Les derniers grands Français : Portrait de Mgr de Ségur

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Oublié aujourd’hui, Monseigneur Louis-Gaston de Ségur fut célèbre de son vivant comme l’un des plus fameux défenseurs français du catholicisme. Il écrivit un très grand nombre d’ouvrages à l’appui de la religion et déploya une grande activité charitable.

Son relatif retrait vis-à-vis de la politique explique peut-être qu’il n’eut pas la renommée durable d’un Mgr Freppel ou d’un Mgr Pie. Il n’en exerça pas moins une influence importante sur le clergé et les fidèles de son temps.



LE DESCENDANT D’UNE ILLUSTRE FAMILLE NOBLE D’ESPRIT LIBÉRAL ET MODERNE



Né à Paris le 15 avril 1820, Louis-Gaston Adrien de Ségur appartient à une illustre famille. Son père, Eugène, comte de Ségur, était le fils de Louis-Philippe, comte puis marquis de Ségur, à la fois officier, diplomate, écrivain et combattant lors de la Guerre d’Indépendance américaine, et le petit-fils de Philippe Henri, marquis de Ségur, maréchal de France, ministre de Louis XVI et cousin germain de Philippe, duc d’Orléans, le futur Philipe Égalité, père du futur Louis-Philippe, roi des Français (1830-1848). Autrement dit Louis Gaston de Ségur se trouve être, de par sa naissance, un neveu de ce dernier.


Du côté maternel, il est aussi bien pourvu. Sa mère, Sophie, comtesse de Ségur, qui devait s’illustrer comme auteur de contes pour la jeunesse (Les malheurs de Sophie, Les petites filles mo‑ dèles, Les Vacances), est la fille du comte Fedor Rostopchine, ancien ministre du tsar Paul 1 er , qui ordonna en 1812 l’incendie de la ville de Moscou, dont il était alors le gouverneur, pour que cette cité ne fût pas conquise par Napoléon.


Nobles de belle lignée, riches de membres glorieux, les Ségur se présentaient comme des gens intelligents, capables, ouverts aux idées de leur temps, libéraux, progressistes, dirait-on de nos jours. L’arrière-grand-père et le grand-père paternels de Louis-Gaston s’étaient enthousiasmés pour la cause de l’indépendance américaine et pour les jeunes Etats-Unis, terre de liberté à leurs yeux, et avaient aidé les Insurgents. Simultanément, ils avaient plaidé et œuvré en faveur d’une réforme des institutions monarchiques dans un sens égalitaire et libéral.

Favorables à la Révolution française à ses débuts, ils en avaient vite réprouvé les excès, mais avaient refusé l’émigration, puis s’étaient ralliés aux régimes du Consulat et de l’Empire. Philippe de Ségur, grand-oncle de Louis-Gaston, avait été général et aide de camp de Napoléon, et se trouvait aux côtés de ce dernier lors de l’incendie de Moscou en 1812.


Les Ségur s’étaient ensuite ralliés à la Restauration (1815), puis à la Monarchie de Juillet (1830), et Eugène, père de Louis-Gaston, fut membre de la Chambre des Pairs durant toute la durée du régime (1830-1848). Époux de Sophie Rostopchine, de trente-six ans sa cadette en 1819, il ne fut pas un mari modèle, à moins dire, et multiplia les liaisons adultères. Aussi la jeune comtesse de Ségur se consacra-t-elle à l’écriture et à l’éducation de ses six enfants dans le château des Nouettes, situé dans la commune d’Aube (Orne) que la famille de Ségur avait acquis grâce à la générosité du comte Rostopchine.



DES PARENTS TRÈS DIFFÉRENTS. UNE ENFANCE PEU HEUREUSE ET UNE AMBIANCE FAMILIALE PEU RELIGIEUSE



La jeunesse de Louis-Gaston ne sera guère heureuse. Son père, Eugène, est un homme rude, peu enclin à choyer les siens. Il est d’ailleurs souvent absent, résidant à Paris, tandis qu’eux vivent au château des Nouettes. Mari volage, nous l’avons dit, il n’est pas un père exemplaire. Alors que Louis-Gaston n’a que six ans, il décide de l’inscrire comme élève au collège de Fontenay-aux-Roses, près de Paris, alors qu’il est très attaché à sa mère. Mère et fils souffriront beaucoup de cette séparation.


