Le chemin de conversion du peuple Russe par ses élites : l’exemple de Vladimir Soloviev

Le président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine, a fait parvenir il y a quelques années* à chacun des préfets de région plusieurs livres de philosophie. Un de Nicolas Berdiaev, un autre d’Ivan Iline et un autre de Vladimir Soloviev.
Pourquoi ? Pour leur instruction, leur formation ? Pour indiquer une nouvelle ligne directrice, une ligne claire ?
Certes, ce ne sont pas de purs contre-révolutionnaires, antilibéraux du XIXe siècle comme nous les apprécions sur Catholiques de France, et sur plusieurs points ils s’éloignent malheureusement de la foi catholique. Il faut savoir malgré tout qu’ils ont eu et ont encore une influence notable sur la pensée russe, un s’est même fait connaître de Léon XIII, et l’intérêt pour leurs travaux ne faiblit pas, au contraire.
Vladimir Soloviev est le plus intéressant pour nous : profondément converti au catholicisme, il posait que seule Rome (alors orthodoxe car catholique) pouvait assurer l’unité suite au schisme de 1054. C’est un très grand pas devant des préjugés si tenaces, et il fit tout pour contribuer à ramener les fils de Russie dans l’orthodoxie romaine, malgré les attaques qu’il endura, la censure qui le frappa…
Son livre qui nous intéresse le plus « La Russie et l’Église universelle » est sans nul doute celui que nous aurions aimé que Poutine distribue à ses préfets !
Ses réflexions, si elles étaient plus connues, méditées et appliquées, contribueraient positivement au rapprochement de l’Orient séparé de la Sainte Église romaine.
Nous vous proposons ici quelques articles et conférences sur « les maîtres à penser de Poutine », un résumé indispensable de sa vie et de son œuvre parue dans quatre numéros des « Échos d’Orient », ainsi que deux citations qui permettent d’appréhender notre cher auteur :
« On a vu parmi les catholiques eux-mêmes, des esprit ultra-dogmatiques qui, en admirant justement le chêne immense qui les couvre de son ombre, se refusent absolument à admettre que toute cette abondance de formes organiques soit sortie d’une structure aussi simple et aussi rudimentaire que celle d’un gland ordinaire. À les entendre, si le chêne est provenu du gland, celui-ci devait contenir d’une manière distincte et manifeste, sinon toutes les feuilles, au moins toutes les branches du grand arbre : il devait non seulement être identique avec lui, mais lui ressembler du tout au tout. Là-dessus, des esprits d’une tendance opposée – des esprits ultra-critiques – se prennent à examiner le pauvre gland minutieusement de tout les côtés. Naturellement ils n’y découvrent rien qui ressemble au grand chêne : ni racines entrelacées, ni tronc robuste, ni branches touffues, ni feuilles ondulées et résistantes.
Humburg que tout cela ! disent-ils : le gland n’est qu’un gland et ne peut être autre chose ; quant au grand chêne, avec tous ses attributs, on ne sait que trop d’où il vient : ce sont les Jésuites qui l’ont inventé au concile du Vatican, nous l’avons vu de nos propres yeux… dans le livre de Janus.
Au risque de paraître libre penseur aux dogmatiques outrés et d’être en même temps déclaré Jésuites déguisé par les esprits critiques, je dois attester cette vérité absolument certaine : que le gland a vraiment une structure tout à fait simple et rudimentaire ; qu’il est impossible d’y découvrir toutes les parties constituantes d’un grand chêne et que néanmoins celui-ci est vraiment sorti du gland sans aucun artifice et sans aucune usurpation, mais de bon droit, voire même de droit divin.
Puisque Dieu, qui n’est pas sujet aux nécessités du temps, de l’espace et du mécanisme matériel, voit dans la semence actuelle des choses toute la puissance cachée de leur avenir, il a dû dans le petit gland voir, déterminer et bénir le chêne puissant qui devait en sortir ; dans le grain de sénevé de la foi de Pierre, il a aperçu et annoncé l’arbre immense de l’Église catholique qui devait couvrir la terre de ses branches.
Ayant reçu de Jésus-Christ le dépôt du pouvoir souverain universel qui devait subsister et se développer dans l’Église pendant toute sa durée sur la terre, Pierre n’a exercé personnellement ce pouvoir que dans la mesure et dans les formes que comportait l’état primitif de l’Église catholique.
