Le Comte de Saillans (1790-1792) : le premier combattant de la contre-révolution

Le Baptême-Sacre du Roi Clovis 1er acte de naissance de la France

« De même que leur vie quotidienne était imprégnée de sacré,
ils ne pouvaient concevoir une politique qui en fût détachée».

« La société d’avant 1789 était une société où la vie était rythmée par les fêtes religieuses. C’était aussi la soumission à l’ordre naturel que l’on avait la certitude qu’il fut établi par Dieu dans sa Création, le respect de la nature dans ses fonctions essentielles, dans ses permanences, l’acceptation du réel, l’adhésion aux sages pratiques coutumières et donc le respect de la diversité humaine que l’on corrigeait par la charité, l’observation de la réalité sociale avec ses inégalités rendues protectrices au sein des communautés familiales, paroisiales, régionales, corporatives. Chacun, même si tous n’avaient pas lu saint Thomas d’Aquin, admettait de s’élever au Vrai, au Beau, au Bien, au sein de la communauté à laquelle il appartenait, sachant que son bien particulier était fonction de son bon ordonnancement au tout.
Si les hommes formés dans cet esprit de chrétienté n’envisageaient pas un autre régime, ce n’était pas par indigence d’esprit. De même que leur vie quotidienne était imprégnée de sacré, ils ne pouvaient concevoir une politique qui en fût détachée. La personne du roi, un souverain revêtu par la naissance d’une autorité transcendante pour assurer la paix civile et fédérer les diverses communautés en vue du bien commun, cela constituait pour eux l’irremplaçable garantie d’un harmonieux déploiement des activités de chacun selon ses finalités naturelles et surnaturelles.
La Révolution s’opposait à cet ordre politique. Ayant posé le principe de la souveraineté de l’individu, elle ne pouvait que vouloir infuser en chacun une âme d’essence individuelle, en révolte systématique contre toutes les lois présentées comme divines et naturelles. C’est pourquoi, il lui fallait changer l’homme, le « régénérer », le forcer à se plier à l’idéologie libertaire, égalitariste et humanitariste des principes de 1789. Une telle prétention revenait à pousser les hommes sous le joug d’une entité dès lors totalement différente. De graves réactions dans une population à laquelle on arrachait son univers séculaire prirent alors une ampleur d’autant plus forte.

L’action de François-Louis, comte de Saillans, aurait pu changer le cours de l’histoire de France, si elle avait réussi. Néanmoins qui connaît l’existence même de ce « premier combattant de la contre-révolution » pour reprendre l’expression consacrée des auteurs ? Ces derniers rappellent l’idée suivante : « Presque tout le monde a entendu un jour ou l’autre parler de Jacques Cathelineau, de Charles de Bonchamps, de Maurice d’Elbée, d’Henri de la Rochejacquelein, du marquis de Lescure ou encore de François-Athanase de Charette ».

Cependant, le comte de Saillans semble être un inconnu alors « qu’il aurait pu figurer dans cette liste », car « il était leur aîné à tous dans l’action ». En effet, il avait commencé sa lutte contre les révolutionnaires dans le Vivarais dès 1792, soit un an avant les célèbres guerres de Vendée. Ferrand père et fils rendent donc hommage à ce gentilhomme injustement méconnu, avec une biographie agréable, agrémentée de plusieurs pages présentant des documents divers, comme des clichés de l’ancien château d’Ecordal à Herbigny (lieu de naissance du comte de Saillans), le château de Vassy (sa demeure personnelle), des représentations des membres de sa famille, les blasons des Saillans et des Cromot, son crâne entreposé en haut d’un chapiteau de l’église Notre-Dame-des-Pommiers à Largentière…

Qui fut le comte de Saillans ? Ce livre répond à cette question, en expliquant tout simplement que c’était un homme profondément attaché à son service. Ce dernier se montrait pour lui d’une importance capitale.

Mais comment définir le service ? Les auteurs n’esquivent point cette interrogation et développent leur propos de la manière suivante : « Servir le roi ! On a du mal de nos jours à saisir toute la force de cette expression. Il ne s’agissait évidemment pas d’un service public, comme celui dans lequel on fait aujourd’hui carrière. le service pour les hommes de l’Ancien Régime, était un honneur allant de soi et on grandissait en l’accomplissant ».

Il demeure essentiel de comprendre comment le roi est perçu par la grande majorité des sujets, pour saisir parfaitement les motivations de tous ceux qui combattront au cri de « Dieu et le Roi », dans la dernière décennie du XVIIIème siècle. Ainsi, « la personne du roi était l’objet d’une dévotion quasi surnaturelle ; on le disait le premier des Rois ». de plus, les Français reconnaissaient dans leur roi « le père de la patrie et le bienfaiteur public ». En son temps, Bossuet écrivait déjà que « la volonté du peuple est enfermée dans la sienne (celle du roi), comme en Dieu est réunie toute perfection et toute vertu, ainsi toute la puissance des particuliers est réunie dans celle du prince ». le comte de Saillans se reconnaît, sans nul doute possible, dans ces analyses.