Rien dans sa jeunesse ne prédisposait l’enfant à entrer dans les ordres. Les Ségur, certes, étaient catholiques (1) — comme les nobles Français qu’ils étaient — mais à la foi superficielle et de convention — comme les libéraux orléanistes qu’ils étaient également (2) . Un exemple suffira à attester la légèreté de la foi des Ségur en ce temps. Louis-Gaston confiera, plus tard, à son secrétaire, l’abbé Dirringer : « Quand je pense que l’année qui a suivi ma première com‑ munion, personne ne nous a dit de faire nos Pâques ».


UNE ENTRÉE SANS GRANDE CONVICTION DANS LA CARRIÈRE DIPLOMATIQUE



Inscrit, ensuite, au collège Bourbon (devenu le lycée Condorcet), il est reçu au baccalauréat en 1838. Il opte alors pour des études juridiques. Étudiant à Paris, il est reçu à la licence en droit en 1841. À vrai dire, le jeune homme a suivi les études juridiques pour répondre au vœu impérieux de son père autoritaire qui souhaite le voir embrasser une carrière de diplomate.


L’appui directif de son père lui permet d’être nommé comme attaché à l’ambassade de France à Rome, dans les États de l’Église, sous le règne du pape Grégoire XVI. Il prit ses fonctions d’attaché d’ambassade à Rome le 1 er mars 1842, alors qu’il n’avait pas même 22 ans.


Son père, l’ambitieux et rigide Eugène, qui avait l’habitude de décider lui-même, de l’avenir des siens, aurait dû discerner le peu d’attrait que son fils éprouvait pour la carrière toute tracée qu’il lui avait conçue. Le jeune homme avait manifesté de bonne heure une sensibilité propre à l’engager sur des chemins très éloignés des caractéristiques d’une carrière de diplomate ou de notable quelconque. Il la tenait assurément de sa mère.


Il s’était senti d’abord une âme d’artiste, et avait envisagé une carrière de peintre. Durant ses études de droit, il avait alors fréquenté l’atelier de Paul Delaroche, mais il en était sorti au bout de six mois, incommodé par la liberté de mœurs qui régnait parmi les élèves du maître.



L’ÉVEIL DE LA VOCATION RELIGIEUSE ET L’ENTRÉE DANS LES ORDRES


Sa véritable vocation, il allait la découvrir à Rome. C’est un prêtre français en fonction au Vatican qui allait la lui révéler, le Père de Villefort. D’une rare perspicacité, cet ecclésiastique discerne très vite, en ce tout jeune diplomate orléaniste, l’âme d’un serviteur passionné de l’Église catholique.


L’appel de Dieu, Louis-Gaston l’avait entendu — mais de loin et comme assourdi — quatre ans plus tôt, en 1838, lorsque sa grand-mère Rostopchine, convertie au catholicisme et très pieuse, lui avait offert un exemplaire de l’In‑ troduction à la vie dévote de saint François de Sales. Ce livre et cette dame avaient exercé une profonde influence sur le jeune homme, mais sans conséquence puisque Louis-Gaston, toujours dirigé par son père, avait été accaparé par ses études juridiques, puis par ses débuts dans le monde. Simultanément, entraîné par son cousin Augustin Galitzine (3) , il avait adhéré à la société Saint-Vincent de Paul, où il avait fait des actions de charité, aux côtés de Pierre Olivaint.


Quatre ans plus tard, la situation était différente. Le jeune homme était devenu un adulte et un diplomate en fonction auprès du pape, loin de son père, religieusement tiède, et de son pays, la France, encore bien distante vis-à-vis de l’Église sous le règne de Louis-Philippe, « roi des barricades », porté sur le trône grâce à une révolution bourgeoise et voltairienne. Il va pouvoir libérer ses sentiments et ouvrir son âme à la prière et donc à la rencontre avec Dieu.


