les agonies du cœur, affreuses parce qu’elles ne font pas mourir, mais au contraire exaltent à l’extrême nos puissance de souffrir et qu’elles peuvent durer des années, presque des vies entières. Cœurs de mères que leurs fils broient par leur ingratitude ou leurs désordres. L’image douloureuse n’abandonne jamais leur pensée : tous les voyages, tous les travaux, toutes les conversations ne peuvent les en distraire : elles assistent à tout passives, comme en rêve : l’étau qui leur sert le cœur ne se détend jamais : c’est l’agonie. Elles souffrent de ne plus entendre ni voir leur fils qui sont loin ; s’ils reviennent, c’est pire encore, tellement leur présence, leur rire ou leur colère les martyrise ; elles craignent tout ; elles s’imaginent toujours le plus affreux ; elles pleurent, elles s’irritent, elles appellent, elles maudissent et elles aiment ; ce n’est pas une vie, c’est l’agonie ; et ce n’est pas la mort qui vient, mais l’agonie qui dure et qui s’aggrave avec ses affres.

C’est cela l’agonie de Jésus au Jardin ? Un peu. Essayons de pénétrer dans son Cœur.

Toutes les peurs l’envahissent. Les peurs physiques qui affolent l’imagination, qui crispent les nerfs et les membres. Voici les soldats du Sanhédrin qui l’entourent et le bousculent sur le chemin ; ils le frappent au visage. Voici les hommes de Pilate qui l’attachent à la colonne, lui mettent le torse à nu, et riant, se provoquent les uns les autres, jouent à qui lui assénera le meilleur coup, celui qui laissera un sillon plus profond et plus rouge. Voici, voici… Tous les tourments physiques de la Passion y arrivent, grossis par l’imagination déchaînée, peintes par elle avec des couleurs si vives qu’en vérité c’est comme si, déjà, le Christ les éprouvait dans sa chair.

Voici maintenant la troupe des terreurs de l’âme. Peur de Dieu qui décharge sur lui sa colère : il est devenu le pécheur universel, il s’est fait péché. Peur des trahisons et des abandons qui l’attendent, et dont il souffre à l’avance, parce qu’il en connaît tous les détails : Judas, Pierre, les autres apôtres, les disciples lâches et fuyards. Dans son corps, dans son âme, l’épouvante a pénétré le secouant comme un roseau qui tremble dans la tempête, finalement, elle le couche sans force, sans forme, sur la pierre nue où il s’abat, incapable de parler, balbutiant indéfiniment la même phrase, qui est une prière désolée. Agonie de la peur.

Agonie de la honte aussi. Un dégoût effroyable l’envahit. Et ce dégoût est parfaitement justifié. Il est soulevé d’horreur à sa propre vue : il a raison pleinement, car il y a de quoi : à cette minute, il est devenu le cloaque où, de tous les points de l’horizon et de l’histoire d’hier et de demain, se sont engloutis tous les péchés du monde : il est noyé, submergé, suffoqué. Et lui, Dieu, plongé dans cette infamie, la sienne, puisqu’il accepte d’en porter la responsabilité, lui, Dieu devenu l’extrême corruption humaine, il sent son cœur défaillir ; il n’en peut plus de honte ; il agonise.

Il agonise de douleur et de tristesse. Certes, il est aisé de le comprendre par tout ce qui précède ; mais il y a une angoisse plus lancinante que toutes les autres et qui, à cette heure, broie le Cœur de Jésus : c’est la prévision précise et certaine de la stérilité de son sang. Malgré sa Passion et sa mort, des âmes se perdront : c’est l’agonie essentielle du cœur. Il aurait eu la certitude que tous ceux pour lesquels, sans exception, il offrait sa vie, seraient sauvés, sa douleur lui eût paru tolérable. Mais souffrir tout cela et savoir qu’un jour il devra se retourner contre ceux pour qui très volontiers il meurt, et, de tout son amour méprisé, de tout son sang profané, les accabler et les rejeter en enfer, ce fut le coup suprême qui fit éclater son Cœur et couler une sueur de sang.

Longuement, passionnément, je veux contempler cette buée rouge qui soudain paraît sur les traits du visage divin, assez abondante pour couler en gouttes lourdes qui mouillent la robe elle-même, moite de sang, et j’entends l’agonisant sublime me répéter ce qu’il disait inutilement aux trois apôtres endormis : « Mon âme est triste à mourir, veillez avec moi. » Estce que je vais dormir comme eux ?

II – Agonie de toujours.

Le Christ ressuscité ne meurt plus. Il ne souffre plus depuis qu’il est sorti du tombeau. Son agonie est achevée puisqu’il est éternellement vainqueur de la mort. Oui et non.

Oui, l’agonie de Gethsémani s’est vérifiée une seule fois dans le temps et n’a duré que trois heures ; oui, la Passion de Jésus close par sa mort, a été vengée par sa résurrection qui a établi dans la béatitude pour l’éternité son corps et son âme comblés de bonheur t de gloire par le Verbe qui les possède. Rien n’est plus vrai.

Mais il demeure vrai aussi que l’agonie du Christ ne s’achèvera qu’avec le temps. Comment ? Pourquoi ?

Aussi longtemps que durera ce qui fut la cause de l’agonie de Jésus au Jardin, il sera vrai de dire que Jésus agonise. Or c’est le péché, lui seul, qui le mit en agonie à Gethsémani. Aussi longtemps qu’il y aura des hommes, il y aura des pécheurs, et par suite, des péchés commis : l’agonie de Jésus ne prendra donc fin dans sa cause qu’avec le dernier pécheur, à l’heure où le péché ne sera plus possible. L’agonie d’un jour est donc l’agonie de toujours. Je n’étais pas au Jardin pour soutenir le maître agonisant : dans son angoisse d’aujourd’hui, je veux être là.

Il agonise aujourd’hui pour moi par mes péchés d’aujourd’hui, qu’il a connus, dans leur dernier détail, avec leur nombre et leur gravité au Jardin de Gethsémani. Mes grands péchés et les autres. Non seulement mes péchés, mais tout le désordre de ma vie tiède, sans générosité, sans flamme, égoïste, paresseuse, mondaine vide. Jésus ne se plaignait-il pas à Marguerite-Marie surtout des fautes commises par les âmes qui lui étaient consacrées ? Tous les péchés blessent son Cœur ; mais autant que la douleur de l’offense, la personne de l’offenseur l’atteint profondément. Je l’entends me dire : « D’un autre, moins comblé que toi et qui me connaît mal, j’aurais tout supporté sans me plaindre ; mais de toi ? De toi, qui te dis mon ami ? De toi qui t’es voué à moi ? De toi qui communies ou dis la messe tous les jours ? »

Tristesse, peur, dégoût, agonie à cause des péchés des hommes d’aujourd’hui. Je n’essaierai pas de les compter, moins encore de les peser. À quoi bon ? C’est impossible. Il n’est pas une seconde qui n’en apporte un flot. Le temps continue à couler, versant, à chaque battement d’horloge, comme ces lourdes voitures qui déchargent les sanies ramassées au long des voies et sur les portes, les blasphèmes, les vols, les jalousies, les haines, les crimes, toutes les infamies de la luxure. Et parce que le torrent ne s’arrête ni jour ni nuit, jour et nuit, le Christ est en agonie perpétuellement jusqu’à la fin des temps.

Après les péchés privés, les péchés sociaux et publics. Ceux-là aussi il faut les voir se ruer comme des bêtes sur le Christ et l’accabler de tristesse, de peur et de dégoût. Il y a surtout l’horrible péché de haine qui partage l’humanité en deux camps ennemis : ceux qui ont et qui, ne comprenant pas leur devoir, ne pensent qu’à avoir toujours plus et, par tous les moyens, exploitent les petits ou les provoquent par leur luxe. Ceux qui n’ont pas et qui, soulevés par l’envie, qu’attisent de mauvais bergers, sont ivres de destruction et de sang, dans l’espoir que leur tour viendra de participer à la fête. Pauvres égarés qui confondent dans une haine commune, Dieu et les riches. Or, Jésus n’avait qu’un commandement : « Aimez-vous ! »

Péchés publics enfin des apostasies officielles. Aujourd’hui, c’est la commune conception des États : Dieu hors de la vie publique, proscrit des lois, des institutions, des monuments, des discours ; consigné dans les églises et les consciences, d’où l’on voudrait bien qu’enfin il disparût. Tristesse, dégoût, peur des justices divines que provoque ce péché des peuples. Jamais comme aujourd’hui il ne fut insolent et universel et il y faut l’inexpugnable béatitude dont il jouit au ciel pour ne recommence pas l’agonie du Jardin où ces crimes d’aujourd’hui furent alors par Jésus connus et expiés.

Puisque les péchés d’aujourd’hui vous mirent alors en agonie, je veux, ô Agonisant divin, y entre aujourd’hui : moi qui alors n’existais que dans votre pensée et dans votre cœur, je veux aujourd’hui participer à votre agonie d’aujourd’hui et d’alors.

Faites-moi goûter cette tristesse mortelle causée par mes péchés et tous les péchés d’aujourd’hui. Je vous le demande sincèrement, même si cette tristesse, pareille à la vôtre, devrait être pour moi la désolation la plus affreuse. Moi, qui pleure pour des causes si égoïstes et si futiles, faites-moi comprendre que le péché est le seul mal.

Donnez-moi pour le péché ce dégoût libérateur qui non seulement soulève le cœur de honte mais qui le détache du mal, seul répugnant et haïssable, le péché.

Surtout, donnez-moi pour connaître le péché cette lumière suraiguë qui n’est pas autre que la lumière même de Dieu, et alors je tremblerai d’effroi me sentant, comme pécheur, enveloppé dans la justice divine ; surtout la peur de Dieu me gardera de la tentation.

Prenez, ô Agonisant divin, ô éternel agonisant, prenez mon cœur et rendez-le semblable au vôtre !

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• DEUXIÈME MÉDITATION : Il fut pris de dégoût
Caepit taedere.

Dans le mystère de Gethsémani je veux m’attacher, aujourd’hui, à comprendre à fond le sentiment que les évangélistes ont ainsi exprimé : « Jésus fut pris de dégoût ». Dégoût du péché dont il est revêtu, dégoût de sa tâche et de sa mission de Sauveur, dégoût de luimême. C’est tout cela qu’avec des douleurs d’âme infinies il a voulu ressentir. Daignez, ô Ami magnifique et lamentable, daignez ainsi que vous l’avez promis à sainte Marguerite-Marie, me faire ressentir quelque chose de cette amertume qui vous monta au cœur à Gethsémani, si violente, si profonde qu’elle vous mit en agonie.

I – Le dégoût

N’ayons pas peur, par un respect très mal placé pour la divinité, qui, même au Jardin et au Calvaire, habite le Christ, n’ayons pas peur de voir les choses comme elles sont : il a tenu ici à descendre jusqu’au fond de nos misères et de nos faiblesses ; seule demeure infranchissable la barrière du mal, le péché.

Le dégoût de Jésus, dans son essence et dans ses manifestations, ressemble à nos dégoûts. Le dégoût physique d’abord. Nous l’avons éprouvé devant une vision qui nous soulevait d’horreur : ceux qui ont fait la guerre et qui, marchant la nuit sur le terrain qu’on n’a pas encore débarrassé de ses morts, heurtent un cadavre décomposé ou buttent du pied contre les chairs pourries où ils enfoncent…, horreur, dégoût. Et, sans aller jusque-là, dans les salles d’hôpital ou d’infirmerie, les plaies, avec leur infection et leurs odeurs et leurs vers…, horreur, dégoût. Ou, simplement, dans la vie quotidienne, des hauts de cœur devant un mets qui nous révolte, une odeur qui nous soulève, un spectacle qui nous bouleverse. Dégoût physique.

Quelque chose de pareil se passe dans l’âme qui se replie sur elle-même et découvre son ignominie ; ou bien qui est écœurée du spectacle du monde : c’est le dégoût moral, autrement profond et durable que l’autre et qui a pour effet non pas de soulever les nerfs, mais de délier les forces morales et de briser le ressort de l’action.

On a reçu de Dieu de longues années durant, des grâces de choix sans nombre et on se voit encore hésitant devant les sacrifices les plus légers, orgueilleux, cupide, susceptible ; un jour, au cours d’une retraite, ou bien à l’occasion d’une lâcheté plus humiliante, notre misère nous saute aux yeux ; on se sent pris envers soi-même d’une confusion qui monte au front et qui humilie l’âme jusqu’à briser toute son énergie ; on se rejette soi-même ; dirai-je qu’on se vomit ? Dégoût moral affreux à ressentir, qui pèse sur la vie et l’assombrit à jamais si, par un sursaut, tel le malade surmontant enfin le mal qui le tuerait, on ne se délivre de ce qui faisait notre honte.
Ou bien, si habitué que l’on soit à trouver sur le chemin des âmes viles, tout d’un coup, devant une preuve nouvelle de la corruption ou de la bassesse humaines, on se sent faiblir ; alors les pensées les plus folles, les suggestions les plus lâches nous envahissent : pourquoi s’user à faire du bien quand des années d’abnégation et de dévouement aboutissent à faire ricaner de notre candeur ceux que nous avions pensé gagner et dont la vie est au rebours de ce que nous avions voulu ; pourquoi le zèle et l’apostolat quand ils donnent si peu de fruit : pourquoi la lutte pour Dieu, quand Dieu, maître des événements et des hommes, semble se mettre contre nous en laissant la fortune et le succès à nos ennemis ? Pourquoi, pourquoi ? Les hommes, la vie, tout nous devient dégoût et, si nous ne réagissions, ce serait la fin de tout travail et de toute vertu.

