L’histoire de la crèche de Noël – Frère Maximilien-Marie

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Giotto (fresques de la vie de Saint François) : le Noël de Greccio.

I. Le mot crèche.

Le mot français crèche, selon le « Dictionnaire historique de la langue française Robert », apparaît au XIIe siècle et dérive du francique « krippia ». C’est un radical germanique – en Allemand moderne, crèche se dit « Krippe » – que l’on retrouve en anglais « crib » (berceau) ou en néerlandais « kribbe » (mangeoire).
En latin, la crèche est désignée par les mots « praesepe, -is (n) » et « praesepium, -ii (n) » ou encore « praesepes, -is (f) » dont le sens premier est l’enclos pour les animaux, puis l’étable et enfin la mangeoire des animaux. Du latin vient le mot italien « presepe ».
A partir  du début du XIIIe siècle, le mot français « crèche » va désigner spécifiquement la mangeoire dans laquelle le Christ a été déposé à sa naissance dans l’étable de Bethléem. En ce sens, le mot s’écrit habituellement avec une majuscule.
C’est avec Chateaubriand, en 1803, qu’il s’est mis à désigner, par métonymie, la représentation de la scène de la Nativité que l’on fait, en trois dimensions, dans les églises au temps de Noël.

La représentation de la Crèche n’est ni plus ni moins qu’une manière d’honorer le mystère de l’Incarnation du Verbe de Dieu en vue de notre salut.
Le récit évangélique qui nous raconte comment Notre-Seigneur Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme, est né dans une pauvre étable et y a été adoré, a donc inspiré la piété des fidèles de très bonne heure. La dévotion, en se développant, a tout naturellement entraîné les artistes à la représentation du mystère.

(…)

V. La Crèche de Saint François d’Assise et son impact.

On entend parfois dire que c’est Saint François d’Assise qui aurait le premier imaginé de représenter la Crèche.
De tout ce que nous avons vu aux § II et III de cette étude, il ressort que c’est inexact : la représentation des scènes de la Nativité de Notre-Seigneur existait avant Saint François, sous forme de sculptures, de peintures ou de mosaïques.
Néanmoins on doit attribuer à Saint François la paternité de la première Crèche vivante de l’histoire puis, indirectement, des Crèches en trois dimensions que l’on présente dans les églises au temps de Noël.

L’histoire nous a été rapportée par Thomas de Celano, dans la vie de Saint François qu’il rédige en 1232, c’est-à-dire six ans après la mort du Poverello et 9 ans après l’événement qui nous intéresse, donc en un temps où vivaient de nombreux témoins des faits rapportés :

« …Je veux conserver pieusement le souvenir de ce qu’il fit à Greccio un jour de Noël, trois ans avant sa mort. Il y avait dans cette province un homme appelé Jean, de bonne renommée, de vie meilleure encore, et le bienheureux François l’aimait beaucoup parce que, malgré son haut lignage et ses importantes charges, il n’accordait aucune valeur à la noblesse du sang et désirait acquérir celle de l’âme. Une quinzaine de jours avant Noël, François le fit appeler comme il le faisait souvent.

« Si tu veux bien, lui dit-il, célébrons à Greccio la prochaine fête du Seigneur ; pars dès maintenant et occupe-toi des préparatifs que je vais t’indiquer. Je veux évoquer en effet le souvenir de l’Enfant qui naquit à Bethléem et de tous les désagréments qu’il endura dès son enfance ; je veux le voir, de mes yeux de chair , tel qu’il était, couché dans une mangeoire et dormant sur le foin, entre un boeuf et un âne .» 

L’ami fidèle courut en toute hâte préparer au village en question ce qu’avait demandé le saint.
Le jour de joie arriva, le temps de l’allégresse commença. On convoqua les frères de plusieurs couvents des environs. Hommes et femmes, les gens du pays, l’âme en fête, préparèrent, chacun selon ses possibilités, des torches et des cierges pour rendre lumineuse cette nuit qui vit se lever l’Astre étincelant éclairant tous les siècles. En arrivant, le saint vit que tout était prêt et se réjouit fort. On avait apporté une mangeoire et du foin, on avait amené un âne et un boeuf. 