Le Père de Villefort fait prendre conscience à son jeune ami de sa vocation ecclésiastique. Le jour de Noël 1842, il lui fait prononcer son vœu de perpétuelle chasteté et sa promesse d’entrer dans les ordres.
Louis-Gaston informe aussitôt ses parents de sa décision. Le comte Eugène, père de notre héros, est à la fois effondré et furieux. Sa mère, elle-même peu dévote, se montre chagrinée à la pensée que son fils va mener une vie d’abstinence, de prière et de cérémonies religieuses, et qu’elle ne le rencontrera plus désormais qu’en habit ecclésiastique, alors qu’elle eût souhaité le voir devenir ambassadeur, ministre et homme du monde. Les deux parents, pourtant si différents l’un de l’autre, s’efforcent de fléchir leurs fils. En vain. La foi de Louis-Gaston est désormais trop forte pour céder aux supplications. La seule concession qu’il leur fera consistera à effectuer sa formation ecclésiastique au séminaire de Saint-Sulpice, à Issy, et non à Rome, la capitale de la Chétienté, où il se trouvait alors, comme il l’aurait souhaitée.


Entré à Saint-Sulpice en octobre 1843, Louis-Gaston de Ségur y est ordonné prêtre le 18 décembre 1847 par Mgr Affre, archevêque de Paris (4) . Le lendemain même de son ordination, le jeune prêtre célèbre une messe à la chapelle de la Sainte Vierge du séminaire de Saint-Sulpice. Durant cet office, il demande à la Vierge Marie de l’affecter de l’infirmité qui le crucifierait sans l’empêcher d’exercer son ministère.



LE PRÊTRE CHARITABLE ET LE DÉFENSEUR DE LA RELIGION



Aussitôt ordonné, l’abbé de Ségur déploie une formidable activité caritative en faveur des pauvres, des ouvriers, de leurs familles, des malades et des infirmes (ainsi appelait-on alors les handicapés). Son dévouement est tel qu’il tombe malade au bout d’un an et doit garder la chambre pendant un mois et demi.


Alors, il met à profit ce repos forcé pour rédiger le premier de ses nombreux livres : Réponses courtes et familières aux objections les plus ré‑ pandues contre la religion, qui sera publié par le bureau central des conférences de Saint-Vincent de Paul, en 1851. L’ouvrage retiendra l’attention.

Le jeune abbé de Ségur réfute une à une toutes les raisons que ses contemporains, les hommes du milieu du XIX e siècle, se trouvent de ne pas croire en la religion. Ces objections lui paraissent inspirées les unes par l’impiété délibérée, les autres par l’ignorance, d’autres enfin par la lâcheté, à des degrés divers. L’abbé de Ségur répond à toutes les objections possibles et imaginables adressées à la religion, à commencer par les plus courantes et celles dont l’apparence de justesse semble évidente, surtout si elles revêtent l’aspect du bon sens ou présentent de solides arguments à leur appui.

Il répond ainsi aux objections philosophiques et morales (l’impossibilité de démontrer l’existence de Dieu, le caractère incompréhensible des mystères divins, en particulier de l’Immaculée Conception et de l’Incarnation, l’impossibilité de démontrer l’existence d’une âme distincte du corps et d’une vie céleste au-delà de la mort, le caractère contradictoire avec la religion de l’existence des innombrables maux ayant affligé les hommes et des crimes impunis, l’intolérance répressive des papes et de l’Église à l’égard des protestants et autres hérétiques, l’égale valeur intellectuelle et morale de toutes les religions, invalidant la prétention de supériorité du catholicisme, l’appartenance du Christ à l’espèce humaine, la récusation de la religion par la science moderne, etc.), et les préjugés et autres idées reçues (« la religion a fait son temps », est périmée, et n’est plus bonne que pour les femmes, le caractère personnel de l’idée que l’on se fait de Dieu, du monde et du sens de la vie, l’inutilité apparente de la prière et de la liturgie, la possibilité d’une morale sans religion, etc.).


Ce livre, bien écrit, argumenté sans lourdeur ou sophistication théologique ou philosophique, à la portée du plus grand nombre, connaîtra un étourdissant succès, au point de faire l’objet de onze éditions successives pour la seule année 1851. L’abbé de Ségur apparaît, aux yeux de l’Église et du grand public croyant, comme l’un des plus brillants et habiles défenseurs du catholicisme.


