Vie de Mélanie Calvat voyante de La Salette

Mélanie Calvat (née le 7 novembre 1831 à Corps, Isère – morte dans la nuit du 14 au 15 décembre 1904 à Altamura, Italie) est une jeune bergère qui raconta avoir été témoin, avec le jeune Maximin Giraud, le 19 septembre 1846, de l’apparition de la Sainte Vierge Marie à La Salette en Isère.

Extrait

D… le 30 novembre 1900.

Pour obéir à mon très Révérend Père confesseur, M. X…, que la très sainte Vierge m’a donné pour diriger ma pauvre âme et m’enseigner la voie qui mène au ciel des cieux, la mort à moi-même et à toutes les choses transitoires, j’écris ma misérable vie qui est vraiment un tissu de péchés et d’infidélités, comme on le verra ci-après.

Si jusqu’ici l’obéissance à mon confesseur m’a été douce et chère, aujourd’hui elle me paraît pesante et dure, ma superbe se voit humiliée, étant obligée de mettre par écrit mes grandes et innombrables infidélités et ingratitudes envers le Très-Haut : mon Créateur, malgré les grâces qu’il n’a cessé de verser sur mon âme sans que je les eusse méritées en aucune manière.

Mon père était natif de Corps, chef-lieu de canton du département de l’Isère, et s’appelait Pierre Calvat[2]. Il était simple maçon et scieur de long, mais bon chrétien. Ma mère, Julie Barnaud, était native de Séchilienne, petite commune du canton de Vizille, dans l’Isère également. Mes parents habitaient Corps ; ils étaient très pauvres ; et mon père étant obligé de travailler au loin pour nourrir sa famille passait souvent des mois entiers dehors. Ce fut en partie pour cela que je fus mise à servir chez des patrons aussitôt que je pus travailler, avant l’âge de sept ans.

Mes parents eurent dix enfants, six garçons et quatre filles. Ils eurent d’abord une fille qui mourut peu de temps après sa naissance. Ils eurent ensuite deux garçons dans l’espace de quatre ans. Ma mère, à qui le temps durait beaucoup dans ce pays, désirait fort d’avoir une petite fille pour lui tenir compagnie quand elle sortait ; enfin elle l’obtint : je naquis le 7 novembre 1831[3]. Elle me donna au Saint Baptême les noms de Françoise-Mélanie. Elle m’aimait beaucoup, mais ce ne fut pas de longue durée. Mes méchancetés, les continuels déplaisirs que je lui donnais furent cause de quelques troubles dans la maison. Oh ! Comme je suis et j’ai été mauvaise ! Il aurait fallu la patience des anges pour me supporter.

Par nature ma mère était très gaie ; elle aimait les divertissements, les danses, les comédies ; et elle était toujours des premières à toutes les fêtes du pays. Dès que j’eus cinq ou six mois, elle voulut me porter dans les soirées où il y avait des amusements ; mais je criais, je pleurais et déchirais ses habits.

Mon père était plus sérieux, il était aimé de tout le pays ; il aimait le travail et tous ses enfants également. Souvent il nous exhortait à vivre dans la sainte crainte de Dieu, à être honnêtes et dociles. Il ne manquait jamais, chaque fois qu’il se trouvait dans la famille, de nous faire faire notre prière avant de nous mettre au lit ; et comme j’étais trop jeune encore pour me tenir à genoux, il m’asseyait sur ses genoux et m’apprenait à faire le signe de la sainte croix, puis me mettait un crucifix dans les mains, me parlait du bon Dieu et m’expliquait à sa manière le grand mystère de la Rédemption, le Christ qui avait voulu tant souffrir et puis mourir pour nous ouvrir la porte du Paradis. Ces paroles me plaisaient beaucoup ; j’étais, à ce qu’il paraît, très sensible, j’aimais le Christ, je pleurais, je le regardais avec affection, je lui parlais, je le questionnais, je n’avais pas de réponse et, dans mon ignorance, je voulais imiter son silence. Toutes ces choses de ma première enfance, je les sus pour les avoir entendus dire par les voisins et par ma mère à qui je fus toujours une croix.