L’action du prince des Apôtres ressemblait aussi peu au gouvernement des papes modernes qu’un gland ressemble à un chêne, ce qui n’empêche pas la papauté d’être le produit naturel, logique et légitime de la primauté de Pierre. »
Vladimir Soloviev, La Russie et l’Église universelle, Paris, 1889, p. 149-151
Lors d’une controverse avec un archiprêtre « orthodoxe », Vladimir Soloviev expose à son contradicteur – ainsi qu’à toute la hiérarchie officielle par la même occasion, le débat étant public et suivi – neufs questions auxquelles nos amis qui se veulent orthodoxes devraient réfléchir sérieusement :
• Première question : Les canons des conciles œcuméniques, prescrivant que la foi de Nicée soit conservée intacte, regardent-t-ils le sens où la lettre du symbole de Nicée-Constantinople ?
• Deuxième question : Le mot Filioque, ajouté au texte primitif du symbole de Nicée-Constantinople, contient-il inévitablement une hérésie ; et, dans l’affirmative, quel est le concile qui a condamné cette hérésie ?
• Troisième question : Si cette addition, qui apparut dans les Églises d’Occident, et qui fut connue en Orient vers le milieu du VIIe siècle, contient une hérésie, comment se fait-il donc que les deux derniers conciles œcuméniques, le sixième en 680 et le septième en 787, n’ont pas condamné cette hérésie et non pas anathématisé ceux qui l’avaient acceptée, mais, au contraire, sont demeurés en communication ecclésiastique avec eux ?
• Quatrième question : Si il est impossible d’affirmer avec certitude que cette addition (le mot Filioque) est une hérésie, n’est-il pas libre à tout orthodoxe de suivre à ce sujet le sentiment de saint Maxime le Confesseur, qui, dans sa lettre au prêtre Marin, justifie cette addition et lui donne un sens orthodoxe ?
• Cinquième question : Quelles sont, en outre du Filioque, les autres doctrines hérétiques de l’Église romaine, et dans quels conciles œcuméniques ont-elles été anathématisées ?
• Sixième question : Dans le cas où il faudrait reconnaître que l’Église romaine n’est pas coupable d’hérésie, mais de schisme, comme le schisme, d’après l’exacte définition des saints Pères, a lieu lorsqu’une partie de l’Église (ecclésiastiques et séculiers) se sépare de l’autorité ecclésiastique légitime pour quelque question de rite ou de discipline, on demande de quelle autorité ecclésiastique légitime s’est séparée l’Église romaine ?
• Septième question : Si l’Église romaine n’est pas coupable d’hérésie, si elle ne peut être en état de schisme parce qu’elle n’a point au-dessus d’elle d’autorité dont elle ait pu se séparer, ne faut-il pas reconnaître que cette Église fait partie intégrante de l’unique Église catholique du Christ, et qu’ainsi la séparation des Églises n’a aucun motif vraiment religieux et ecclésiastique et n’est qu’une œuvre de la politique humaine ?
• Huitième question : Si notre séparation d’avec l’Église ne s’appuie sur aucun motif vraiment admissible, ne devrions-nous pas, nous tous chrétiens orthodoxes, tenir plus compte des choses divines que des humaines ; ne devrions-nous pas travailler efficacement à rétablir l’union des Églises entre les Orientaux et les Occidentaux, et cela pour le bien de toute l’Église ?
• Neuvième question : Si le rétablissement de la communion ecclésiastique entre les Orientaux et les Occidentaux est pour nous un devoir, devant nous retarder l’accomplissement de ce devoir sous le prétexte des péchés et des imperfections d’autrui ?
(Vladimir Soloviev, alors presque entièrement converti, s’adresse à ceux qu’il considère être des frères orthodoxes, pour nous, nous avons nos « orientaux » : les catholiques de rite byzantin. Et nommer de la part de Soloviev ses compatriotes de « schismatiques » pourrait être rude et aurait sans doute interdit de facto tout débat, d’autant qu’il faisait la distinction entre la hiérarchie ecclésiastique qui se veut orthodoxe et le peuple qui n’en adopte pas toutes les conclusions).

Yvan Blot, Les maîtres à penser de Poutine :
Yvan Blot, De Soloviev à Soljenitsyne
Source :
https://crc-resurrection.org/toute-notre-doctrine/restauration-nationale/etranger/russie/vladimir-soloviev/vie-oeuvre.html
https://www.persee.fr/doc/rebyz_1146-9447_1916_num_18_112_4198
https://www.persee.fr/doc/rebyz_1146-9447_1919_num_18_115_4215
https://www.persee.fr/doc/rebyz_1146-9447_1920_num_19_117_4230
https://www.persee.fr/doc/rebyz_1146-9447_1921_num_20_124_4299
* : propos tenus par Yvan Blot dans une de ses conférences au « Cercle de l’Aréopage » et Michel Eltchaninoff dans son livre « Dans la tête de Vladimir Poutine »
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