POUR LA JUSTICE ET POUR L’ORDRE

En 1851, année de la parution du livre, beaucoup d’événements politiques d’importance ont eu lieu depuis trois ans. La révolution de février 1848 a jeté bas la Monarchie de Juillet et proclamé la République. Celle-ci a institué le suffrage universel, mais aussi massacré les ouvriers révoltés en juin 1848, et appliqué une politique sociale durement conservatrice. En décembre, Louis-Napoléon Bonaparte a été élu président de la République et a gouverné avec le parti de l’Ordre, majoritaire à l’Assemblée législative et composé de monarchistes, parmi lesquels les orléanistes, chassés en 1848, sont prépondérants. Et, le 2 décembre 1851, Bonaparte fait un coup d’État, qui annonce le rétablissement de l’Empire. Ce dernier aura lieu l’année suivante.


Les ascendants paternels de l’abbé de Ségur avaient servi successivement le Premier Empire, la Restauration et la Monarchie de Juillet. Luimême, habitué à ce dernier régime, ne le voit pas tomber sans déplaisir en février 1848.

Réprouvant la révolution et toutes les idées qui l’inspirent, rationalistes, irréligieuses, anticléricales, démocratiques et égalitaires, il approuve le rétablissement de l’ordre opéré en juin 1848, tout en réprouvant la férocité de la répression, car il est conscient du fait que les ouvriers se sont révoltés contre leur misère et non pour des motifs idéologiques ou étroitement politiques.

Cela, il le sait d’autant mieux que son action de charité et de bienfaisance l’a mis au contact de cette misère. Il éprouve aussi une vive répulsion vis-à-vis de la bourgeoisie, indifférente à cette détresse sociale, spécialement de la bourgeoisie républicaine (les hommes du National, les Marrast, Cavaignac, Garnier-Pagès, Arago, Trélat et autres), qui se refusent d’y porter remède. Mais, en tant que catholique, s’il souhaite la justice, il se prononce également pour l’ordre, et n’admet pas les insurrections.


Le Second Empire lui semble encore le meilleur des régimes, après les échecs de la Monarchie de Juillet et de la Seconde République. D’autant plus que le nouveau souverain, marié à une princesse espagnole dévote, s’appuie alors sur l’Église.



UN PROCHE DU PAPE PIE IX



Le nouveau régime va d’ailleurs le servir en même temps qu’il va le servir. Napoléon III décide d’envoyer un auditeur français à la Rote de Rome afin de maintenir de bonnes relations avec le Pape Pie IX. L’abbé de Ségur lui semble le candidat idéal pour ce poste : son grand-oncle avait été général d’Empire et aide de camp de Napoléon 1 er , lui-même avait une expérience de diplomate auprès du Saint-Siège, et il était apprécié de l’Église en raison de son livre récent réfutant les objections contre la religion.

Arrivé à Rome en mars 1852, l’abbé de Ségur y est reçu cordialement par Pie IX, et par deux importants prélats : son cousin, Mgr Xavier de Mérode, aumônier du pape, et Mgr Bastide, chapelain des Français de Saint-Louis et aumônier des armées romaines et des troupes françaises en Italie. Sa famille a fini par accepter tout à fait son état ecclésiastique, d’autant qu’il se concilie avec un brillant statut de diplomate. Et, en cette même année 1852, il eut le bonheur de recevoir la visite de sa mère et de ses trois sœurs, Sabine, Henriette et Olga.


L’abbé de Ségur se montre un habile négociateur. Avec beaucoup de doigté, il conclut un accord sur le rétablissement de la liturgie romaine en France, et, lié à cela, un accord entre la Curie et le séminaire Saint-Sulpice. Il prend part, également, à une négociation visant au sacre, par le pape, de Napoléon III, qui cependant n’aboutira pas. Toujours à Rome, il fait la connaissance de Louis Veuillot, directeur du journal L’Univers, grand publiciste et défenseur de l’ultramontanisme. Veuillot est devenu un ami de sa famille.