Ainsi François-Louis ne peut que désapprouver toutes les tentatives qui visent à restreindre le pouvoir royal. Toutefois, avant de mettre son épée au service du roi pour combattre la révolution, les auteurs rappellent rapidement le cadre familial dans lequel il évolue. Il est issu d’une vielle famille des Ardennes, maintenue dans sa noblesse par le jugement de Caumartin, intendant de Champagne, en décembre 1668. Enfant, il devient page de Louis XV, mais il désire en réalité devenir soldat. Il s’engage comme volontaire dans le régiment de Bouillon, puis il gravit peu à peu les échelons de la hiérarchie militaire. Alors qu’il sert dans la garnison de Lorraine comme capitaine, le Bien-Aimé décide de porter secours à la Pologne. le comte est engagé au sein du corps de troupes commandé par le baron de Viomesnil et M. de Choisy, dans le but soutenir la révolte contre le roi Stanislas Poniatowski, alors inféodé à la Russie.

Les enjeux diplomatiques et militaires sont parfaitement décrits par les auteurs, ce qui rend le récit passionnant. Les armées françaises enregistrent plusieurs succès. A ce titre, la narration de la remarquable prise du château de Cracovie et sa défense par le comte de Saillans, nous indique clairement qu’il maîtrisait l’art militaire et qu’il possédait le sens inné du commandement. Cet exploit lui permet de recevoir la croix de l’ordre royal et militaire de Saint-Louis en juin 1772. Par la suite, il connaît les prisons russes pendant plusieurs mois et finit par rentrer en France. Nous apprenons qu’il s’est marié avec Françoise de Cromot. le couple aura deux enfants : Charles-Alexandre et Julie.

A partir de 1789, les événements politiques en France s’accélèrent. Louis XVI, de bonne foi, convoque les Etats-Généraux pour sortir la France de l’impasse politique, fiscale, économique dans laquelle elle se trouve. Pourtant le comte : « avait été effaré de voir, dès fin juin, le roi se résigner si facilement à la paralysie politique ». Les Ferrand prennent le soin de développer une analyse intéressante sur la situation politique : « En acceptant que les députés aux Etats généraux, dont la mission était d’aider le roi à résoudre la crise financière, s’érigeassent en Assemblée nationale constituante, le roi frappait de mort la nation-héritage, cette société d’Ordres dont il était la tête en tant que fédérateur de toutes les communautés françaises dans leur réalité multiforme, et laissait libre cours à l’irruption de la nation-idéologie, qui n’aurait plus comme ressort que le volontarisme des individus qui la composeraient. C’était mettre fin à la possibilité pour le roi de réformer le royaume, c’était légitimer la révolution des partis, et surtout c’était admettre que la nation fût un seul peuple en un seul corps séparé sinon dressé face au roi ». La suite est malheureusement connue.

Les braises révolutionnaires soufflent sur toute la France. La famille royale est emprisonnée, les frères du Roi partent en exil, les massacres de septembre tuent plus ou moins 1500 Français. Ces tueries installent un climat oppressant et de vindicte dans tout le pays, lequel influe sur les élections des députés à la Convention qui se déroulent – hasard du calendrier – à la même période. Dans la capitale une très forte progression de la Montagne est remarquée, due principalement à la pression qu’exerce la Commune insurrectionnelle sur les candidats qui s’opposent à son pouvoir. Les Montagnards désirent mener à son terme le processus révolutionnaire. Cela signifie la liquidation des institutions monarchiques et la mort prochaine de Louis XVI, surnommé le citoyen Capet. Dans les provinces la peur et le doute s’installent. La révolution enfile ses habits sombres de terreur.

Le comte, comme de nombreuses personnes inquiètes pour leur vie ou désirant se rendre utiles, émigre à Coblence et rejoint l’Armée des Emigrés. L’émigration, les différences tendances politiques, la difficulté à trouver un plan d’action, les luttes de prestige entre les Princes (les futurs Louis XVIII et Charles X) et les grandes familles françaises sont très bien racontées par les auteurs.

Ces précisons historiques et politiques nous permettent également de comprendre les raisons qui ont conduit à la défaite finale et en réalité prévisible de la contre-révolution. François-Louis tente par tous les moyens de convaincre les Princes d’agir vite et fort, dans le but d’endiguer le flot révolutionnaire. Il revient en France et prend la tête du « troisième camp de Jalès en juillet 1792 ». Il dirige une troupe destinée à soulever le Vivarais, le nord du Languedoc, le Dauphiné et la Provence. Comme l’écrit Jean Tulard dans la préface, l’objectif du comte de Saillans est de : « soulever le Midi catholique et royaliste, remonter sur Paris en passant par Lyon pour rétablir l’autorité du roi. Dans le même temps l’armée des Princes envahirait l’Est de la France ». le plan commence bien. Effectivement, le comte et ses hommes s’emparent du château de Banne le 4 juillet 1792. L’inaction du comte Thomas Conway (1), dont Lafayette avait dit que c’est un « homme ambitieux et dangereux », condamne de fait l’action contre-révolutionnaire à l’échec.