Là vraiment la simplicité était à l’honneur, c’était le triomphe de la pauvreté, la meilleure leçon d’humilité ; Greccio était devenu un nouveau Bethléem. La nuit se fit aussi lumineuse que le jour et aussi délicieuse pour les animaux que pour les hommes. Les foules accoururent, et le renouvellement du mystère renouvela leurs motifs de joie. Les bois retentissaient de chants, et les montagnes en répercutaient les joyeux échos. Les frères chantaient les louanges du Seigneur, et toute la nuit se passa dans la joie. Le saint passa la veillée debout devant la crèche, brisé de compassion, rempli d’une indicible joie. Enfin l’on célébra la messe sur la mangeoire comme autel, et le prêtre qui célébra ressentit une piété jamais éprouvée jusqu’alors.


François revêtit la dalmatique, car il était diacre , et chanta l’Evangile d’une voix sonore. Sa voix vibrante et douce, claire et sonore, invitait tous les assistants aux plus hautes joies. Il prêcha ensuite au peuple et trouva des mots doux comme le miel pour parler de la naissance du pauvre Roi et de la petite ville de Bethléem. Parlant du Christ Jésus, il l’appelait avec beaucoup de tendresse « l’enfant de Bethléem », et il clamait ce « Bethléem » qui se prolongeait comme un bêlement d’agneau, il faisait passer par sa bouche toute sa voix et tout son amour. On pouvait croire, lorsqu’il disait « Jésus » ou « enfant de Bethléem » qu’il se passait la langue sur les lèvres comme pour savourer la douceur de ces mots.


Au nombre des grâces prodiguées par le Seigneur en ce lieu, on peut compter la vision admirable dont un homme de grande vertu reçut alors la faveur. Il aperçut couché dans la mangeoire un petit enfant immobile que l’approche du saint parut tirer du sommeil. Cette vision échut vraiment bien à propos, car l’Enfant-Jésus était, de fait, endormi dans l’oubli au fond de bien des coeurs jusqu’au jour où, par son serviteur François, son souvenir fut ranimé et imprimé de façon indélébile dans les mémoires. Après la clôture des solennités de la nuit, chacun rentra chez soi, plein d’allégresse.


On conserva du foin de la crèche « afin que Yahweh guérisse le bétail, si grande est sa miséricorde » ! En effet, beaucoup d’animaux de la région, atteints de diverses maladies, mangèrent de ce foin et furent guéris. Bien mieux, des femmes qui, au cours d’enfantements laborieux et pénibles, se munirent de quelques brins, accouchèrent heureusement. Des foules d’hommes et de femmes purent de la même façon recouvrer la santé. » (Vita Prima).

Cette première Crèche vivante donna ensuite l’idée aux communautés franciscaines de reproduire la scène de la Nativité, en trois dimensions, dans leurs oratoires, à l’aide de figurines en bois ou en terre pendant le temps de Noël.


Cet usage connut un tel succès qu’il se répandit progressivement aux autres églises. A cet égard, la Crèche d’Arnolfo di Cambio marque une étape importante puisque, commandée par le Pape Nicolas IV pour l’oratoire de la Crèche de l’une des plus insignes basiliques de la Chrétienté, elle confère une sorte de consécration officielle à cet usage né de la dévotion franciscaine.

En France, c’est à la fin du Moyen-Age que les Crèches apparaissent dans les églises, et c’est surtout au XVIe siècle qu’elles se généralisent. Les personnages seront d’abord en bois ou plus modestement en carton pâte ; la terre cuite et le plâtre viendront bien plus tard.