Jusqu’alors modéré et libéral, tant du point de vue religieux que politiquement, l’abbé de Ségur évolue graduellement vers un catholicisme intransigeant en parfait accord avec l’encyclique Quanta Cura et le Syllabus (8 décembre 1864) de Pie IX. Il approuve avec la plus grande ferveur la proclamation du dogme de l’Imma‑ culée Conception par la bulle Ineffabilis Deux (8 décembre 1854) et l’adoption par le premier concile du Vatican, du dogme de l’infaillibilité pontificale dans l’enseignement public du pape en matière de foi et de mœurs (18 juillet 1870).


Il défend, avec une ardeur désespérée, la cause de la survie des États de l’Église, qui finiront par disparaître, absorbés par l’Italie unifiée, le 20 septembre 1870. Aussi se montre-t-il très déçu par Napoléon III qui ne les défend pas, ainsi que par l’évolution libérale et moderne du Second Empire.


LE PRÉLAT CRUCIFIÉ



Mais un événement va influer sérieusement sur la carrière ecclésiastique de l’abbé de Ségur : la cécité. Nous l’avons dit plus haut, le 19 décembre 1847, lors de la célébration de sa première messe à Paris, il avait demandé à la Vierge Marie de l’affliger d’une infirmité propre à le rapprocher de la crucifixion sans l’empêcher d’exercer son ministère. Il sera entendu. Quelques années plus tard, en mai 1853, il perd la capacité visuelle de son œil gauche, victime d’une affection non élucidée. Puis, le 2 septembre 1854, pendant des vacances au château des Nouettes, avec sa famille, il perd totalement la vue. Il interprète ce drame comme un exaucement de son vœu antérieur et une manifestation de la volonté divine, et il supportera donc son infirmité avec un grand et tranquille courage chrétien.


Mais cet événement changea le cours de sa destinée. L’abbé de Ségur semblait promis à la plus brillante des carrières ecclésiastiques, destiné à devenir évêque, archevêque, puis cardinal. Son infirmité, si elle le rapproche du Crucifié, le rend inapte à de telles fonctions.


À l’automne 1854, le pape Pie IX le reçoit à Rome avec toute son humanité légendaire. Ne pouvant désormais le nommer évêque, le Saint Père, par un bref du 4 janvier 1856, lui confère les insignes et privilèges d’honneur liés à l’état épiscopal, et lui en accordait la jouissance pleine, libre et licite. Louis-Gaston devenait Mgr de Ségur.



L’APOSTOLAT PAR LES LIVRES



De retour à Paris, il renoue avec son activité d’apostolat en faveur des pauvres. Mais il se consacre surtout à son œuvre écrite de défense de la religion catholique, contre toutes les erreurs modernes et contemporaines, dans l’esprit du Syllabus de Pie IX. Incapable désormais de lire et d’écrire, il dicte ses textes à un secrétaire de condition ecclésiastique.


Sensible à la déchristianisation continue de notre pays, il s’efforce, par ses écrits, d’expliquer à ses contemporains le sens profond de la religion catholique, le mystère de la Création, celui de l’Incarnation, l’eschatologie chrétienne, le sens de la Chute et de la Rédemption, la nécessité du dogme et l’utilité de la prière et de la messe.

Tel est le but d’un ouvrage tel que : Qu’est‑ce que Jésus‑Christ ? Considérations familières sur la personne, la vie et le mystère du Christ, publié en 1856, et devenu, la même année, à l’occasion d’une réédition enrichie, Jésus‑Christ ? Considérations famailières sur la personne, la vie et le mystère du Christ.

Destiné à tous les fidèles, et non pas seulement à un public restreint, ce livre connut un beau succès, mais son influence fut, dans les milieux intellectuels, fortement contrecarrée et amoindrie par la très hétérodoxe Vie de Jésus (1863), qui eut un grand retentissement.