Les plus braves ont connu de ces minutes noires d’entier abattement des forces. Le rude lutteur du Christ qu’était saint Paul sentit ce qu’il appelle lui-même le dégoût de vivre (II Cor., ch. I, v. 8). Il voyait des convertis récents poursuivis par la haine des juifs et des païens ; des scandales éclataient parmi eux ; des semeurs de discorde les divisaient ; il souffrait dans son corps exténué de lassitude au milieu de ses courses ; ses yeux malades étaient cuits par les larmes que la veulerie de certains de ses fils lui arrachait de jour et de nuit. C’était, du dehors et du dedans, l’assaut et l’investissement : l’athlète terrassé se vit prisonnier de tant d’ennemis qu’il fut tenté de se coucher pour attendre la mort qui l’aurait délivré d’une vie qui ne lui inspirait plus qu’un insurmontable dégoût !

II – Le dégoût du Christ

Or, nous dit l’Évangile, le Christ fut pris de dégoût ! Qu’est-ce à dire et quelles en étaient les causes ?

Toute l’œuvre de notre rédemption repose sur une substitution divine. C’est l’homme qui est coupable, et c’est l’Homme-Dieu qui paiera sa rançon. Certes, lorsqu’il s’offrit pour l’humanité, le Verbe savait bien à quoi d’avance il s’engageait. Toute sa vie terrestre serait et fut une croix et un martyre. Mais il y eut, dans son histoire, une minute précise où il entra dans sa fonction de pécheur et dans son rôle de rédempteur et de victime. Nous y sommes et c’est cela qui nous aidera à comprendre l’infini dégoût qu’il ressentit à Gethsémani.

Il doit expier à notre place nos péchés ; il faut donc qu’il les prenne sur lui comme un vêtement infect et traîné dans la vase ; il faut qu’il les endosse et que, devant son Père, il en porte, comme s’il les avait commis, l’entière responsabilité. C’est l’heure des puissances de ténèbres. Jésus est à genoux sur le sol caillouteux du jardin d’agonie ; tout d’un coup, des lointains du passé et de l’avenir, comme l’horizon s’obscurcit soudain quand la tempête éclate, il voit accourir tous les péchés passés et futurs : ils l’enlacent, ils l’éclaboussent, ils le submergent, flots hideux, boueux, contre lesquels il n’essaie même pas de se débattre ; il se contente de courber le front et de rougir ; il est le pécheur, il est le péché.

De se sentir cela, très réellement bien que par pure et volontaire acceptation, il en est comme écartelé. Quelle contradiction ! Par son fond que la divinité habite, il est le pur, il est l’essentielle pureté, il est la haine du péché ; et, cependant, il est, aux yeux de Dieu, le péché. Nul mieux que lui n’en connaît l’horreur, la hideur. Alors, comme une enfant candide et vierge qui serait tout à coup jetée au milieu d’êtres vautrés dans les pires débauches et, malgré elle, entraînée dans leur sarabande, il halète, il a honte et finalement il tombe dans un hoquet de dégoût : il ne peut plus se voir, il ne peut se supporter lui-même. Caepit taedere ; dirons-nous qu’il se dégoûte lui-même ?

Dégoûté de lui-même, il sent aussi le dégoût lui venir de sa mission et de la tâche de rédempteur pour laquelle il s’est offert. La répulsion qu’il éprouve envers lui-même et sa personne toute défigurée lui ôte son courage. Alors, du fond de son corps meurtri et las, du fond de son âme abreuvée de honte, montent les lâches conseils de la tentation. Pourquoi souffrir pour effacer les péchés que tu n’as pas commis ? Pourquoi essayer de guérir l’âme humaine si vicieuse qu’elle reviendra au mal malgré toutes les douleurs du Calvaire ? Et le Christ voit très nettement la parfaite stérilité de ses douleurs pour des êtres sans nombre ! Pourquoi aimer si follement des hommes qui l’ignorent et le blasphèment ? Pourquoi ? Pourquoi ? Toutes les suggestions de la peur et de la faiblesse, tous les abandons que soufflent au cœur de l’homme la lassitude et le dégoût, tout cela il le connaît, il l’éprouve avec une acuité effroyable, de toute la puissance divine de son dégoût.

Mais il a donné sa parole au Père ; il est engagé ; il ne peut plus reculer ? Pourquoi pas ? Le Père qui a accepté sa parole, peut bien la lui rendre. Il connaît son Père comme nul ne le connaît ; il sait qu’il est bon. Alors, rampant dans la nuit, il exhale vers lui le cri de son pauvre cœur désemparé : « Père, si c’est possible, éloignez de moi ce calice ! C’est vrai, je me suis offert à le boire, mais je ne savais pas que sa lie était si révoltante ; rien que de sentir ses bords approcher de mes lèvres, j’en suis soulevé et dégoûté. Père, Père, pitié, ôtez de devant moi ce calice que je ne peux plus voir ! »

C’est jusque-là que va le dégoût auquel Jésus s’abandonne. Mais c’est là aussi qu’il s’arrête car, sentant la volonté du Père inflexible, il ajoute aussitôt : « Que votre volonté se fasse et non la mienne ! »

III – Nos dégoûts

Et moi ? Devant mes péchés bien à moi, bien personnels, devant ma vie de continuelle médiocrité et lâcheté, quelle est la réaction de ma volonté ?

Par milliers, des êtres que Jésus a voulu sauver par sa mort, vivent dans le péché qu’ils aiment et auquel ils demandent ce qu’ils regardent comme leurs meilleures joies ; de se sentir cupides, voluptueux, haineux, méchants, impies, ils ne rougissent pas ; peut-être qu’ils s’en vantent ; en tout cas, ils n’en sentent pas le dégoût ; ils suivent aveuglément ce goût du mal et du vice que porte en son fond notre pauvre nature ; ils ont le goût du péché au lieu d’en avoir le dégoût.

Est-ce que je suis de ceux-là ? Et si je sens la honte du péché quand je l’ai commis, si je suis confus de me voir si lâche à la suite du Maître, est-ce que cette honte et ce dégoût me soulèvent et m’arrachent aux occasions du péché et fouettent ma volonté pour la rendre plus généreuse ? Ou bien mon regret, ma honte et mon dégoût de moi-même ne me conduisentils pas à une abdication funeste qui me fait abandonner la lutte et me coucher, triste et sans idéal, sur le chemin ?

Ô sublime et divin dégoûté, donnez-moi quelque chose de l’horreur qui vous saisit en vous voyant couvert de l’horreur de nos péchés ! Faites-moi partager devant mes péchés et mes lâchetés de chaque jour, cette révolte intérieure qui me délivrera et qui tuera en moi, par un dégoût pareil au vôtre, le goût que je porte en moi — et que vous n’aviez pas, Seigneur —, du péché et du vice. Alors l’horreur de mon péché m’en détournera vraiment et le goût me viendra de vous et de tout ce que vous attendez de moi.

Mais il ne s’agit pas de moi seulement. De même que Jésus au Jardin agonise pour les âmes, il faut que, moi aussi, je pense aux autres et à leur salut. Qu’est-ce que je fais pour les aider ? Ici, mes dégoûts peuvent aussi m’arrêter et me paralyser. J’ai essayé de me dévouer à l’apostolat, je n’ai pas réussi. Partout je me suis heurté à des résistances qui me paraissent irréductibles. Le mal se fait tout seul : l’homme n’a qu’à se laisser aller : le moindre bien est un travail herculéen : il faut soulever des montagnes. Alors, peut-être, rebuté et dégoûté, je suis tenté de me retirer de tout et, dans une paix de paresse et de lâcheté, de me dire : il n’y a rien à faire !

Mieux que moi, Jésus a perçu tout le fond de l’humaine vilenie ; infiniment plus que moi, il en a souffert ; il a goûté même au découragement et à la révolte qui abdique et se retire de la lutte lâchement ; mais, au lieu de renoncer à sa mission, au lieu de rester couché sur le sol du Jardin, il a prié, il s’est redressé et, magnifique de courage, il s’est livré à ses bourreaux.

Ô Jésus, faites que le dégoût que je ressens pour les péchés hideux, pour les vices des hommes et toutes les forces du mal auxquelles ils sont en proie, au lieu de m’abattre, me relève !

Pas un instant, même quand vous souffriez à mourir de porter leurs péchés, vous n’avez cessé d’aimer les pécheurs. Faites, Seigneur, que l’horrible vue des âmes qui se perdent se tourne en moi, comme pour vous, en pitié, et que je dise comme vous : « Père, pardonnezleur ! ils ne savent pas ce qu’ils font » ; faites surtout que, comme vous, je les aime assez pour me livrer pour elles !

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• TROISIÈME MÉDITATION : Il fut pris de peur
Caepit pavere

Dégoût de lui-même et de sa mission ; tristesse mortelle qui le couche sans force ; c’est assez pour mettre en agonie l’Homme-Dieu quand cette tristesse et ce dégoût sont ressentis avec l’acuité dont est capable l’âme la plus délicate, la plus vibrante, la plus profonde, lorsqu’elle est servie par une sensibilité exquise.

Pour achever la Passion intérieure du Sauveur, voici la peur hagarde qui maintenant l’assaille et, comme une bête traquée par les chasseurs et les chiens, le fait blêmir, frissonner et se blottir, tout petit, contre le sol où il voudrait être englouti.

Par les effrois de votre agonie divine, enfoncez comme un couteau dans la chair qu’il tranche et ensanglante, la salutaire peur des colères de Dieu, confige timore tuo carnes meas.

I – La peur

Tous nous savons ce que c’est parce que tous nous avons eu peur. Enfants, nous avions peur de tout : de la solitude, des inconnus qui nous approchaient, de tout ce qui était nouveau ; peur de l’ombre et de la nuit surtout : être tout seul, quelques secondes seulement, dans une chambre ou dans un coin sans lumière, cela suffisait pour affoler notre pauvre imagination qui voyait surgir des ténèbres une sarabande d’êtres méchants et armés qui fondaient sur nous. Même si nous avions soin de fermer les yeux, nous les voyions encore. C’est la peur physique, celle que nous ressentons même malgré nous et qui ébranle les nerfs, attise l’imagination et le peuple de fantômes. Elle est mère des lâchetés qui, devant le péril physique, fait les fuyards et les déserteurs. Elle est humaine et ceux-là mêmes qui sont les plus forts avouent qu’ils l’ont connue et qu’ils ont dû la dompter. Les peureux tâchent de faire croire aux autres que jamais ils n’ont peur. Car, la peur est infâme, elle est faiblesse et honte.

Il y a la peur dont l’origine est dans le cœur et dans l’âme : la peur morale si on peut dire. L’homme qui a caché sa bassesse et qui tremble qu’elle ne soit découverte ; l’avare qui, l’œil inquiet, l’oreille tendue, épie et redoute l’imaginaire voleur, le coupable que le remords ronge ou qui, le cœur battant, attend pendant les minutes que dure la délibération des juges, que son crime soit reconnu et puni ; la mère qui veille au chevet de son enfant dévoré de fièvre ; le condamné à mort qui, de sa cellule, où le prêtre l’assiste, entend les bruits confus qui, dehors, préparent tout pour la seconde suprême et sanglante ; l’âme pécheresse qui, tout d’un coup, sent la colère de Dieu peser sur elle ; toutes les terreurs enfin dont la cause est dans le cœur alarmé, dont le choc est dans l’âme qu’elles glacent et qu’elles annihilent comme sont glacées les mains de ceux qui vont mourir.

Toutes ces peurs, Jésus a voulu les éprouver. Contemplons la meute des épouvantes s’abattre sur lui : elles bondissent, l’encerclent et le terrassent.

II – Les peurs divines

D’abord, les terreurs physiques. Avec sa science divine, nette et cruelle, Jésus connaît avec certitude, dans le moindre détail, toutes les souffrances qui l’attendent. Elles surgissent dans son esprit et son imagination, dont volontairement, il a lâché les rennes. Alors, c’est la vision anticipée de la scène de la flagellation. Rien ne lui échappe : la colonne où, nu jusqu’à la ceinture, on le fixe, les fouets que les soldats, avant de les abattre, font tourner et siffler au-dessus de sa tête ; puis la morsure des cordes qui le cinglent et s’enroulent autour de ses épaules ou de sa poitrine comme des serpents, qui le mordent jusqu’au sang. Et cela dure longtemps.

Ainsi il voit, il vit en imagination, un à un, les autres tourments de sa Passion, du couronnement d’épines à la montée du Calvaire, du crucifiement à la soif horrible, de l’agonie sanglante où, trois heures durant, il demeura pendu par les plaies de ses mains et de ses pieds. Tout est si clair, tout est si présent, qu’il éprouve par avance, une première fois, toutes les souffrances qui, demain, l’attendent. Prévoir la douleur, l’appréhender, c’est nécessairement la grossir encore. Jésus a voulu passer par là au Jardin et goûter, jusqu’à en être saturé, les épouvantes de la chair.

