Pierre le Vénérable, lettre à Innocent II

Pierre le Vénérable (1092-1156) est élu huitième abbé de Cluny en 1122. Grand ami de Saint Bernard de Clairvaux, il prêche avec lui la croisade contre les turcs (et est même d’avis d’attaquer les juifs sur la route de la Terre Sainte). Très érudit, il est surtout connu pour avoir fait publier la première traduction du Coran avec l’aide d’un musulman. Il écrit par la suite une Somme des hérésies des Sarrasins (disponible ici) et un traité contre les juifs, l’Adversus ludaeorum inveteratam duritiem (« Contre l’obstination invétérée des juifs »). Tout ceci avec son habituelle rhétorique clunisienne du dégoût, particulière au XIIème siècle et caractérisée par de nombreuses insultes, notamment animales.

Caricature de Mahomet figurant sur le manuscrit de la Somme contre les hérésies des Sarrasins (on lit dans le cercle Mahumet)

Il s’adresse dans cette lettre au Pape Innocent II et l’encourage dans sa lutte contre l’Antipape Anaclet, alors que le schisme ébranle la chrétienté depuis déjà sept ans. Il est d’ailleurs avec Saint Bernard de Clairvaux l’un des principaux religieux à qui l’on doit la fin de la crise.

« C’était un affront au Christ qu’un descendant de juif occupe le trône de Saint Pierre »

– Saint Bernard de Clairvaux, lettre à l’Empereur Lothaire d’Allemagne sur l’Antipape Anaclet

On remarquera que l’abbé de Cluny professe la primauté de Pierre et l’infaillibilité pontificale. Il assure donc Innocent II de ses sentiments religieux et de son dévouement pour sa cause, se disant prêt à mourir pour celle-ci.


« Au Pasteur suprême de l’Eglise et à notre Père à titre particulier, le Seigneur Pape Innocent, frère Pierre, humble abbé des clunisiens, avec mes très humbles et dévoués respects.

Son excellence l’archevêque de Bordeaux qui, entre autres qualités, comme vous le savez vous-même, a pour votre personne une grande affection, est récemment passé dans notre région, et nous a beaucoup réjouis en nous parlant des beaux succès que vous avez remportés. Et puisque vous vous dépensez entièrement à rétablir la paix dans l’Église de Dieu, en y employant tous vos efforts, en ne reculant dans cette tâche devant aucune peine, je me suis senti poussé à vous écrire, faute de pouvoir directement vous seconder. Je suis vraiment désolé, et m’afflige beaucoup – Celui que je ne puis tromper m’en est témoin – que vous supportiez tant de labeurs en ces temps que nous traversons, sans que je puisse être à vos côtés.

Mais ma constitution est d’une telle fragilité que, comme j’en ai souvent fait l’expérience, j’en suis réduit à fondre tel un cachet de cire au soleil d’Italie, avant même qu’il ne se soit levé. Vous l’avez vous-même constaté autrefois à Pise quand, à peine transportable et vous étant devenu une charge, j’aurais mis un terme à la fois à toute cette entreprise et à ma vie, si je n’étais immédiatement rentré. Telle est la seule et unique raison pour laquelle je suis resté si longtemps éloigné de vous. En sorte que si je trouvais quelque moyen de m’en affranchir ou de tempérer cette chaleur, plus rien ne m’empêcherait d’accompagner votre Paternité, plus rien ne retiendrait le fils de se tenir aux côtés de son père. En attendant, je fais ce que je peux et, avec la présomption que donnent la charité et l’affection filiale, je vous encourage par cette lettre à porter avec bravoure le fardeau de l’Église, qu’une décision divine, et non humaine, a déposé en ces temps sur vos épaules, pour que vous ne vous lassiez point, quelle que soit la longueur de l’épreuve.

Que Celui qui, par son seul Esprit, a uni en vous toute l’Eglise et a mis à vos pieds presque tout l’univers, vous soumette ce petit nombre d’hérétiques qui résiste et que le nom de catholique recouvre les noms d’hérétiques et de schismatiques, comme il advient de coutume. Tenez donc ferme comme vous l’avez fait jusqu’ici, car la prière que le Christ a faite pour que la foi de Pierre ne défaille pas, ne peut jamais rester sans effet, mais elle le rend plus fort, pour qu’il relève ceux qui sont tombés, réconforte ceux qui tremblent et confirme dans leur foi ceux qui doutent. Toute l’Église qui vous a été confiée est avec vous, tout comme moi, le dernier des membres du Christ, ainsi que votre Cluny, nous qui, tant qu’il y aura en nous un souffle de vie, serons prêts à vous obéir, à travailler à vos côtés, et peut-être même à mourir avec vous. Car il est bien certain qu’aucun changement dans les réalités changeantes de ce monde ne pourra nous changer, qu’aucune évolution ne nous transformera, rien ne pourra nous séparer de notre pasteur, de Pierre, du Christ que tu représentes tous à nos yeux. Où que vous vous trouviez, nous vous assurons de notre obéissance et notre dévouement, car comme l’a dit le poète : « Et chez les Véiens, où Camille se trouvait, Rome était là », de même Pierre dans sa prison, Marcellin dans son écurie, ne gouvernaient pas moins que s’ils avaient été dans l’église du Latran, et les brebis du Christ leur obéissaient comme à leurs vrais pasteurs. Souvenez-vous que l’Église a toujours grandi à travers les épreuves, a multiplié ses enfants dans les souffrances; que par son endurance, elle s’est rendue maîtresse de toute résistance.

Que le nombre des années déjà passées augmente en vous l’espoir d’une victoire totale, car vous qui avez victorieusement lutté pendant sept ans contre les ennemis de Dieu, vous chanterez, en la huitième, l’alleluia de la Résurrection, comme au jour où fut vaincu l’enfer, et l’Église qui, à la suite de son Christ, après « s’être abreuvée au torrent en chemin, relèvera la tête » (cf. Ps 109, 7). »

– Pierre le Vénérable, lettre à Innocent II, 1137 (Traduction du P. Christophe Vuillaume, OSB)

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