Mgr de Ségur écrira bien d’autres livres d’édification religieuse, à l’usage du plus vaste public, et tout spécialement des enfants. Nous citerons : La Religion enseignée aux petits en‑ fants, par Mgr de Ségur (1857), Prie — pour l’adoration du Saint‑Sacrement, par Mgr de Ségur (1858), Le Pape, question à l’ordre du jour, par Mgr de Ségur (1860), La Très Sainte Communion, par Mgr de Ségur (1860), Y a‑t‑il un Dieu qui s’occupe de nous ? (1861), La Pas‑ sion de N‑S Jésus‑Christ (1861), Le Denier de Saint‑Pierre (1861), La Confession (1862), Les Pâques (1862) Le Souverain Pontife (1863), Aux enfants. Conseils pratiques sur la commu‑ nion (1864), Aux enfants. L’enfant Jésus (1865), La Piété ensignée aux enfants (1866), La Pré‑ sence réelle (1866), Aux étudiants et à tous les gens d’esprit. La foi devant la science moderne (1867), La Messe (1869).


Il flétrira la révolution dans un livre précisément intitulé La Révolution (1861), titre devenu lors de rééditions ultérieures, La Révolution expliquée aux jeunes gens. Et il fustigera la franc-maçonnerie dans Les Francs‑maçons. Ce qu’ils sont, ce qu’ils font, ce qu’ils veulent (1867), livre qui sera traduit et publié en Espagne quelques années plus tard.


En 1859, Mgr de Ségur prend part à la fondation de la société Saint-François de Sales, pour la défense de la foi catholique.



LA CHARITÉ EXEMPTE DE LA DÉMAGOGIE



Toujours attentif à la remédiation de la misère ouvrière et à l’évangélisation des humbles, il présidera, en 1872, l’Œuvre des Cercles catho‑ liques d’ouvriers, fondée par Albert de Mun et Maurice Maignen.
Homme d’une grande charité, profondément honnête et désintéressé, Mgr de Ségur n’admettait pas que l’on utilisât la détresse matérielle des humbles à des fins de propagande politique. C’est ce qui explique sa détestation du roman de Victor Hugo, Les Misérables, qui lui semblait aller en ce sens. Aussi le critiqua-t-il vertement, ce qui lui attira une réplique féroce de l’auteur qui, vexé, n’hésita pas à plaisanter à propos de sa cécité.


Cet homme, qui servit successivement la Monarchie de Juillet puis le Second Empire, devint légitimiste après 1870. Il écrivit une lettre admirative au comte de Chambord qui venait d’exposer sa conception de la monarchie chrétienne telle qu’il la concevait, en parfait accord avec le catholicisme.


Toujours de santé fragile, Louis-Gaston de Ségur mourut à Paris le 9 juin 1881, âgé de 61 ans seulement, sans doute d’un brusque arrêt cardiaque. Ses obsèques furent célébrées en l’église saint-Thomas d’Aquin, en laquelle il avait reçu le baptême. Il fut inhumé en Bretagne, à Pluneret, près de Sainte-Anne d’Auray, où il repose aux côtés de sa mère, la comtesse de Ségur.


Ayant défendu toute sa vie la religion catholique tant par les livres que par son activité charitable et son action de diplomate, cet homme doux et humble, d’un dévouement total aux pauvres, au Christ et à son Eglise, ayant admirablement supporté sa cécité si handicapante, mérite d’être considéré comme un apôtre parfait. Que de tels confesseurs de la foi manquent cruellement dans les ténèbres actuelles !

Paul-André DELORME.

(1). Y compris Sophie, née russe orthodoxe, puis convertie au catholicisme.
(2). Rappelons ici la tiédeur de la foi de Louis-Philippe, cousins des Ségur et oncle de Louis-Gaston.
(3). Petit-fils d’Alexandra Galitzine, sœur de la grand-mère Rostochine, mère de la comtesse de Ségur.
(4). Ce prélat irréprochable fut tué sur les barricades de Paris, où il s’était rendu pour porter des paroles de paix et de conciliation, au début des Journées de Juin 1848.