Ce n’était rien encore à côté de celles qu’il connut dans son âme. Très pure, elle se savait néanmoins responsable de tous les péchés de l’humanité. De science divine, il connaît la malice profonde du péché, le mal de Dieu, son ennemi personnel et qui, de lui-même, provoque la vengeance divine. Il apprécie avec justesse le droit divin de haute justice contre lui ; il sait qu’il faut qu’il soit frappé ; il n’ignore rien des ressources de Dieu quand il veut se venger. Sachant tout cela, il se voit, lui, le pécheur universel, lui, le péché des hommes en face d’un Dieu décidé à exiger jusqu’au bout sa vengeance. Rien ici que de vrai ; rien que de parfaitement juste ; il l’a voulu, du premier instant où il s’est follement offert à supplier à l’insuffisance de l’expiation humaine. Me voici, ô Dieu juste, frappez-moi ! Et Dieu, dès maintenant, frappe.

Il est le divin condamné, et sauf qu’étant Dieu, il ressent l’effroyable épouvante du damné que la main divine traque, torture et abat. S’il pouvait y avoir en enfer un damné qui ne haïrait pas Dieu et qui croirait au pardon final, Jésus à Gethsémani, est ce damné ; soumis, abandonné comme le fer au feu de la forge, à la haine de Dieu ardemment attachée à punir en lui le péché qu’il personnifie.

Courbé, la face contre le sol, n’osant pas lever les yeux, il gémit, il tremble, il saigne de tout son corps, il demande pitié à son juge qui demeure sourd.

Nous verrions un misérable livré à la justice humaine, poursuivi par elle et frappé avec cette rigueur, que, touchés, nous n’aurions pas le courage de laisser la justice suivre son cours. Et, parce que c’est Jésus, le Sauveur, qui souffre ainsi, à cause de nous et à notre place, allonsnous demeurer insensibles ?

III – Nos peurs

Que craignent la plupart des hommes et de quoi se nourrissent leurs appréhensions ? Souffrir dans leur corps ; perdre un peu d’argent, souffrir dans leurs affections, perdre l’honneur, l’estime, ou perdre un être aimé, voilà nos communes terreurs, voilà nos seules peurs ! Mais craindre, quand nous sommes, quand nous savons que nous sommes pécheurs, les vengeances divines, qu’il y en a peu qui s’en soucient ! J’ai péché, et après ? Est-ce que je m’en porte plus mal ?

Voilà avec nos péchés de quelles insouciances sont faites les épouvantes de Jésus à Gethsémani.

Je veux changer cela. Je veux avoir peur de Dieu comme une bête a peur du fouet, comme le corps se hérisse contre la menace du feu ou des coups qui déchirent et font saigner les chairs. Pourquoi pas ? Je suis par toute une partie de moi-même bête et purement instinctif ; j’ai besoin de me faire peur de cette façon : est-ce que Dieu ne me menace pas du feu de l’enfer ?

Je veux avoir peur de Dieu aussi comme l’enfant très aimant redoute de contrarier son père ou de faire pleurer sa mère. Cela va loin. Il ne s’agit pas simplement de faire ce qu’il prescrit, d’éviter ce qu’il défend sous peine de rupture, l’offense grave qui nous sépare de lui et nous fait courir le risque de damnation ; je ne veux le peiner en rien ; j’aurai peur, je tremblerai à la seule pensée de lui déplaire. Peur et amour ici se rejoignent : l’amour aiguise la crainte ; la crainte me fait croître dans l’amour.

Et si Dieu, un jour, pour m’éprouver et me purifier en expiation de mes péchés et de mes insouciances passées quand je buvais l’imperfection comme de l’eau, si Dieu permet que je passe par des épouvantes et des désespoirs pareils à ceux de Jésus ; au souvenir des terreur divines qui ont payé toute ma dette, je m’inclinerai, je pleurerai, je boirai mon amertume, mais comme le bienheureux Claude de la Colombière, je dirai :

« Les hommes peuvent me dépouiller de mes biens et de l’honneur ; les maladies peuvent m’ôter et la force et les moyens de vous servir ; je puis même perdre votre grâce par le péché, mais je ne perdrai pas mon espérance.

« Pour moi, Seigneur, toute ma confiance, c’est ma confiance elle-même.

« Je suis donc assuré que je serai éternellement heureux parce que j’espère fermement de l’être ; je connais que je suis fragile et changeant ; je sais ce que peuvent les tentations contre les vertus les plus affermies ; j’ai vu tomber des astres du ciel et les colonnes du firmament ; mais tout cela ne peut m’effrayer tant que j’espérerai… « J’espère que vous m’aimerez toujours, et que je vous aimerai aussi sans relâche, et pour porter tout d’un coup mon espérance aussi loin qu’elle peut aller, je vous espère vous-même de vous-même, ô mon créateur, et pour le temps et pour l’éternité. Amen. »

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• QUATRIÈME MÉDITATION : Mon âme est triste à en mourir
Tristis est anima mea usque ad mortem.

Je veux, ce soir, essayer de comprendre la tristesse de Jésus à Gethsémani. Comprendre, cela veut dire non pas seulement en faire une analyse plus ou moins poussée, en discerner les causes et les effets, bref, raisonner sur elle. Ce n’est pas ainsi que je veux comprendre votre tristesse, ô Jésus, mais la comprendre par le cœur, la ressentir…, la partager si bien et si sincèrement que vous puissiez me dire : ô mon enfant, toi, du moins, tu m’as compris !

I – La tristesse

Tous nous avons été tristes et nous savons ce qu’est la tristesse. Un poids est sur le cœur qui l’écrase et le serre comme un étau qui arrête ou qui précipite son mouvement : par suite, la vie tout entière semble paralysée : on dort mal, on ne mange plus, on ne rit plus. Pourquoi ? Une idée, une image obsède notre pensée, comme un gros nuage de tempête voile le soleil et, tout d’un coup, noircit le ciel, plongeant, en plein jour, la terre dans une nuit où flotte de l’angoisse. C’est le cœur qui est triste, parce que c’est lui qui aime ; mais c’est l’esprit qui le torture par l’image ou l’idée dont il l’obsède.

On aime et on n’est pas compris : à toutes les avances faites, c’est l’indifférence qui répond. Alors, sans cesse, de jour et de nuit, on tourne et on retourne dans sa pensée, comme une amertume qu’on ne pourrait s’ôter de la bouche, le fait, le mot, le geste, la démarche qui nous prouve notre complet échec et, à chaque coup, le cœur affolé se sent comme broyé. On aime et ceux qu’on aime sont loin et au danger : cœurs de mère ou de femme pendant les années de la guerre ! Il suffit de ce simple rappel pour évoquer de longues nuits sans sommeil, des journées d’angoisse, la peur et le désir des courriers qu’on veut lire avidement, qu’on redoute d’ouvrir : tremblement, accablement, et même lorsque, par devoir, on réagit et qu’on travaille, la paix n’est qu’apparente : sa tristesse toujours sommeille au fond du cœur. La tristesse peut si bien nous envahir qu’elle nous entraîne au désespoir. Qu’y a-t-il, dans l’acte du désespéré qui en finit — comme ils disent tous — avec la vie, sinon l’aveu que la vie n’a rien qui le puisse attacher et retenir. La tristesse l’a si bien asservi qu’il ne voit plus rien dans cette nuit où il plonge que des raisons d’être malheureux ; et, alors pourquoi vivre ?

Suivant la cause qui les provoque, il y a donc de belles tristesses ou des tristesses laides, depuis la tristesse de Marie au pied de la croix, tenant sur ses genoux le cadavre de son Fils, jusqu’au dépit d’un ambitieux qui éclate de rage parce qu’un autre a reçu l’éloge ou le poste qu’il convoitait.

Suivant le cœur qui souffre, la tristesse aussi est plus ou moins profonde. Elle l’est le moins dans les cœurs froids ou légers ou en ceux qui se croient tendres et qui n’ont qu’une vague sensibilité parfaitement capable de cruauté ; les cœurs vraiment grands sont le plus capables de souffrir, parce que leurs affections toujours sont franches et leurs douleurs parfaitement justes.

II – La tristesse de Jésus

À ce compte, essayons de pénétrer dans le Cœur de Jésus et de comprendre sa tristesse. Ici, nous en sommes sûrs, rien que de parfaitement équilibré et pur, rien que de grand ; pas un filet d’égoïsme : la profondeur et la qualité de la tristesse seront au comble.

Et, d’abord, voyons comme elle s’exprime au dehors. Jésus a retenu, pour les introduire dans le Jardin, ses trois élus : Pierre, Jacques et Jean, les trois qui avaient vu la joie du Thabor et de la Transfiguration. Quand ils sont de l’autre côté du mur, le Seigneur les regarde et prend congé d’eux en leur disant : « Mon âme est triste à mourir, restez ici et veillez ! » Et, tandis que les Apôtres s’endorment, Jésus s’abandonne à la tristesse qui emporte son âme.

Notons bien cela, il s’abandonne. Qu’est-ce à dire ? Ce n’est pas la première fois que Jésus est triste. Un jour, il le fut au point qu’il en pleura : c’était en contemplant Jérusalem dont il prévoyait, qu’à cause de lui, elle serait détruite. Cependant, il refoula ses larmes et continua sa route, tout à sa tâche de prédicateur de l’Évangile et de maître des Apôtres.

Ici, c’est tout autre chose : on dirait d’un malade qui se laisse aller et qui a perdu son moral. Il emploiera lui-même, quand il se livrera aux soldats amenés par Judas, l’expression qui peint parfaitement la situation : « C’est votre heure, l’heure des puissances ténébreuses ». Il laisse aux forces de la mélancolie toute puissance sur son âme : ce sont des flots déchaînés qui se joueront de lui comme d’une épave qu’ils essaient de noyer. C’est voulu : il se livre, il s’abandonne.

Saint Ignace, dans les Exercices Spirituels, a une très noble façon d’exprimer et d’expliquer ce laisser-aller divin : « Je considérerai, dit-il, en chacun des mystères de la Passion, comment la divinité se cache, c’est-à-dire comme elle pourrait détruire ses ennemis et ne le fait pas ; et comment elle laisse la très sainte Humanité en proie à de si cruelles douleurs ». C’est bien cela ! l’humanité abandonnée ici à ses ennemis du dedans : abattement, peur, dégoûts du corps et de l’âme ; la divinité ne consentant à intervenir, peut-être, que pour augmenter l’acuité et la durée de ses souffrances en l’empêchant de mourir.

La tristesse s’acharne sur sa riche proie, jusqu’à nous offrir de Jésus une image si défigurée qu’elle est encore moins reconnaissable encore qu’à travers les crachats du Calvaire, une image — pourquoi ne pas dire comme lui ? — scandaleuse : « Tous, cette nuit, vous serez scandalisés en ma personne ». Il va prier et, tout naturellement, il se met à genoux ; bientôt, la tristesse le secoue, le ploie, l’écrase et, enfin, l’abat : son corps, tout d’abord, s’affaisse sur ses jambes ; il ne peut même plus soutenir cet effort ; comme une masse sans vie, il s’écroule et on l’entend, par terre, qui gémit sa prière navrée : « Père, s’il se peut, que ce calice s’éloigne de moi ! »

Lui qui, jadis, choqué de tant de spectacles qui le désolaient, gardait pour lui seul sa peine et n’en faisait confidence à personne, aujourd’hui, il mendie la pitié de ses apôtres : « Surtout, dit-il, ne me laissez pas seul, restez ici et veillez ! » Ce cri de la faiblesse humaine devant l’angoisse, cette peur de se trouver seul, c’est jusque-là que la tristesse a conduit l’admirable, l’énergique Jésus de Nazareth qui, hier, faisait front, avec une parfaite sérénité, à la haine des Pharisiens : c’est l’heure des ténèbres.

Tristesse effroyable dans son intensité, tristesse magnifique dans sa qualité et d’essence divine quand on essaie d’en pénétrer les causes !

Il n’y entre, en effet, que des motifs désintéressés ou très nobles. Tâchons de les découvrir.

Jésus voit Judas le baisant pour le trahir ; il le voit, désespéré, se pendre. Il entend les reniements et les blasphèmes de Pierre qui, eu lieu de prier, dort tranquillement. Il voit tout le débordement des scènes de la Passion, avec une précision de détail et une netteté de prévision qui les lui rendent comme présentes, peut-être amplifiées par l’appréhension : depuis la saisie brutale par les soldats de la synagogue jusqu’au dernier spasme sur la croix, après le Consummatum est ! Il voit la dispersion des apôtres qui, sauf Pierre le renégat, perdent la foi en lui. Surtout, il voit, de toutes ses douleurs infinies, la suite inévitable : puisque l’homme est libre de repousser les avances de Dieu, il y aura, il ne peut pas ne pas y avoir des âmes qui s’obstineront dans l’incrédulité et se perdront. Cela, c’est la grande, l’inconsolable douleur : on consent à souffrir quand souffrir sert à quelque chose. Or, pour Jésus, à cette heure d’agonie où les seuls objets qu’il veut voir sont ceux qui peuvent les accabler, les âmes sauvées par lui et qui sont innombrables ne comptent plus ; il ne voit que les autres, celles qui, malgré Lui, se perdront ; son sang, lui semble-t-il, n’aura servi à rien.