En Italie, l’épanouissement du baroque va donner aux Crèches un développement prodigieux : les Crèches napolitaines du XVIIIe siècle constituent de spectaculaires mises en scène et font l’objet d’un inépuisable émerveillement, par leur qualité, par l’abondance des détails et par la multiplication des personnages.
C’est aussi au cours de la période baroque que les demeures aristocratiques vont s’enorgueillir de posséder de ces splendides Crèches ; véritables oeuvres d’art, elles ne sont donc plus réservées aux seules églises mais entrent, même si c’est encore d’une manière très sélective, dans les demeures particulières.

Rome, crèche de la basilique des Saints Côme et Damien au forum
L’adoration des Mages, détail de la prodigieuse Crèche napolitaine du XVIIIe siècle
présentée dans la basilique des Saints Côme et Damien au forum à Rome.

VI. Les Crèches dans les maisons.

D’une manière un peu paradoxale, on peut dire que la grande révolution a participé au développement de la dévotion à la Crèche.

En effet, la persécution religieuse qui éclate en France à partir de 1791 (et qui durera presque 10 ans avec des périodes d’intensité variable), a pour conséquence immédiate la fermeture des églises et la suppression officielle du culte catholique.

Beaucoup de fidèles, nous le savons, même s’ils sont obligés de le cacher, restent profondément attachés à leur foi et continuent à prier et à marquer, autant qu’ils le peuvent, les temps liturgiques et les grandes fêtes de l’année chrétienne.


De très nombreux prêtres – parce qu’ils ont refusé le serment schismatique – sont pourchassés, déportés, emprisonnés, condamnés à mort… Mais ils sont aussi très nombreux, dans tout le Royaume, à avoir pris le maquis : dans les Hautes Boutières où nous vivons, sur le territoire de cinq ou six paroisses, ils furent au moins une dizaine de prêtres (et parfois davantage) qui se cachèrent et continuèrent leur ministère clandestinement, célébrant la Sainte Messe dans des maisons particulières ou dans des granges isolées, visitant les malades et administrant les mourants au cours de longues courses nocturnes, baptisant les nouveaux-nés et mariant les promis…

Messe de minuit pendant la terreur - vitrail La Séguinière

La Messe de Minuit dans les ruines de l’église pendant la terreur
– vitrail de l’église de La Séguinière, dans le Choletais –

Ne pouvant se résoudre à ne plus se recueillir devant les si populaires Crèches de leurs  églises, les fidèles s’attachèrent à les reproduire dans des dimensions très réduites, presque des miniatures adaptées à leurs humbles maisons et au temps de la persécution : les personnages furent modelés très souvent avec de la mie de pain, puis avec de la glaise. 


En Provence, ces « petits saints »  (par opposition aux grandes statues des saints des églises) furent nommés « santouns », et c’est l’origine de notre mot français « santon ».

Après la persécution, l’usage demeura de faire la Crèche dans les maisons : un usage qui se développa et devint quasi général au cours du XIXe siècle.

VII. Le temps et l’esprit de la Crèche.

1) Quand doit-on installer la Crèche ?

– En ce qui concerne les Crèches domestiques, les usages varient selon les régions, voire selon les familles.
Certains aiment l’installer dans leurs maisons dès le premier dimanche de l’Avent. La Crèche devient alors le lieu devant lequel la famille chrétienne se réunit pour prier : le berceau vide matérialise la joyeuse attente de Noël et son aménagement permet même de concrétiser les efforts spirituels de chacun tout au long de l’Avent.


En d’autres endroits, en fonction des dévotions régionales, c’est à l’occasion de l’une des belles fêtes de décembre que la Crèche est installée (Saint Nicolas, l’Immaculée Conception ou Sainte Lucie).
Enfin  d’autres encore ne la mettent en place que dans les tout derniers jours qui précèdent Noël, se calant ainsi sur l’usage qui prévaut pour les Crèches des églises.