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One thought on “Les derniers grands Français : Portrait de Mgr de Ségur

  1. Wikipedia mentionne les noms de nombre de ses ouvrages (Le Pape est infaillible, 1870 ; Hommage aux jeunes catholiques libéraux, 1874…), et précise ceci :

    Il publie également des ouvrages de piété comme Jésus vivant en nous (1869), dont la traduction italienne est mise à l’Index

    J’ai vérifié, et ai découvert que l’ouvrage lui-même est interdit, non une traduction :
    Ségur, Louis-Gaston de. La piété et la vie intérieure. Jésus vivant en nous. Decr. S. Off. 30 iun. 1869.
    Ségur, Louis-Philippe de. Histoire du Bas- Empire. Decr. 20 ian. 1823.
    — Histoire romaine. Decr. 6 sept. 1824.
    — * Galerie morale et politique. Donec corrig. Decr. 11 dec. 1826.
    (Index librorum prohibitorum)

    Louis-Philippe de Ségur était l’arrière-grand-père de Louis-Gaston. Franc-maçon, il accueillit favorablement la révolution.

    Louis-Gaston était l’aîné des huit enfants de Sophie Rostopchine, laquelle descendait des Mongols de Gengis Khan et fut un auteur fameux d’œuvres pour enfants (la comtesse de Ségur). La mère de la comtesse s’était convertie de l’orthodoxie au catholicisme notamment sous l’influence du franc-maçon ophite Joseph de Maistre. Wikipedia dit que les romans pour enfants de la comtesse furent relus par Louis-Gaston et corrigés en fonction de ses remarques morales.

    Le grand-père paternel de Louis-Gaston s’était suicidé, ce qui à cette époque flétrissait l’ensemble de la famille.
    Le grand-père maternel, gouverneur de Miscou, ordonna d’incendier la ville lorsqu’y arriva Napoléon.

    Wikipedia mentionne la colère de Victor Hugo contre Louis-Gaston de Ségur.
    https://fr.wikisource.org/wiki/Correspondance_de_Victor_Hugo/1872

    À Monsieur de Ségur, évêque.

    Hauteville-House, 17 décembre 1872.
    Monsieur,
    J’ignorais votre existence.

    On m’apprend aujourd’hui que vous existez et même que vous êtes évêque.

    Je le crois.

    Vous avez eu la bonté d’écrire sur moi des lignes qu’on me communique et que voici :

    Victor Hugo, le grand, l’austère Victor Hugo, le magnifique poëte de la démocratie et de la république universelle, est également un pauvre homme affligé de plus de trois cent mille livres de rente (souligné dans le texte) ; quelques-uns disent même de cinq cent mille (souligné dans le texte). Son infâme livre des Misérables lui a rapporté d’un coup cinq cent mille francs. On oublie toujours de citer les largesses que son vaste cœur humanitaire l’oblige à coup sûr de faire à ses chers clients des classes laborieuses. On le dit aussi avare, aussi égoïste qu’il est vantard.

    Suivent deux pages du même style sur Ledru-Rollin, qui est un « gros richard », sur Rochefort, qui fut pris à Meaux avec quantité de billets de banque dans la doublure de ses habits, sur Garibaldi, que vous appelez Garibaldi-pacha, qui fait la guerre sans se battre, qui avait pour armée quinze mille bandits poltrons comme la lune, et qui s’est sauvé en emportant nos millions, etc., etc.

    Je ne perdrai pas mon temps à vous dire, monsieur, que dans les dix lignes citées plus haut, il y a autant de mensonges que de mots, vous le savez.

    Je me contente de noter dans ces lignes une appréciation littéraire, la qualification infâme appliquée au livre les Misérables.

    Il y a dans les Misérables un évêque qui est bon, sincère, humble, fraternel , qui a de l’esprit en même temps que de la douceur, et qui mêle à sa bénédiction toutes les vertus ; c’est pourquoi les Misérables sont un livre infâme.

    D’où il faut conclure que les Misérables seraient un livre admirable si l’évêque était un homme d’imposture et de haine, un insulteur, un plat et grossier écrivain, un idiot vénéneux, un vil scribe de la plus basse espèce, un colporteur de calomnies de police, un menteur crossé et mitré.

    Le second évêque serait-il plus vrai que le premier ? Cette question vous regarde, monsieur. Vous vous connaissez en évêques mieux que moi.

    Je suis, monsieur, votre serviteur.

    Victor Hugo

    En réalité Les Misérables sont, entre autres choses, un réquisitoire contre la foi catholique : Hugo dans sa réponse cachait la forêt derrière l’arbre.

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