Servi de rien ? Non pas, il retombera sur elles ! C’est ici, pour lui, le comble de la douleur et ce qui achève de le broyer ! Lui qui aurait voulu les sauver, c’est Lui-même qui devra prononcer la sentence de leur malheur éternel : il les haïra de toute sa puissance divine, dont il les a aimées.

Mais, enfin, le Christ au Jardin est triste, en partie au moins, pour tous ces motifs qui causent nos tristesses et qui ne sont pas autre chose que la révolte de notre sensibilité contre la douleur actuelle ou future. Oui, mais, ici, c’est sans égoïsme de la part de Jésus qui en souffre, mais ne s’y arrête pas : il en est humilié, sa tristesse en est plus amère ; mais il se détourne de ses motifs qui pourraient être vils, pour aller aux causes supérieures qui le broient à le tuer ! Je puis relire ici toutes les confidences du Cœur de Notre-Seigneur à sainte MargueriteMarie : elles eurent, à Gethsémani, leur réalisation première et seule physiquement vraie, et je puis comprendre, par les plaintes qu’il ne peut plus retenir et qu’il exprime alors ce que, dans l’agonie du Jardin, il a souffert sans pouvoir même le confier à personne.

III – Notre tristesse

Que sont nos tristesses comparées à celles de Jésus ? Que sont-elles, dans leur intensité et dans leurs causes : plus la cause en est petite, plus, peut-être, elles sont profondes et inconsolables ; plus elles sont grosses, moins elles nous émeuvent. Que de larmes pour une déception de cœur ou d’orgueil ! Pleurons-nous nos péchés les plus lourds et les plus répétés ? Nous ne sommes pas tristes à la manière de Jésus.

Une nuit de septembre, dans le petit village d’Ars endormi, tout à coup le tocsin sonne. Éveillés, les habitants paraissent dans les rues et, tout naturellement, se rassemblent sur la place de l’église. Une nouvelle court aussitôt de bouche en bouche : « Monsieur Vianney nous quitte, Monsieur Vianney s’enfuit ! » Et, quand le pauvre Curé, honteux, fut ramené par les larmes et les prières des siens, il n’avait qu’une phrase à dire à ceux qui l’interrogeaient : « J’ai besoin de pleurer ma pauvre vie ! » Et, pour la pleurer plus à loisir, il voulait aller s’enfermer dans une Trappe. La « pauvre vie » du Curé d’Ars passée à faire aimer Dieu dans l’austérité la plus effroyable, dans la charité la plus entière, au milieu des miracles et des pécheurs convertis par les larmes qu’il versait sur leurs péchés ! Et moi ?

Saint Louis de Gonzague, au dire de ses confesseurs, ne commit, en toute sa vie, que des peccadilles si légères qu’elles n’étaient pas matière à absolution. Cependant, jusqu’à la fin de sa vie, il pleura inconsolablement « ses péchés » et il se disait, le croyant, « le plus grand pécheur du monde ». Et moi ? Il voyait ce que je ne sais pas voir.

Cependant, je suis pour ma part, une des causes de la tristesse de Jésus. Il était triste à cause des péchés des hommes. Je suis pécheur. Il a été triste à cause de moi. Il était triste à cause des péchés et des fautes de ceux qui lui étaient chers ou qu’il avait davantage comblés : le reniement de Pierre, la damnation de Judas l’accablèrent plus que la lâcheté de Pilate ou la cruauté des bourreaux. Il a confié à Marguerite-Marie que ce qui le peine le plus, c’est qu’il souffre de la part de ceux qui lui sont consacrés. Je suis un privilégié du Cœur de Jésus : il a fait pour moi ce qu’il a fait pour bien peu si je songe, d’une part, qu’il y a actuellement plus d’un milliard d’hommes qui ne le connaissent même pas. Ma médiocrité, ma lâcheté, voilà de quoi, au Jardin, Jésus fut triste à mourir.

Je ne veux pas, ô Affligé divin, vous laisser porter seul la tristesse de me savoir pécheur et coupable ; je veux avec vous, m’abandonner à la douleur de mon péché. En vous voyant couché, sur la terre, gémissant votre plainte si déchirante, j’ai compris mon péché ; je l’ai pesé. Qu’il est grave, qu’il est lourd, puisque, sous son poids, vous êtes écrasé et vous succombez. Je veux prendre ma part avec vous — car sans vous, je pleurerais en vain — de ma responsabilité ; je vous conjure de me faire sentir, devrais-je, comme vous, en être réduit à l’agonie, la tristesse mortelle que mon péché vous a causée.

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• CINQUIÈME MÉDITATION : Et sa sueur devint des gouttes de sang
Et factus est sudor ejus sicut guttae sanguinis.

Aujourd’hui, je veux contempler le premier sang que Jésus a versé pour moi. Les premières gouttes et les dernières jaillirent de son Cœur. Le coup de lance aura cet effet inattendu, de tirer d’un cadavre des gouttes de sang, mais ce sang sortira du cœur, comme si tout le reste étant mort, il restait encore dans le cœur, un peu de sang, un peu de vie.

Le premier sang versé par Jésus au cours de la Passion fut aussi étrange : il ne sortit d’aucune plaie, aucun coup du dehors ne provoqua son jaillissement. « Se trouvant en agonie, raconte saint Luc, Jésus priait plus instamment et sa sueur devint des gouttes de sang qui coulaient à terre » (ch. XXII. v. 44). L’agonie de Gethsémani est celle du cœur, le sang qui coule au Jardin est le sang jailli du cœur. Cependant il est assez abondant pour mouiller le sol. En pensée, je m’incline auprès de Jésus, je baise le sable qui boit son premier sang et je demande la permission de le boire pour que mon âme soit enivrée.

I – Le sang

Voyons bien, d’abord, ce qu’est le sang. Le sang est l’âme devenue visible. On ne peut voir l’âme spirituelle : on ne peut voir la vie dans son principe ; mais il y a quelque chose de la vie que l’on peut voir, c’est le sang. Le sang porte et entretient la vie dans tout l’organisme : tout le reste se nourrit chez lui, vit de lui. Qu’il s’arrête de couler, c’est l’empoisonnement, c’est la mort. Le sang, c’est la vie ; le perdre, c’est mourir. Verser le sang de quelqu’un, c’est vouloir sa mort. C’est pourquoi toute question de sang est quelque chose de tragique. Dans une émeute, tant qu’il n’y a que des discours et des cris, tout peut assez facilement s’apaiser ; mais une fois que la foule a répété ces mots : « Le sang a coulé » ; une fois que les journaux les ont imprimés, alors c’est fini et on ne sait plus quand le sang s’arrêtera de couler ; car le sang appelle le sang : l’ivresse du sang est déchaînée : elle ne se calmera que dans un déluge de sang.

Mais c’est aussi, quand il s’agit de prouver que l’on aime, le signe infaillible : verser son sang c’est donner tout, c’est aimer. L’horreur de champs de bataille abreuvés de sang et couverts de corps et de vêtements rouges de sang est dominée par une vision d’amour qui l’efface : s’ils ont donné leur sang, c’est qu’ils aimaient, c’est qu’ils aimaient avec ivresse, follement, et le spectacle de l’amour allant jusqu’au sang, jusqu’à la dernière goutte de sang, est un des plus beaux que l’homme puisse donner !

C’est pourquoi le sang scelle des amitiés indestructibles et creuse des haines éternelles. Il imprime, sur les mains de ceux qui l’ont versé injustement, une tache qui ne s’efface plus et qu’ils revoient dans leurs rêves éveillés ; il laisse sur les mains de ceux qu’il a sauvés des traces sacrées qu’il serait impardonnable d’oublier.

II – Le sang de Jésus

Tout ce qui est vrai du sang de l’homme est vrai du sang du Christ, parce qu’il est homme ; cent fois plus vrai, parce qu’il est l’Homme-Dieu.

Son sang a la plus belle origine qui soit : il a été formé miraculeusement par l’œuvre personnelle du Saint-Esprit du très pur sang de Notre-Dame. À ce titre, il était royal. Mais tout de suite qu’il fut formé, l’âme de Jésus l’ayant possédé, à l’instant même la divinité s’en empara : il n’était que royal, il fut fait divin.

De cette double origine, il tient sa merveilleuse générosité, comme une qualité de race. Tout ce que nous disons du sang, quand nous parlons de nous-même, il faut le dire du sang du Christ. Il avait donc la magnanimité dans son sang qui bouillonnait, impatient de se répandre. Une fois, il laissa échapper quelque chose de cette impatience et Jésus parla d’un baptême de sang où il devait être immergé, et qu’il lui tardait de recevoir : son Cœur, dans l’attente, en était comme à l’étau, coarctor !

Quant vint le moment, en vérité, ce fut un déluge. Devançant l’heure des fouets et des clous, il commença à rompre ses veines au Jardin et il mouilla d’une rosée vermeille la poussière du Jardin, guttae sanguinis decurrentis in terram. Puis, quand l’heure eut sonné des puissances ténébreuses, à qui le Verbe, spontanément, abandonnait son humanité en proie, alors ce fut, chez les bourreaux, l’ivresse horrible du sang chez l’homme devenu bête sauvage. Jésus se laissa dépouiller et attacher à la colonne. Les coups de fouet pleuvent sur ses épaules, cinglent sa pauvre poitrine, arrachent la peau et, au bout de quelques instants, tout son corps ruisselle ; on respire dans la salle cette odeur propre du sang, qui attise encore l’ivresse des soldats. Il faut que la tête, elle aussi, baigne dans cette pluie rouge. Voici des épines longues, acérées : on les tresse en couronne pour ce pauvre fou qui se dit roi des juifs, et, d’une pression brutale, on les enfonce dans son front et dans les tempes. Chaque épine ouvre un ruisseau clair qui inonde les yeux et se coagule sur toute la face. La tête, le cou, les épaules, le buste maintenant sont tout vêtus de sang et le trop plein inonde sa robe rabattue sur ses genoux. Inutile de lui passer le lambeau de pourpre, la pourpre du sang y suffit : le lui fait un vêtement royal.

L’ivresse de la foule fut encore plus féroce que celle des soldats qui avaient flagellé le Christ. Quand Pilate présente à la multitude l’Ecce Homo, un rugissement de bête fauve lui répond : crucifigatur, il faut le crucifier ! Nous voulons son sang jusqu’à la dernière goutte ; nous voulons son sang sur nous et sur nos enfants, sanguis ejus super nos et super filios nostros ! Ils l’eurent, sur la montée du Calvaire, où il marqua chacun des pas du Sauveur ; au crucifiement, où il jaillit à flots par les mains et les pieds. Ils l’eurent jusqu’au bout. Il en restait quelques gouttes dans le Cœur de Jésus mort ; le soldat ne sachant pas qu’il faisait si bien, et simplement pour exécuter un ordre, ouvrit le côté du Christ et, sous le coup, jaillirent des gouttes de sang mélangées d’eau, exivit sanguis et aqua. Il fallait non pas seulement que le sang de Jésus fût versé jusqu’au bout ; il fallait encore que la source cachée en fût révélée à tous les yeux et qu’elle fût vidée : tout le sang, tout le cœur ont été livrés !

Et la face du monde des âmes fut soudain renouvelée. Justice était faite ; entre Dieu et l’homme la paix était scellée pour toujours. À l’inverse de ce qu’il advient des hécatombes humaines, le sang du Christ versé avait établi à jamais la paix divine.

Cela n’a pas suffi à la générosité du sang divin. Bon sang ne peut mentir. Quelques heures avant de se livrer à ses ennemis, Jésus, au Cénacle, a changé le vin en son sang, son sang qui, pour vous et la multitude, disait-il aux apôtres, sera versé pour la rémission des péchés. Et tout de suite, il avait ajouté : Faites ceci en mémoire de moi. Depuis qu’il a commencé de couler au Jardin de Gethsémani, le sang du Christ n’a pas cessé d’inonder le monde de ses flots. Des centaines de milliers de prêtres le répandent à profusion chaque jour. Tous, au moment le plus grand de la messe, après la consécration, prenant l’hostie consacrée, ils la posent au-dessus du calice et dressant l’un et l’autre au-dessus de l’autel, ils les montrent à Dieu, en lui disant qu’il ne peut être rien fait de plus beau pour sa gloire, omnis honor et gloria. À ce moment, du haut des centaines de milliers d’autels qui couvrent l’univers, le sang du Christ coule sur la face des âmes : toutes les corruptions sont noyées, tous les péchés sont recouverts par cette vague vermeille qui, victorieuse du mal, fait à Dieu un monde de joie et de gloire qui défit sa colère !

III – Sang du Christ, enivrez-moi !

Ah ! on étouffe devant la grandeur du spectacle de ce sang divin répandu ! Que serionsnous donc, si, sachant tout cela, nous demeurions froids et insensibles ? Sang du Christ, enivrez-moi ! Garder son calme ici, ce serait une cruauté, il y faut l’enthousiasme, il y faut de l’ivresse !