– Dans les églises en effet, normalement, on ne met la Crèche en place que dans les jours qui précèdent la fête de la Nativité. Un usage ancien voulait même que l’on tendît un rideau violet devant la Crèche jusqu’à la fin des premières vêpres de Noël : ce n’est qu’après avoir chanté celles-ci que le clergé se rendait en procession jusqu’au lieu de la Crèche et en retirait le voile.

De toute façon, il ne convient pas que la Crèche soit présentée trop tôt aux fidèles dans les églises : le temps de la Crèche commence avec la fête de Noël, et pas avant.


Mettre en évidence la Crèche de manière prématurée revient à ôter une partie du sens de l’Avent qui n’est pas seulement temps de préparation à la fête de la Naissance du Sauveur, mais la célébration des trois avènements du Rédempteur.


La collecte de la Messe de la Vigile de Noël, au matin du 24 décembre, le marque encore d’une manière particulière  : « O Dieu, qui nous réjouissez chaque année par l’espérance de notre rédemption, accordez-nous, en recevant joyeusement Votre fils unique comme Rédempteur, de Le voir aussi sans crainte venir comme juge… »

Crèche de la chapelle des Cordeliers à Aubenas
Crèche provençale avec des santons habillés
Chapelle des Cordeliers, à Aubenas (Vivarais)

2) La Crèche n’est pas une « reconstitution historique ».

Certains réalisent des Crèches dans lesquelles les personnages et le paysage cherchent à reproduire de manière scrupuleuse les costumes et les lieux de Bethléem, il y a quelque deux mille ans.

D’une manière plus générale les Crèches mêlent des éléments antiques et des éléments plus modernes ou contemporains : c’est particulièrement frappant dans les Crèches napolitaines où l’on voit, autour de la Vierge Marie et de Saint Joseph en costumes orientaux, une foule de personnages en habits du XVIIIe siècle, depuis les artisans et gens du peuple jusqu’aux nobles ; c’est également vrai dans les Crèches provençales où les santons représentent des personnages typiques de la vie des villages de Provence : le rémouleur, le bohémien, le meunier, le braconnier, le gendarme avec son bicorne, l’arlésienne… etc., et même le moine pieds nus dans ses sandales et le curé avec son parapluie rouge ou son grand mouchoir à carreaux !

C’est que, de fait, la Crèche n’est pas une reconstitution à la manière d’une maquette d’archéologues ; elle n’est pas là juste pour nous permettre de visualiser, comme dans un film historique, ce qui s’est passé et serait définitivement passé.


La Crèche appartient au monde des symboles : elle représente, d’une manière parfois naïve et d’autres fois de manière très recherchée, que Noël est une actualisation mystérieuse de la venue du Rédempteur dans nos vies. Pas seulement la vie des habitants de Bethléem il y a plus de deux mille ans, mais notre vie quotidienne aujourd’hui.


Noël n’est pas seulement un anniversaire, c’est un mystère de grâce qui se continue et s’accomplit en notre temps. Comme l’a si justement exprimé notre Saint Père le Pape Benoît XVI, la Crèche devient alors « une école de vie » .

3) Quand enlève-t-on la Crèche ?

Selon la tradition, on laisse la Crèche dans les églises jusqu’au 2 février : jour de la Chandeleur, fête de la Présentation de Notre-Seigneur au Temple et de la Purification de Notre-Dame. C’est alors que s’achève le temps des quarante jours, chiffre biblique au symbolisme très riche.
Il arrive fréquemment aujourd’hui que l’on retire les Crèches des églises (du moins celles où l’on ne célèbre pas la liturgie traditionnelle) sitôt passée la fête de l’Epiphanie. J’avoue ne pas en voir la raison, si ce n’est peut-être seulement la volonté de rompre systématiquement avec ce qui a été pratiqué pendant des siècles… 

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http://leblogdumesnil.unblog.fr/2011/12/22/2011-94-histoire-de-la-devotion-a-la-creche/

Crèche du Mesnil-Marie
La Crèche du Mesnil-Marie – détail

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