Pour rappel, il était le supérieur direct du comte de Saillans. Au lieu des 20 ou 30000 hommes promis, Saillans ne peut compter que sur les 1500 paysans dont il dispose déjà. Les révolutionnaires, loin de s’affoler après ce coup d’éclat royaliste, s’organisent rapidement et désirent reprendre le contrôle du château. Voyant le combat totalement déséquilibré qui se prépare et ne voulant pas sacrifier inutilement le sang des hommes, le comte licencie sa troupe et abandonne Banne conquis sept jours plus tôt. Tous n’ont pas la chance de regagner indemnes leurs foyers. de nombreux soldats royalistes sont tués par la soldatesque révolutionnaire.

Dans sa fuite, déguisé en paysan et accompagné de son domestique et de deux prêtres, le comte de Saillans est reconnu par un soldat de la Garde nationale. Au lieu de subir un jugement en règle, ils sont laissés à la merci de la populace qui les massacre à coups de sabre. Sa tête subit des outrages et finit par se retrouver au bout d’une pique dans la pure et authentique habitude révolutionnaire. Son corps est jeté à la fosse commune. Sa femme ne se remariera pas… le livre se poursuit par une analyse de la répression révolutionnaire, une étude consacrée au projet politique des contre-révolutionnaires et un focus sur les émules du comte de Saillans.

Le projet contre-révolutionnaire avorté du comte de Saillans provoqua des suites politiques, qu’il n’aurait pu imaginer : « Dans l’inventaire des pièces recueillies par la Commission des XXI chargée de préparer l’acte d’accusation de Louis XVI, vingt pièces sur trente-cinq concernent directement le camp de Jalès. La conspiration de Saillans joua donc un rôle essentiel dans la condamnation du roi ». Ce n’est pas tout. Les auteurs nous précisent : « La mort de Saillans fut suivie d’horribles représailles dans toute la région. Ce furent près de deux cents royalistes qui périrent les 12 et 13 juillet 1792 ». Ce livre très bien écrit nous restitue de manière intelligible le contexte politique de la France pré-révolutionnaire et nous présente les débuts de la contre-révolution. Nous découvrons également la noble figure de Saillans, qui toute sa vie durant resta fidèle à ses principes pour lesquels il combattit et mourut. Laissons le mot de la fin à l’éminent spécialiste Jean Tulard qui écrit : « Saillans a précédé d’Elbée, Stofflet, Cathelineau, Charette et autres géants de la Vendée, dans un combat tout autant social que politique. Merci à Edouard et Bernard Ferrand d’avoir restitué à Saillans son titre de premier combattant de la Contre-Révolution ». ( Franck Abed)


Comme devait le dire Alexandre Soljenitsyne le 25 septembre 1993 inaugurant le Mémorial des Lucs-de-Boulogne en Vendée :

De siècle en siècle, les hommes ont fini par se convaincre, à partir de leur propre malheur, de ce que les révolutions détruisent le caractère organique de la société, qu’elles ruinent le cours naturel de la vie, qu’elles annihilent les meilleurs éléments de la population, en donnant libre champ aux pires. Aucune révolution ne peut enrichir un pays, tout juste quelques débrouillards sans scrupules sont cause de morts innombrables, d’une paupérisation étendue et, dans les cas les plus graves, d’une dégradation durable de la population. La Révolution française s’est déroulée au nom d’un slogan intrinsèquement contradictoire et irréalisable : liberté, égalité, fraternité. Mais dans la vie sociale, liberté et égalité tendent à s’exclure mutuellement, sont antagoniques l’une de l’autre ! La liberté détruit l’égalité sociale – c’est même là un des rôles de la liberté -, tandis que l’égalité restreint la liberté, car, autrement, on ne saurait y atteindre. Quant à la fraternité, elle n’est pas de leur famille. Ce n’est qu’un aventureux slogan et ce ne sont pas des dispositions sociales qui peuvent faire la véritable fraternité. Elle est d’ordre spirituel. Au surplus, à ce slogan ternaire, on ajoutait sur le ton de la menace : « ou la mort », ce qui en détruisait toute la signification. Jamais, à aucun pays, je ne pourrais souhaiter de grande Révolution.

Il est bien vrai que tous les totalitarismes du XXe siècle se sont inspirés de la Révolution française pour entraîner des peuples jusqu’à « l’abîme de la perdition ». Cette thèse fut notamment développée par François Furet, un des grands historiens de la Révolution française, pourtant marxiste à l’origine (…). »

Edouard Ferrand – Bernard Ferrand, in « Le Comte de Saillans – 1790-1792 : le premier combattant de la contre-révolution » Editions SPM avril 2018, introduction pp. 12-14.

guillotine-Terreur

Le symbole le plus éloquent de ce que fut en vérité la révolution…

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