Mettons-nous à genoux, en pensée, au pied de la Croix de Jésus mort. Nous avons sur les mains, sur les bras, qui, après Madeleine, embrassent la Croix, des traces du sang de Jésus : regardons ce sang, respirons-le, baisons-le, enivrons-nous de lui ! L’ivresse est sombre : pleurons, parce que nous avons notre part personnelle aux souffrances de Jésus : il y a telle goutte de sang qu’il a versée pour nous. Au fond de toute joie défendue que je prends, il y a le sang du Sauveur que je verse ou que je profane ! Sang du Christ enivrez-moi de tristesse et de repentir !

L’ivresse est généreuse. Elle est une sorte de folie qui ne compte plus, qui ne raisonne plus. De cette ivresse, Jésus était pris quand, sur la Croix, il donnait pour nous tout son sang ; une folie ! Quiconque a compris le mystère de la Croix sanglante est saisi d’une ivresse pareille. Jésus a donné son sang pour lui, il ne peut supporter l’idée de ne pas lui donner le sien : tous les martyrs ont agi sur le coup de cette ivresse sublime : ils avaient besoin de rendre au Christ quelque chose de son amour. Tous les missionnaires sont ivres du sang de Jésus : ils ne peuvent supporter l’idée qu’il y ait des âmes qui ignorent que le Sauveur l’a versé pour elles et ils vont, au bout du monde, pour le leur dire. Tous les saints sont ivres du sang de Jésus : ils savent qu’ils en ont l’âme couverte et une sainte jalousie les gagne de se torturer et de s’immoler avec lui et pour lui. Ivresse de réparation, ivresse d’apostolat, sang du Christ, sang du Christ !

L’ivresse est joyeuse aussi. Nous pouvons chanter au pied de la Croix l’amour de Dieu pour nous, la défaite du mal, la paix de Dieu avec nous. Sang du Christ, enivrez-moi d’allégresse, parce que vous m’avez gagné le ciel, parce que, mieux que tout, vous m’avez prouvé que Dieu m’aime !

Sang du Christ, enivrez-moi au Jardin d’agonie, au prétoire, au Calvaire, où je vous vois, où je vous respire, où je vous baise ! Sang du Christ, enivrez-moi surtout à l’autel, où, en toute vérité, je vous bois. Boire le sang du Christ et demeurer sans amour pour le Christ ! Seigneur, préservez-moi à jamais de ce malheur ! Envahissez-moi, possédez-moi malgré moi-même ; entretenez en moi cette ivresse continue, qui me tiendra toujours au-dessus des petitesses, des égoïsmes et des passions ; qui me haussera au-dessus des horizons de ce monde et, dès maintenant, me donnera le goût de la vraie vie, celle que votre sang vient mettre et accroître dans mon âme, votre vie même, la vie de Dieu !

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• SIXIÈME MÉDITATION : Père, s’il se peut, que ce calice s’éloigne de moi.
Pater, si fieri potest transeat a me calix iste.

Surmontant ses tristesses, ses peurs, ses dégoûts, Jésus prie. Je le vois dans la lumière blafarde de la lune, écroulé sur la pierre nue ; il est si las que son corps se laisse aller sur ses jambes repliées, les mains croisées sur les genoux. Seule sa tête se redresse. Qu’elle est triste et quel effroyable découragement dans ses yeux fixés au ciel ! Par moments les bras se lèvent ; les mains nouées remontent à la hauteur du visage ; un frisson secoue le corps tout entier ; les lèvres de desserrent et une voix basse et rauque, pareille à un râle, soupire dans la nuit : « Père, s’il se peut, que ce calice s’éloigne de moi ! »

I – Le calice

Quel est donc ce calice devant lequel tout l’être humain de Jésus se soulève d’horreur ? Je pense d’abord à la Passion toute proche dont les détails sont présents à sa pensée qu’ils affolent. Et c’est bien assez pour mettre un homme hors de lui : la scène du baiser de Judas et celle du soufflet chez Anne ; l’interrogatoire de Pilate et la comédie chez Hérode ; la flagellation et l’ecce homo ; les cris continus de la foule trompée et ameutée contre lui, hurlant à sa mort ; la montée du Calvaire ; le crucifiement ; l’agonie du corps ; l’agonie de l’âme dans l’horrible abandon de tous et même de Dieu ! Comment est-il possible de tenir devant une perspective pareille ? Surtout, comment tenir dans chaque circonstance, avec la nuance exacte de son supplice propre, est présente à la pensée de Jésus dont la divinité aiguise la tragique perspicacité ! Oh ! l’horrible coupe où, dans le sang qui écume, grouillent, comme des bêtes, toutes les passions qui vont, demain, s’acharner contre lui.

Pourtant ce n’est pas encore la lie. La Passion c’est pour demain. Mais, aujourd’hui, déjà, le calice est plein à déborder d’horreur insondable. Aujourd’hui le très pur est fait péché ; aujourd’hui, comme dans une coupe offerte à ses lèvres par une main invisible mais obstinée, en une mixture ignoble, les péchés des hommes sont amassés, tous, avec leur amertume et leur puanteur ; et la main, la terrible main, au pauvre visage qui se détourne sans cesse, l’offre : bois, bois, dit la voix de Dieu, que tout ceci soit bien à toi ; fais tiennes toutes ces ignominies, pour qu’en toi je puisse vraiment les punir, bois, bois, jusqu’à la lie ! Aucune pitié ne peut émouvoir la divine justice, qui, malgré les supplications du pauvre agonisant, présente et présente encore le calice et reprend son offre effroyable : jusqu’à la lie !

Quelle est-elle enfin cette lie qui croupit au fond de la coupe ? Au Jardin, ce qui oppresse davantage le Sauveur ce n’est pas ce que nous venons de contempler de si horrible ; ce n’est ni la Passion qui vient ; ni même de prendre sur lui les péchés des hommes. Ce qui l’accable et le tue, c’est de penser que, malgré tout cela, il y aura des âmes qui se perdront. Comprenons bien qu’ici, où les tourments extérieurs n’ont pas encore commencé, toute l’agonie est dans le cœur ; c’est la Passion du Cœur de Jésus. Or, dans la Rédemption par la croix c’est l’amour qui commande tout : infiniment plus que la satisfaction de la justice divine qui veut que le péché soit puni, il y a l’amour de Dieu qui veut que les hommes, tous les hommes, soient sauvés. Tout cet amour de Dieu vibre et palpite dans le Cœur de Notre-Seigneur. C’est pourquoi le plus dur de son agonie au Jardin c’est la certitude où il est que sa peine sera perdue pour les damnés et que sur eux retombera son sang : donner son sang pour sauver et, par son sang, perdre ceux que l’on aime, voilà le comble du supplice pour le Cœur de Jésus, voilà, au fond du calice, plus amère que la crucifixion elle-même, la lie que le Sauveur doit boire.

II – Que ce calice s’éloigne !

Or, il hésite, il se dérobe, il supplie le Père de détourner de ses lèvres la coupe qu’il trouve trop amère.

Comprenons bien ce que demande Jésus. N’ayons pas peur d’entrer à fond dans ses sentiments et, comme il disait lui-même aux apôtres, d’être scandalisés.

Très réellement, de tout son vouloir d’homme, il souhaite, il demande que la Passion et tout ce qu’elle contient de souffrances pour le corps, le cœur et l’âme, lui soit épargnée. Mais alors, il cède à la peur ? Oui ! Au découragement ? Oui ! Mais alors il est lâche et il renonce à l’œuvre splendide du salut ? Non pas. C’est ce qu’il ne fera jamais ; c’est ce qu’il ne peut faire. Mais, jusqu’à cette limite, il veut éprouver, il ressent tous les sentiments qu’un homme, soumis à Dieu et décidé à ne jamais aller contre sa volonté, peut cependant éprouver d’hésitation, de timidité, d’épouvante devant une tâche qu’il s’est offert à remplir.

« Père, semble-t-il dire, je n’oublie pas ce que j’ai promis ; je n’oublie pas qu’à l’origine, ayant le choix entre une rédemption de gloire et de joie, moi-même j’ai choisi la croix ; mais maintenant que la croix est prête et qu’il faut la prendre sur moi, en attendant qu’on m’y cloue, ô Père, j’hésite, je voudrais autre chose. Votre justice peut bien se satisfaire d’autre façon, les âmes peuvent être sauvées autrement. Est-ce que déjà l’œuvre que je devais accomplir n’est pas achevée ? N’ai-je pas été assez humilié déjà, n’ai-je pas assez souffert ? Le sang que je viens de verser dans mon agonie ne suffira-t-il pas ? Pitié ! Pitié ! »

Tant pis pour ceux qui se scandalisent d’entendre le Sauveur parler ainsi ! Nous autres, comprenons bien que jamais il ne nous a tant aimés, ni si bien compris qu’en ces heures d’agonie où il a voulu se faire si semblable à nous.

C’est une vue fausse de la vertu et de l’héroïsme même que de nous les représenter stoïques dans l’épreuve : seuls les hommes de théâtre ou de rêve sont ainsi faits ; les hommes tout court, les héros et les saints sont d’autre sorte : ils vibrent, ils ont du cœur, ils ressentent tous les brisements de l’âme et les plus braves ont leur heure d’épouvante, d’abattement et de doute, comme Jésus au Jardin. Il nous permet donc, puisqu’il l’a fait lui-même, de nous plaindre au Père d’être si rude et si exigeant pour nous.

Quand le malade, impuissant et crucifié dans tous ses membres, est vaincu et terrassé par la douleur qui s’éternise, quand il pleure, quand il gémit, quand il supplie Dieu de le prendre ou de le guérir : même quand il lui semble que Dieu se montre trop dur et qu’il lui en fait filialement reproche, même alors, le malade n’offense pas Dieu, puisque Jésus, qui ne peut pas pécher, a demandé au Père d’éloigner de ses lèvres le calice de la Passion.

Quand nous n’en pouvons plus d’avoir été déçus dans nos désirs, arrêtés dans nos élans ; quand les insuccès nous ont brisés et que nous sentons autour de nous les amitiés fléchir, les appuis humains crouler l’un après l’autre ; quand, de tout côté, comme une épave livrée à la tempête, nous sommes submergés dans les deuils, les afflictions, les ruines ; quand le scandale du mal, maître du monde, nous apparaît plus hideux et nous blesse plus profondément, nous avons le droit de nous plaindre à Dieu, d’implorer sa pitié et de lui demander, après Jésus et en prenant la même formule, que le calice s’éloigne de nos lèvres ! Dieu nous permet ce qu’il accepte dans son Fils ! Jésus, notre aîné, notre Dieu, comprend, ayant connu cette agonie, que nous demandions la délivrance !

III – Mais que votre volonté soit faite, et non la mienne !

La volonté humaine en Jésus était donc en lutte avec la volonté divine ? Non pas en lutte, mais en opposition très nette. Non seulement la sensibilité, l’imagination et tout le reste de nos facultés qui échappent au contrôle de la liberté, mais la volonté elle-même de l’homme-Dieu, entraînée, par les puissances inférieures, d’accord avec elles, demandait, choisissait, autant qu’il dépendait d’elles, que le calice de la Passion s’écartât de lui. Il y avait vraiment conflit ; conflit bien naturel, car le calice était affreux à boire ; conflit bien légitime, car ce que demandait Jésus n’était pas illicite : il ne voulait pas le mal ; il demandait que le mal lui fût épargnée.

Et pourtant le mal dont il demandait d’être préservé eût-il été mille fois pire, dès que la volonté de Dieu s’affirmait clairement, toute l’humanité volonté du Christ retrouvait sa vigueur première pour imposer à l’imagination et aux sens en révolte l’acceptation de l’ordre divin : non pas ce que je veux, mais, ô Père, que votre volonté soit faite.

Or, Dieu veut la Passion et la mort. Tout est donc accepté sans murmure désormais, ni défaillance, ni plainte. Une fois seulement, au cours de l’agonie, Jésus en croix se plaindra à son Père qu’il l’ait abandonné ; mais ni chez Anne, ni chez Caïphe, ni chez Hérode, ni chez Pilate, ni devant la foule ou bien quand il se livre aux mains des soldats, ni sur la montée du Calvaire, ni dans l’effroyable supplice du crucifiement, jamais il n’ouvrira la bouche pour se plaindre : Dieu le veut, fiat !

Comme il est difficile de nous en remettre à Dieu de cœur, du moins en ce qui nous touche ou nous fait souffrir. Lorsque, comme Jésus, nous avons dit au Père que nous n’en pouvons plus et que notre calice est trop plein ou trop amer, qu’il est difficile, comme lui, d’ajouter : « Et pourtant, Seigneur, faites de moi tout ce qu’il vous plaira ! » Parfois, même des lèvres, nous ne pouvons pas le dire, tellement le cœur est suffoqué, tellement la pauvre volonté s’en va à la dérive, emportée par nos instincts. Alors, c’est la brouille avec Dieu, deux fois folle parce que nous avons toujours tort contre lui et parce que nous séparer de lui, c’est souffrir un peu plus.