Je me rappelle que chaque fois qu’elle me portait à des fêtes, à des comédies, aussitôt que je voyais la foule, je pleurais et me cachais la figure sur ses épaules tout en continuant de pleurer très fort, de sorte que j’empêchais les assistants d’entendre ce qui se disait et ma mère devait me porter dehors. Quelle grande patience elle a eue avec moi qui ne lui donnais que des ennuis ! Arrivée à la maison, elle me demandait pourquoi je pleurais ; je lui répondais brièvement que j’avais peur et que je préférais rester ici avec le crucifix de mon père. À cela elle me grondait, me demandant si moi aussi je voulais être bigote comme ma tante (sœur de mon père). Je ne lui répondais pas et je ne me corrigeais pas non plus. Elle se plaignait avec les voisines de mon caractère. Celles-ci lui conseillèrent de me conduire dans les assemblées pour m’habituer à voir le monde et à parler. Ainsi fut fait, mais mon naturel sauvage résista à toutes les tentatives. Je ne parlais qu’avec mon père ; quand il me disait que c’étaient nos péchés qui avaient fait mourir Notre-Seigneur Jésus-Christ, je lui disais : « Oh !… jamais je ne veux faire des péchés puisque ça a tant fait souffrir mon bon Dieu. Oh !… pauvre bon Dieu, je veux toujours penser à vous et ne veux jamais vous déplaire. Quand je pourrai marcher toute seule, je ferai comme vous avez fait, j’irai dans la solitude, je penserai à vous, et puis, quand je serai grande, j’irai dire aux méchants hommes et aux méchantes femmes : Faites-moi mourir sur une croix pour que j’efface vos péchés, autrement vous n’irez jamais en paradis. » Ces paroles achevaient d’exaspérer ma mère ; elle ne pouvait plus me voir devant ses yeux ; au lieu d’être sa consolation, j’étais l’objet de toutes ses peines ; elle me surnomma la muette[5] : « Je défends, dit-elle, à mes deux enfants de l’appeler par son nom, je défends qu’on lui donne à manger et je défends qu’on fasse attention à elle ; ne la tenez plus, laissez-la par terre ; puisqu’elle veut faire tout ce que Dieu a fait, qu’elle le fasse : Dieu n’a pas eu besoin qu’on lui apprît à marcher, ni qu’on le tînt lorsqu’il était petit. Dieu a couché par terre, il a même demandé son pain, mais je lui défends de demander, soit à présent, soit plus tard quoi que ce soit. » Je me traînais donc comme je pouvais sur les mains et sur les genoux, et je passais les journées et quelquefois les nuits entières dans un coin ou sous un lit. Là je pensais à l’enfant Jésus et à la Sainte Vierge, et aux souffrances de Notre-Seigneur. Plusieurs mois s’écoulèrent ainsi. Enfin ma mère ennuyée de me voir rester sous un lit dans une chambre, toute seule, je méritai le châtiment d’être chassée de la maison, le soir.

(…)

Votre Révérence désire savoir si je savais que c’était le Divin Enfant Jésus qui venait auprès de moi. Je dois dire que mon bien-aimé Frère, pendant plus de vingt ans, m’a laissé ignorer qu’il était Jésus, et que moi j’avais tout bonnement et simplement cru qu’il était mon frère, comme lui-même me l’avait assuré. Donc je pris ses visites sans raisonner, contente d’avoir un si bon frère et à qui je pourrais parler de mon bon Dieu, et lui enseigner à le prier et à lui consacrer tout son cœur, toute son âme et à l’aimer de toutes ses forces… Maintenant je dois dire, pour ma confusion, que j’étais dans une grande joie d’avoir un frère à qui je pouvais parler de mon cher Jésus et que je voulais instruire !… Il me dit qu’il était mon frère et que j’étais sa sœur, je le crus sur sa parole. D’ailleurs je n’avais pas l’habitude de réfléchir, je n’en avais pas le temps, parce que depuis que j’avais connu qu’après le péché d’Adam, tout le genre humain passé, présent et à venir était condamné à être privé éternellement de jouir de la gloire de Dieu, et encore devoir souffrir dans les enfers, et que notre bon Dieu qui jouit éternellement de sa propre gloire et qui n’a besoin de personne était venu prendre une âme et un corps humain pour souffrir, etc., j’étais continuellement plongée dans les pensées de ce mystère d’amour, je n’avais pas le loisir de penser à ce qui n’était pas nécessaire pour aimer notre bon Dieu. Mon Frère était bien bon, aimable, il m’aimait, c’était bien juste que je l’aimasse de toutes mes forces ; il connaissait le bon Dieu et il me le faisait connaître, il me parlait de la rectitude d’intention et comment nous pouvons mériter infiniment dans toutes nos œuvres en les offrant et en nous offrant empourprés du sang de Jésus-Christ et en son Nom trois fois saint, etc.


Enfin si mon Frère a été mon frère, il a été aussi mon instituteur, puisque c’est de Lui que j’ai tout appris ce que je sais, en dehors du péché qui est mon seul ouvrage. Est-ce le lendemain ou plusieurs jours après je ne saurais le dire. Le soleil était sur son déclin, je m’enfonce dans la forêt, puis je m’assieds sur le tronc d’un arbre coupé. Les oiseaux ne chantaient plus, tout était dans un profond silence. Je pensais de nouveau à mes chers parents que je croyais ne plus revoir ; puis me revenait la pensée consolante de la croix de mon père et surtout du Christ, là Crucifié ; je me disais : le Bien-Aimé, le Christ ne pleurait pas, il fermait les yeux et se taisait : je l’aime comme il est et je veux faire comme Lui. Alors j’essuyai mes larmes, je fermai les yeux et je m’endormis, pour ne me réveiller qu’après le lever du soleil. (…)

[1] Il est peut-être utile d’avertir que ce récit de la bergère a été reproduit fidèlement avec toutes ses incorrections ou obscurités de langage.

[2] Dit Mathieu. C’est même sous le nom de Mathieu que Mélanie fut enregistrée au bureau de l’état civil et à l’église de Corps.

[3] Le registre de l’état civil de la commune de Corps porte « née en cette commune le sept novembre mil huit cent trente-un à six heures du matin et enregistrée le même jour en la mairie de ladite commune, n° 16 ».
Elle fut baptisée le lendemain. Le registre de l’église fait donc erreur en ne distinguant pas la date du baptême de celle de la naissance.
« Le huit novembre mil huit cent trente et un est née et a été baptisée Mélanie François, fille à Pierre Mathieu et à Julie Barnaud.
« Le parrain est J. Turc et la marraine Françoise Chusin.
« Ont signé : J. Turc, Françoise Chusin et Veyret vicaire de Corps. »
Pour extrait certifié conforme aux registres de catholicité de la paroisse de Corps.
Corps, ce 23 septembre 1907. E. DEUIL, c. a.

[4] Ces lignes ont été écrites par Mélanie en très gros caractères.

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