Peut-être, d’autres fois, les lèvres répètent bien les paroles de Jésus, mais le cœur n’y est pas. C’est mieux pourtant et c’est parfois le moyen que le cœur y vienne à la fin.

Apprenons de Jésus, par la continuelle méditation de son agonie, à nous perdre dans la volonté de Dieu. Quelle force nous aurions le jour où, en toute vérité, Dieu nous serait présent, Dieu serait assez notre tout, pour que nous vivions de faire ce qu’il veut !

Pardonnez, ô Maître, ces défaillances, ces hésitations, ces demi-révoltes mêmes, qui montent de notre pauvre fond de misère et de péché ; car il y avait, entre vous et nous, cette différence, que vous vous abandonniez librement à l’assaut de toutes les puissances ennemies de Dieu ; pour nous, hélas ! il n’en est pas ainsi : ces forces du mal habitent en nous et, malgré nous, elles se soulèvent. De plus, vous ne pouviez pas pécher ; hélas, nous pouvons allez jusquelà. Ô Maître, gardez-nous, défendez-nous contre nous-mêmes, ne nous laissez pas succomber à la tentation, mais qu’en nous toujours soit faite la volonté du Père !

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• SEPTIÈME MÉDITATION : Plongé en agonie, il prolongeait sa prière.
Factus in agonia prolixius orabat.

Agonie, peur, dégoût, tristesse, calice d’horreur, sueur de sang, j’ai voulu, pour répondre à l’appel de Jésus, comprendre tout cela, c’est-à-dire essayer de le revivre et de le savourer comme un mets amer qu’on retient dans la bouche. Ainsi, moi qui ai, pour ma part causé l’agonie du Sauveur et sa mort, je prenais mon humble part de ses tourments divins ; ainsi surtout, deux mille ans après l’évènement, moi qui étais présent au Cœur agonisant de Jésus à Gethsémani, je voulais lui apporter une compassion qu’il prévoyait déjà et que je n’avais pas pu lui témoigner alors.

Aujourd’hui je veux m’unir à sa prière pour en goûter la sécheresse et aussi pour que j’apprenne, comme lui, aux heures noires, à prier.

I – L’humble prière

Humble prière ! Ainsi Jésus appelle sa prière à Gethsémani. « Pour m’accompagner, disaitil à sainte Marguerite-Marie, dans cette humble prière que je présentai alors à mon Père, tu te lèveras entre onze heures et minuit pour te prosterner une heure avec moi ». C’est que Jésus n’avait pas encore prié ainsi. Il priait toujours, particulièrement la nuit. Alors, livrant son âme à la divinité qui la possédait, sa prière touchait aux confins de l’union divine où aucun autre, ici-bas, non pas même Marie, n’atteignit jamais : prière profonde, haute, de ravissement en Dieu ; d’un mot : prière d’Homme-Dieu.

Avant de partir pour le Jardin d’agonie, Jésus avait aussi prié ; mais là, sa prière est fière : « Père, l’heure est venue, glorifiez votre Fils ! » Repassant sa vie, il se rend ce témoignage qu’elle fut belle et qu’il a accompli sa tâche ; il s’égale au Père lui-même, qu’il prie de lui rendre près de lui la gloire qu’il possédait avant que le monde fût.

Tout est changé maintenant. Jésus prie ; mais il est le péché du monde en proie à la colère de Dieu. Il ne s’agit plus de gloire ni de mérite ; il s’agit de fléchir le courroux divin et d’obtenir du Père quelque pitié. Le ton et la formule sont modestes : « Père, s’il se peut… » ; la demande est, si on peut dire, intéressée : Jésus supplie le ciel qu’il lui épargne les horreurs de la Passion et de la mort. Prière d’humilité ; prière humiliante pour Jésus qui, en toute vérité, pouvait dire au Père : « Vous et moi nous ne faisons qu’un ! »

Et cependant Jésus n’hésite pas, il va prier. Ceci, de sa part fut bien voulu. Dès qu’il arrive à Gethsémani, il arrête à la porte du Jardin la troupe des apôtres et leur dit : « Asseyez-vous ici pendant que j’irai un peu plus loin pour prier ». Pour prier ! Il est venu là pour cela et il invite les onze à faire comme lui : « Priez, afin de ne pas entrer en tentation ». Aux trois préférés, Pierre, Jacques et Jean qu’il entraîne avec lui dans l’enclos, il ne dit pas autre chose : « Levezvous et priez ! » « Veillez et priez ! » Quant à lui, trois heures durant, il prie son humble prière.

Ai-je bien compris la leçon que Jésus me donne ici ? Quelle est mon attitude instinctive aux heures douloureuses ? Est-ce que mon premier mouvement est de me tourner vers Dieu ? Est-ce que plutôt je ne me perds pas en plaintes, en cris, en démarches auprès des hommes qui pourront m’être de quelque soulagement ? Et, même quand j’ai cédé à ce premier instinct bien naturel qui me fait rejeter la souffrance et chercher par tous les moyens à lui échapper, est-ce que je pense enfin à Dieu ? Qui sait ? Si je pense à lui, n’est-ce pas pour me plaindre ou pour le bouder ? Et le résultat de tout ceci est que je souffre un peu plus, parce que ma souffrance demeure et que je suis un peu plus loin de Dieu.

Je regarde ce que fait Jésus. Sans aucune hésitation il va prier. Il sait fort bien que sa demande ne sera pas entendue ; il sait que sa prière sera dure, sèche. Cependant il se prosterne la face contre terre et il commence la prière désolée qui ne s’arrêtera pas pendant trois heures durant. La leçon est claire : je souffre, il faut prier. Pourquoi ? Parce que la plus sûre mission de la souffrance est de me ramener à Dieu : le bonheur se suffit à lui-même ; il nous grise. Vienne l’épreuve, et nous voilà remis dans le vrai de notre impuissance et de notre misère : nous ne sommes rien ; nous ne pouvons rien ; il reste Dieu !

Pourquoi prier ? Parce que rien ne nous rend sincères comme la douleur ; le cœur broyé crie vers ceux qu’il aime ; jamais le cri du cœur n’est plus vrai que lorsque la souffrance le fait jaillir. Je souffre et je ne prie pas, c’est que Dieu ne compte pas pour moi, c’est que je n’aime pas Dieu. Et voilà pourquoi le Fils, qui ne faisait qu’un avec le Père, tout naturellement va prier.

Ô Jésus, donnez-moi envers Dieu votre esprit filial, envers vous l’esprit vraiment fraternel et alors, en toutes mes épreuves, comme vous, je me mettrai à genoux pour prier, pour vous prier vous-même de me délivrer ou de me rendre fort.

II – La prière toujours la même

« Et s’étant un peu avancé, il s’éloigna d’eux à la distance d’un jet de pierre, et, s’étant mis à genoux, il se prosterna la face contre terre, et il priait pour que cette heure, s’il se pouvait, s’éloignât de lui. Et il disait : Père, s’il est possible, éloignez de moi ce calice ; cependant, que votre volonté s’accomplisse, non la mienne… Et plongé en agonie, il redoublait de prière. »

L’humble prière de Jésus est, de plus, toujours la même. Pourquoi ? De même que l’amour, la douleur, quand elle n’est pas muette, n’a qu’un mot. Les grandes souffrances sont comme une mer où l’on se noie : le noyé n’a, dans l’esprit, qu’une pensée, et, sur les lèvres, quand il revient à la surface, qu’un cri : au secours ! Submergé dans l’immense océan de nos péchés, englouti dans les flots de la colère divine, Jésus est pareil à un noyé : son esprit est obsédé par la pensée de sa délivrance et l’obsession se traduit sur ses lèvres, par une formule identique et répétée presque machinalement : Père, au secours, délivrez-moi. Il faut avoir l’âme très libre pour faire un beau discours. Or, il ne s’agit pas ici de belles paroles ; Jésus agonise, sublime d’énergie et d’héroïque abnégation, mais il est écrasé par son rôle de pécheur : les agonisants parlent peu.

Pourquoi toujours la même prière ? Parce que Jésus sent la résistance de son Père. Il nous avait enseigné lui-même comment on peut la vaincre en se faisant importun (Luc, XI, 7 et suiv.). Cet homme, qu’il nous représente frappant la nuit pour se faire prêter du pain, à la porte de son voisin endormi. Il frappe si longtemps et si fort que, dit Jésus, « quand même il ne se lèverait pas pour lui donner parce qu’il est son ami, il se lèvera à cause de son importunité et lui donnera autant de pain qu’il en est besoin ». Jésus en est réduit là, que son Père demeurant sourd à sa prière, il essaie de le vaincre en l’importunant. Humble prière !

Pourquoi, enfin, la prière toujours la même ? Parce que c’est un besoin pour celui qui souffre, de gémir ; ses soupirs, ses cris mêmes apaisent pour un instant ses pauvres nerfs tendus à se rompre. Pour Jésus, il a voulu toucher le fond de notre misère et il en est là. Mais il se fait aussi en son âme humaine un véritable apaisement. La parole qu’il dit est toujours la même, il la pense et il la veut : sans doute, il supplie Dieu d’écarter de lui ce calice ; mais avec autant de conviction, il ajoute : « Que votre volonté, Père, soit faite. » C’est l’héroïque réaction de la volonté du Christ contre toute l’irraisonné qui monte à l’assaut de son âme : en s’affirmant par des commandements répétés, la volonté s’affermit et la prière de Jésus, de fait, le conduit à accepter plus virilement la volonté de Dieu : elle le rend fort.

Une fois, deux fois, trois fois, il en fut ainsi, une heure durant.

Quand donc saurons-nous prier ainsi ? Qu’il fait bon, pour l’apprendre, se mettre à l’école de Jésus !

Sachons d’abord que les belles prières ne sont pas celles des livres, bien conduites, bien rythmées, écrites à loisir par un artiste, sincère à coup sûr, mais qui, malgré tout, demeure un auteur. Les belles prières sont les cris de honte, de douleur, d’amour, qui, devant Dieu seul, et, dans le secret absolu de notre vie intime, nous jaillissent de l’âme : il n’y faut, pour les exprimer, que peu de mots ; parfois même, il n’en faut pas du tout ; le bondissement du cœur ou son broiement ou bien les larmes y suffisent.

Puis, sachons répéter longtemps, toute la vie, les mêmes prières : il y en a qui seront de circonstance jusqu’à la fin. Jusqu’à la fin, nous aurons à demander à Dieu de nous garder du mal qui est en nous, de guérir notre manque de foi et de vertu. Nos chutes quotidiennes amèneront sur nos lèvres les mêmes supplications de pardon et les mêmes appels à la grâce. Sachons recommencer toujours à demander la même chose. Jusqu’à la fin nous demanderons à Dieu que son règne arrive, sans que jamais nous le voyions s’établir ; ne nous lassons pas, sachons recommencer toujours la même prière. Que Jésus nous apprenne à être importuns !

Enfin, sachons que la prière éternelle de nos lèvres et de nos cœurs est le signe que notre volonté n’abdique pas. Tant que nous prierons Dieu de nous accorder une chose, c’est que nous continuons à la vouloir et à la vouloir après des années plus résolument qu’au début : il importe peu que la formule demeure la même et qu’elle ne nous émeuve plus : le cœur tient bon : Dieu regarde au cœur !

Ô Maître divin d’oraison, accordez-moi de faire toujours les mêmes prières tous les jours de ma vie, car, tous les jours de ma vie, j’aurai à demander pardon et à implorer la force ; tous les jours de ma vie, j’aurai quelque amertume à boire et il se pourra même que, pendant des années, ma vie soit une agonie ; par votre agonie du Jardin, ô Maître, enseignez-moi à prier, enseignez-moi à recommencer toujours la même prière.

III – Prière désolée

Prière humble, prière identique et, au surplus, prière désolée ! Pendant que Jésus priait, son agonie ne cessait pas : il était sous le coup de ses dégoûts, de ses terreurs, de sa mortelle tristesse. Il en ressentait au cœur tout le poids et, dans la bouche, une fièvre qui la rendait brûlante et sèche. Image de sa prière. Parce qu’il le veut, Jésus prie ; il prolonge même sa prière ; mais il a beau se commander, il a beau implorer, sa prière demeure froide, rude, le cœur n’en est pas allégé : il est écrasé sous le poids de l’indifférence divine, de l’abandon et du délaissement de la part du Père. Et cependant, Jésus prie toujours.

Prière désolée mais non pas stérile. Au contraire, prière étonnamment féconde. Il est vrai, Jésus n’obtient pas la rémission de sa peine ; il lui faudra boire le calice ; mais il s’ancre davantage dans la volonté divine acceptée, aimée résolument, et, par là, déjà il nous sauve. Il nous sauve aussi par l’agonie morale du Jardin que sa prière lui donne la force de supporter ; au cours de la Passion, commencée au Jardin et achevée sur la Croix, Dieu seul sait ce qui pèse le plus dans la balance de sa justice, ou l’agonie de Gethsémani ou la flagellation et le crucifiement.

Prière désolée mais féconde par tout le courage enfin qui en jaillira pour nous !

Jamais, ô Maître compatissant, je ne vous remercierai assez pour avoir voulu être si proche de moi et si semblable à ce que j’ai de pire dans mes lassitudes, dans mes défauts, dans mes accablements. Je sais donc, par vous, que la prière est belle même quand elle laisse le cœur sec et froid, même quand elle est sans voix pour s’exprimer ; je sais par vous que je peux, devant vous, demeurer sans pensée, stupide de douleur ou de tristesse, sans vous déplaire et vous offenser ; je sais par vous que vous vous contenterez alors de mon impuissance et de ma présence et que cette prière, aride et muette, vous plaît infiniment, qu’elle est entendue et qu’elle sauve des âmes !

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• HUITIÈME MÉDITATION : Il les trouva endormis.
Invenit illos dormientes.

Jésus, raconta saint Luc, après avoir prié, se leva et vint vers les disciples qu’il trouva endormis de tristesse. Et il leur dit : « Pourquoi dormez-vous ? Levez-vous et priez afin de ne point entrer en tentation » (Saint Luc, ch. XXIII, v. 45-46).

Saint Mathieu ajoute à cette description quelques détails qu’il faut relever pour les méditer et en faire notre profit. « Il vint ensuite, dit-il, vers ses disciples, et les trouvant endormis, il dit à Pierre : Ainsi vous n’avez pas pu veiller une heure avec moi ! Veillez et priez, afin que vous n’entriez point en tentation ; l’esprit est prompt mais la chair est faible » (ch. XXVI, v. 40-41).

Plus loin, il ajoute : « Étant venu de nouveau, il les trouva encore endormis car leurs yeux étaient lourds ». « Et ils ne savaient que répondre » conclut saint Marc (ch. XIV, v. 41).

Dans le mystère de Gethsémani, voici, peut-on dire, notre part : les apôtres qui dorment tandis que Jésus agonise, prennent déjà l’attitude que garderont au cours des siècles des milliards d’hommes entièrement indifférents à ses souffrances. Ce qui est pire, c’est que cette attitude soit, non pas seulement celle de la masse forcément légère et insoucieuse, mais des disciples de Jésus, de ses amis, de ses apôtres, des préférés du Maître : Pierre, Jacques et Jean. Regardons, pensons ; et, sans que l’Agonisant divin soit forcé de nous rappeler à l’ordre, levons-nous et prions.

I – Il prit avec lui Pierre, Jacques et Jean

Au moment de franchir l’entrée du clos d’oliviers, Jésus se retourne. Il fait signe aux onze apôtres — Judas est parti dans la nuit — de s’arrêter et il leur dit : « Asseyez-vous ici pendant que j’irai un peu plus loin pour prier. Priez, afin de ne point tomber en tentation ». Puis aussitôt, il fait signe aux trois apôtres, sans doute, plus près de lui et il leur dit : « Vous autres, suivez-moi ! » C’était Pierre, Jacques et Jean.

La pensée de Jésus est très claire d’après sa manière d’agir. Aux disciples et aux autres apôtres, qu’il laisse de l’autre côté de l’entrée, il dit : « Asseyez-vous et priez » et il les laisse loin. Aux trois, il demande qu’ils le suivent, et, les faisant les témoins immédiats de son agonie qui commence, il leur avoue son désarroi : « Mon âme est prête à mourir. Demeurez ici et veillez avec moi ». La différence de traitement est grande : aux uns, il demande de l’assister de loin de leur sympathie et de leur prière, et, comme il les sait très las, il leur permet de s’asseoir. Pour les trois, c’est tout autre chose ; il les veut à ses côtés ; ils verront, ils entendront tout ; eux n’ont pas le droit de s’asseoir, il leur demande formellement de veiller avec lui.

Mystère des préférences divines ; mystère des abandons humains qui vont s’unir ici pour aggraver l’agonie de l’Homme-Dieu.

Dieu traite les âmes inégalement : c’est son droit souverain. À toutes il donne son amour sincère et suffisant : il n’est pas une âme qu’il est exclue de la rédemption, ce qui veut dire que, pour le salut de chacun d’entre nous, un Dieu très librement, nous connaissant très particulièrement a donné sa vie. Voilà qui suffit à écarter du gouvernement divin toute idée d’injustice ou même de caprice. Voilà aussi qui nous charge tous d’une effroyable responsabilité.

Mais, tous étant pourvus et même, on peut le dire, comblés, comme les richesses divines sont infinies, il fait à ceux qu’il aime des parts inégales. Nous le voyons bien ici dans la matière nettement différente dont il traite, à part des autres, trois de ses apôtres manifestement préférés.

Mais, il savait aussi, le Maître, qu’à l’heure de son agonie, les uns comme les autres, le laisseraient souffrir seul et que ses divines avances se retourneraient contre lui : préférences divines et abandons humains se rejoindraient pour l’accabler davantage ; il faut que tout tourne contre lui : c’est l’heure des puissances mauvaises ; à tous les tourments divins ne pouvait manquer celui d’une ingratitude raffinée.

Il y a aussi quelque chose de très émouvant à voir Jésus solliciter la pitié de la foule, si on peut dire, et de ses intimes. Il se montre là admirablement homme et plein de condescendance envers nous. Il n’y a rien de plus dur à porter, quand on souffre, que la solitude ; même quand ils savent bien qu’on ne peut plus rien pour eux, les malades veulent être entourés : ils appellent, ils crient non pas tant au secours qu’à la présence. Nous gardons tous, comme le symbole de l’agonie et de la mort la plus affreuse, la mort et l’agonie des soldats abandonnés sur le champ de bataille et qui, presque tous, par un instinct identique, appelaient, dans leur tragique abandon, leur mère ! Jésus est vrai homme ; au moment où il se sent envahir par la tristesse mortelle de l’agonie qui déjà le baigne de sa sueur ; il ne veut pas être seul : il veut sentir du monde autour de lui et, tout contre lui, des amis : « Demeurez ici et veillez avec moi », dit-il à Pierre, Jacques et Jean.

Je peux donc, moi aussi, dans mes peines, dans mes doutes, chaque fois que, dans le corps, dans l’esprit ou dans l’âme, je souffre, je puis appeler à l’aide ; je puis, auprès de ceux que je connais, et de ceux qui m’aiment, chercher appui ; Jésus l’a fait. Mais, si je suis déçu, je songerai que Jésus le fut aussi et que moi-même, comme Pierre, Jacques et Jean, j’ai dormi, peut-être, pendant qu’il agonisait.

II – Pierre, Jacques et Jean

Qui sont-ils ces trois élus ? D’abord, ils sont les trois de la Transfiguration. Ce n’est pas la première fois que Jésus les prend à part des autres, pour leur montrer ce que les autres ne verraient pas. Un jour il les avait conviés à le suivre au Thabor. Là, devant eux, entre Élie et Moïse, il s’était révélé à leurs yeux, vêtu du soleil, si blanc dans sa robe qui rayonnait « qu’aucun foulon terrestre n’aurait pu tisser la pareille ». Ils avaient tous trois entendu une voix sortie des nues qui criait : « Celui-là est mon Fils bien-aimé, écoutez-le ! » Or, comme ils descendaient ensemble, la gloire s’étant éteinte, Jésus défendit aux trois de parler à qui que ce soit de ce qu’ils venaient de voir « jusqu’à ce que le Fils de l’Homme fût ressuscité des morts… et ils se demandaient entre eux ce que signifiaient ces mots : être ressuscité des morts » (saint Marc, ch. IX, v. 1 à 10).

Après coup, il est aisé de comprendre pourquoi, au sortir du Cénacle, Jésus prit avec lui pour entrer au Jardin des Oliviers Pierre, Jacques et Jean : ils étaient ceux qui l’avaient vu dans la gloire du Thabor ; ils avaient entendu proclamer sa filiation divine ; ils avaient reçu la confidence spéciale de la résurrection ; ils étaient prêts pour voir, sans défaillir, Jésus en proie à l’agonie et aux autres affres de la mort : le Thabor les avait préparés au Calvaire.

De plus, ils avaient reçu chacun dans l’histoire personnelle de leurs relations avec Jésus des marques de préférence qui commandaient de leur part un plus grand amour. Pierre était celui qui avait marché sur le lac ; celui qui, à Bethsaïde, s’était entendu dire, après avoir nettement confessé la divinité de Jésus, qu’il serait la pierre d’angle de l’Église et qu’il aurait le dépôt des clés du ciel ; il était celui à qui Jésus, au Cénacle, venait de promettre qu’il prierait spécialement pour que sa foi demeurât inébranlable.

Jean était non seulement un apôtre mais celui que Jésus aimait. C’était connu et on ne le désignait pas autrement. Il n’aurait pas le privilège de Pierre d’être le chef des apôtres, mais il aurait celui d’une affection plus profonde et unique de la part de Jésus ; il serait l’apôtre et le voyant de l’amour divin, dont il avait saisi le secret sur le Cœur de Jésus, à la Cène.

Jacques était le frère de Jean et, dans le rayonnement de l’aimé, il avait aussi sa part des préférences du Maître, si bien que sa mère, très perspicace, demandait pour ses deux enfants les premières places du royaume.

Donc, tous trois, des comblés de grâces ; ce n’est pas assez dire ; tous trois préparés immédiatement au scandale de Gethsémani et à la tentation qui, là et au cours de la Passion, va les assaillir.

Ils sont aussi tous trois des symboles. Dans la suite des siècles, ils représentent tous ceux qui, dans la suite du Maître, ses favoris, ses préférés, cependant, dorment quand il agonise.

Les préférés de l’apostolat, prêtres et religieux, qui par Jésus, au jour de l’ordination, ont été marqués pour la conquête des âmes et ont entendu l’évêque leur adresser les paroles mêmes que le Christ avait dites aux Douze : Prêchez, confessez, baptisez !

Les préférés de l’amour qui ont été reçu des grâces de lumière qui n’ont été données qu’à quelques-uns et qui, gagnés, ont suivi Jésus. Les préférés des intimités divines qui ont vu, à leur humble manière, les grandes clartés du Thabor et tous ceux-là aussi qui, pareils à Jean, ont entendu, pieusement reposés sur sa poitrine, battre le Cœur de Jésus.

Tous ceux-là, enfin, qui comblés comme les trois, comme les trois, ont dormi !

III – Il les trouva endormis.

S’arrachant à sa mortelle tristesse, Jésus s’approcha de ses trois amis sur la pitié vigilante desquels il avait compté. Il avait besoin de se sentir aimé ; il aurait voulu, dans son amertume, trouver quelqu’un de bon à qui parler. Déjà, il est sur eux. Ils ne bougent pas. Un sommeil de plomb les cloue au sol. Il doit crier : il doit les secouer pour les rappeler à eux et quand, stupides, à demi-couchés encore et se frottant les yeux, ils comprennent enfin, ils demeurent sans un mot devant la plainte navrante de Jésus.

Il s’attaque à Pierre, directement, sans doute parce qu’il semble plus éveillé : « Pierre, tu dors ? Ainsi vous n’avez pas pu veiller une heure avec moi ! » Il reçoit le coup inconscient à demi et, lui, si prompt à la riposte « il ne sait que répondre » ! Non pas même un mot, un mot d’excuse.

Et ce fut ainsi deux fois à une heure d’intervalle. Un évangéliste, saint Marc, éprouve le besoin de les excuser quelque peu et l’excuse est pitoyable : « Leur yeux, dit-il, étaient pleins de sommeil ». Nous connaissons tous cela : après une journée de fatigue physique ou de douleur morale, cette lourdeur qui coule du plomb dans nos veines et nous jette couchés sur le sol, sur une chaise, n’importe où ; ce picotement des yeux que recouvrent, malgré nous, les paupières chargées de langueur ; ce sommeil lourd d’où aucun bruit n’arrive à nous tirer et dont, même par un effort de volonté, nous n’arrivons pas à rompre l’envoûtement. Ainsi étaient Pierre, Jacques et Jean au soir de la Cène où ils avaient tant vu de choses extraordinaires ; où ils avaient tant fait de choses, depuis le matin.

Mais Jésus avait bien d’autres raisons d’être accablé. Et cependant il veillait.

Mais ils l’aimaient ! Or, il les suppliait de le soutenir dans son agonie ; il insistait, et, par deux fois, il leur demandait de résister au sommeil et de prier avec lui. Peine perdue : l’amour fut battu par la lassitude : ils dormaient tandis que le Jésus du Thabor, de Bethsaïde, du Cénacle agonisait de peur, de dégoût et de tristesse.

Ainsi, hélas ! dans l’agonie où Jésus sera jusqu’à la fin des temps, souvent s’endorment ceux qui comme Pierre, Jacques et Jean, devraient, parce qu’ils ont été choisis et aimés plus que les autres, veiller et prier.

Quand on est chargé du salut des âmes et qu’on voit le mal, ingénieux à les perdre, multiplier les tentations où elles succombent, gémir, faire semblant de résister, mais finalement, en se disant qu’il n’y a rien à faire, s’enfermer dans une bonne petite vie tranquille où Dieu a sa part assez large certes, mais où nos petits égoïsmes aussi trouvent à se contenter, c’est dormir !

Quand on aime Dieu Notre-Seigneur et qu’on le voit si inconnu, si outragé, demeurer tranquille en sa médiocrité spirituelle bien ouatée, bien garantie contre l’héroïsme, sans pousser jamais à fond ni la lutte contre nous-mêmes, ni l’abandon à l’amour de Jésus qui cependant nous presse : c’est dormir !

C’est dormir, quand on est officiellement l’ami de Jésus par choix réciproque et par serment, de languir dans l’imperfection quotidienne dont nous prenons notre parti par un renoncement à rebours qui nous fait abandonner l’idéal voulu à l’origine et même voué.

C’est dormir d’un sommeil de mort, quand on est chrétien et qu’on garde la foi et l’amour de Jésus, de vivre dans le péché qui nous sépare de lui ; c’est dormir encore, quand, sortant pour un jour de ce sommeil qui tue, on retrouve l’amitié divine par l’absolution, mais que, trop faible pour rompre l’attache au mal et fuir la tentation, on sait trop que, demain, on retombera.

De tous ces sommeils, comme de celui auquel à Gethsémani, s’abandonnaient Pierre, Jacques et Jean, Jésus aujourd’hui comme alors agonise.

Aujourd’hui, du moins, ô Seigneur, j’ai rompu l’engourdissement qui me tenait. Je me suis levé et j’ai voulu, comme vous le demandiez à Pierre, veiller une heure avec vous et partager votre agonie. Je suis vraiment honteux de ma lâcheté ; je sens au cœur une tristesse mortelle de mes langueurs et de mes sommeils passés ; je veille avec vous, ô Agonisant bien-aimé ; tenez-moi éveillé et vigilant toujours, puisque votre agonie ne finira qu’avec le temps !

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• NEUVIÈME MÉDITATION : L’ange qui console.
Apparuit angelus de coelo confortans eum.

L’agonie de Jésus a commencé. Prosterné la face contre terre, il a déjà senti l’horrible lutte intime qui dresse contre sa ferme volonté d’obéir au Père toutes les folies de l’imagination, toutes les lâchetés et les abandons des sens et des nerfs. De tout cela, il demeure maître ; mais il sent toute l’âpreté du combat ; il redoute l’avenir. Une première fois la rude prière qu’il reprendra pendant trois heures, monte à ses lèvres : « Père, s’il est possible, que ce calice s’éloigne de moi ; cependant que votre volonté soit faite, non la mienne ! »

« Or, dit saint Luc, un ange lui apparut du ciel qui le fortifiait. »

Dans la nuit de Gethsémani, voici un rais de lumière ! Contemplons-le : il fait partie du mystère : il nous ouvre une des sources de la force du Christ.

I – La réponse du Père

La prière de Jésus au jardin pose la question de la prière inexaucée. Il semble que le Père soit devenu sourd à la prière de son Fils et il est parfaitement exact qu’il ne lui a pas accordé ce qu’il demandait. Il demandait que le calice de la Passion fût éloigné de ses lèvres : il n’en a pas été ainsi ; tout au contraire, il a bu le calice jusqu’à la lie. Et nous sommes vite portés à conclure : alors, à quoi bon prier ? S’il y a une prière qui soit parfaite, c’est la prière de Jésus à son Père ! Tout y est : la sainteté et le mérite de celui qui prie, la soumission parfaite au vouloir divin, la légitimité de la demande et pourtant la volonté de Dieu choisit le parti que, de tout son désir, de toutes ses instances, Jésus écartait.

C’est vrai. Mais il est faux d’en conclure que la prière de Jésus n’a pas été écoutée : il est même très frappant de voir ici comment elle l’a été miraculeusement. Saint Luc nous dit formellement qu’un ange apparut à Jésus et qu’il lui donnait courage. Or, le merveilleux n’apparaît que fort rarement dans la vie du Sauveur. C’est une conception fausse de sa vie que de la voir baignant dans une atmosphère de légende où, en sa faveur, les miracles se multiplieraient. Tout cela est de la littérature apocryphe que l’Évangile exclut résolument. Lors donc qu’il nous signale une intervention céleste au profit de Jésus, à la crèche, au désert de la Tentation, à Gethsémani, il faut y prêter grande attention : la circonstance est grave.

Jésus ayant prié son Père d’écarter le calice d’agonie, le Père répond à la prière du Fils par un miracle certain : il lui envoie visiblement un ange dont la présence le fortifie et le console. Il demandait que la souffrance lui fût épargnée, il est repoussé ; mais, en revanche, il aura la force de la supporter. Et nous savons assez que jamais sa volonté n’a défailli. Sa prière a donc été splendidement exaucée.

Voilà ce qu’il nous est difficile d’admettre pratiquement. Prier, pour nous, c’est commander à Dieu. Nous interprétons mal ce que le Maître nous a appris, ce que Dieu nous a promis. Le Maître nous a enseigné qu’il suffisait de demander pour obtenir et que le Père ne serait jamais sourd à nos prières. Nous en concluons que nous sommes les maîtres de la volonté de Dieu. Alors, comme des enfants gâtés qui connaissent leur force contre les défaillances du vouloir et du cœur de leurs parents, nous demandons, nous pleurons, nous frappons du pied et si malgré la « scène » Dieu reste sourd, nous disons qu’il nous trompe et qu’il ne nous aime pas et nous boudons et nous cessons de prier, à moins que nous ne fassions pire encore et que notre dépit ne se change en haine.

Or, nous oublions le principal de la prière, c’est-à-dire l’acceptation de la divine volonté. « Que votre volonté soit faite et non la mienne ! » Nous ne prions bien que lorsque nous prions ainsi. En vérité qu’est-ce qu’une prière qui est, à l’égard de Dieu, un chantage véritable ou un ultimatum ? Il ne s’agit pas de demander à Dieu qu’il nous accorde quelque chose ; il s’agit pour Dieu de s’exécuter à notre ordre : que ma volonté se fasse et que Dieu s’y ajuste ! Est-ce prier cela ?

Mais celui qui, comme Jésus, s’en remet au Père de la décision, même si elle est contraire à ce qu’il souhaite et qu’il aime, celui-là est sûr d’être entendu et secouru par l’ange de la force.

II – L’ange de la force

L’ange de la force ! Qu’est-ce à dire ? Pour Jésus, l’expression a tout son sens littéral : un ange se montre à lui ; par sa présence au moins, par sa parole peut-être, au nom du Père, il le fortifie et le relève.

Voilà qui pose devant notre esprit bien des questions ? Et d’abord celle-ci : Jésus est Dieu, comment peut-il avoir besoin de la consolation que lui apporte un ange ? Quel renversement ! Cependant une fois que nous entrons dans la folie de la croix, tout est parfaitement logique. Oui, Jésus est Dieu ; mais il est l’Homme-Dieu. En ce moment, comme au cours de toute la Passion, il s’applique à être homme, à faire l’homme : le Dieu qu’il est et qu’il demeure s’emploie à faire son humanité plus vraie, donc plus faible, plus douloureuse et pantelante. Homme vrai, homme de douleur, Jésus, en ce sens, est au-dessous des anges : il est donc tout simple qu’un ange, un de ses anges — il les a tous créés et les tient dans sa main — vienne au chevet de son agonie pour le fortifier et le soutenir.

Et comment l’ange de la force accomplit-il son ministère ? Voilà qui est parfaitement mystérieux. Il est vain d’imaginer la langue qu’un ange pouvait parler au Christ, plus vain encore d’essayer de concevoir ce que pouvait être son discours. Ne tentons pas cela. L’ange était présent : sa présence parlait d’elle-même sans que les mots aient à intervenir. Le sens profond de l’assistance angélique était celui-ci : le Père vous aime et pense à vous ; la preuve en est que je suis là, délégué par lui ; mais, autant il vous aime, autant il veut que votre destinée de Sauveur s’accomplisse par la Passion et par la Croix. L’ange apportait donc à Jésus ces deux certitudes à la fois : de l’amour inébranlable touchant à la Passion. De là naissait dans l’âme de Jésus la force.

Comment ? Le plus dur quand on souffre, c’est de ne pouvoir rien contre la douleur : elle nous tient et nous écrase ; elle est forte et nous sommes vaincus par elle : elle cessera quand elle nous aura assez torturés. Tous, au cours de la grande guerre qui fut pendant quatre ans la grande douleur universelle, nous avions l’impression d’être dans la tourmente aussi faibles qu’un fétu dans la tempête ; nous étions emportés sans pouvoir nous conduire, ni nous arrêter, ni nous évader du cyclone. Cette complète impuissance accroissait singulièrement nos angoisses et nos peines. Jésus va se plonger dans la grande marée de sang qui le broiera, l’emportera, le suffoquera à la fin. Cependant, pas un instant, il ne perdra cette double certitude que l’ange lui apporte au Jardin : Dieu conduit tout ; Dieu veut tout ; Dieu m’aime. Il n’est donc plus dans l’océan des terreurs, des douleurs et du dégoût, l’épave inconsciente et impuissante : il veut de toute son âme ce que veut son Père qu’il aime. Sa force est là.

C’est pourquoi, malgré la tristesse, les dégoûts, la peur, il continue de prier. C’est pourquoi, l’heure venue de la Passion du corps, de la Passion sanglante, debout et d’une voix ferme, il crie aux apôtres endormis : « Levez-vous, celui qui doit me trahir est là ! »

Il nous est malaisé de concevoir dans notre vie un secours de Dieu qui soit purement de la force et du courage. Nous voulons d’abord l’arrêt de la douleur et nous demandons même, comme le signe le plus sûr de la protection divine, la consolation.

Confondons-nous en présence de Jésus et de lui apprenons à faire bon accueil à l’ange de la force. Puisque Jésus veut bien nous accepter comme compagnons de douleur, il nous permet de joindre aux siennes nos souffrances. Alors, comme les siennes, Dieu les impose, Dieu les accepte aussi : comme les siennes, elles sauvent les âmes et Dieu les inscrit au livre de vie. Avidement, maladivement, nous demandons à Dieu un signe sensible de son amour : le signe le plus sûr qu’il nous en puisse donner c’est, au milieu de nos épreuves, de nos douleurs, de nos doutes, dans l’agonie de l’âme, le courage de le servir, de l’aimer, de croire en lui… froidement, ce qui veut dire d’un amour plus fort que la mort, d’un amour pareil à celui dont Jésus agonisant s’attachait à la volonté du Père.

III – Les anges consolateurs

L’ange qui apparut à Gethsémani était un symbole : il représentait visiblement tous les amis de Jésus qui, dans la suite des temps, le soutiendraient dans son agonie. Eux aussi, très réellement seraient ses anges consolateurs.

Le plus assidu, le plus fervent de tous, est Marie. Sa vie est mystérieuse au cours de la Passion. Nous la voyons à la fin au Calvaire, où elle remplit visiblement sa fonction de corédemptrice ; mais elle n’a pas cessé de l’être un instant et pas un instant elle n’a cessé de participer aux douleurs du Sauveur. Était-elle au Cénacle ? Sûrement elle n’était pas au Jardin des Oliviers, puisque les évangélistes ne la signalent pas. Elle était certainement à Jérusalem et au courant, sinon de tous les détails tragiques par où passait Jésus, du moins sachant tout et vivant, par l’âme, tout. La première donc, avec l’ange, elle est aux côtés de l’agonisant bien-aimé, tout comme elle sera présente à l’agonie de la Croix. Elle est maîtresse aux agonies de l’âme puisque jamais elle ne connut le martyre du corps ; nul, comme elle, avec autant d’intelligence, avec autant d’avidité n’entra dans les terreurs, les dégoûts, les pensées de son fils au Jardin ; nul ne lui donna une compassion pareille, une pareille consolation. Que Marie soit le modèle de nos heures saintes !

Et puis, il y a tous les saints. Aucun saint ne peut se concevoir hors de l’amour et de l’imitation de Jésus. Tous, diversement certes, ont pris ses sentiments et ses pensées : tous ont compati à ses douleurs. Il y en a par milliers, connus ou inconnus, qui ont élu asile en quelqu’une de ses plaies et qui, toute leur vie, y ont gémi et pleuré. Il y en a que Jésus lui-même a choisi pour revivre en leurs corps et en leurs âmes tous les tourments de sa Passion, agonisants et crucifiés volontaires qui sont l’élite des amis du Cœur de Jésus. Tous ceux-là, auprès de Marie, soutiennent l’agonie de Jésus : ils étaient au Jardin parmi les anges consolateurs.

Enfin il y a nous. Tout ceux qui, entendant l’appel adressé à Marguerite-Marie, viennent veiller et prier de temps en temps une heure avec Jésus au Jardin. Quelle joie de penser qu’alors, il y a quelque deux mille ans, à travers ses cils inondés de sang, il nous a vus et que notre pauvre présence a porté à son Cœur une petite douceur qui jointe à la présence de l’ange, l’a rendu plus fort.

J’ai honte, ô Jésus, de vous ménager ainsi mon temps et de compter les minutes que je passe avec vous. Je veux désormais, non seulement être fidèle à mon heure sainte de tous les huit jours, mais prendre l’habitude de vous contempler douloureusement agonisant car, plus je vous vois mêlé aux difficultés que je ressens moi-même chaque jour, plus je vous vois homme, pauvre homme, vous mon Dieu, plus je sens que votre Passion est ma force !

Catholiques de France

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