Catholiques de France

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3 thoughts on “L’histoire et l’influence de la Kabbale

  1. Qu’esr-ce que la cabale ?

    La réponse élémentaire est la suivante : c’est le mysticisme juif.

    Mais pour comprendre la cabale, il faut comprendre le judaïsme, ce qui est difficile pour un chrétien plus que pour quiconque.

    Le judaïsme antique était, en pratique, composite, subissant plusieurs influences contradictoires et qui évoluèrent. Le parti sadducéen (reposant sur les prêtres du temple de Jérusalem) depuis le sixième siècle jusqu’à la destruction du temple fut le plus influent, grâce à son quasi monopole sur les élites nationales. S’en détacha au deuxième siècle le parti pharisien, reposant sur le personnel à la fois civil et religieux administrant le reste du territoire, et donc influant sur les petites gens. Jésus put d’abord prêcher parce que son message était conforme en partie à la foi des pharisiens (croyance aux anges et à la résurrection des corps) et en partie à celle des sadducéens (rejet de la tradition orale pharisaïque, recueillant les décisions des scribes et docteurs de la Loi qui étaient les cadres pharisiens, jurisprudence à laquelle ce parti prêtait l’autorité de la Loi, étant supposée avoir été transmise par Dieu en même temps que les Dix Commandements).

    La destruction du temple ruinerait le parti sadducéen et assurerait le triomphe des pharisiens. La Loi orale évoluerait en Talmud : on passa ainsi au judaïsme des rabbins.

    Jésus fut un peu soutenu par les sadducéens bien contents de voir qu’il sapait l’autorité des pharisiens, lesquels cherchèrent très tôt à le mettre à mort. En chassant les marchands du temple, maechands par les intérêts desquels l’autorité des sadducéens qui les y acceptait s’imposait aux pharisiens les composant, Jésus perdit cette protection intéressée, et par la coalition de tous les puissants se vit condamné.

    Le Dʳ Israel Shahak est l’auteur le plus utile pour comprendre le Talmud (son opuscule Histoire juive, religion juive va au cœur des questions essentielles et les exprime limpidement). Il résume le judaïsme talmudique en un remplacement de l’Ancien Testament, dont le texte y est vénéré formellement, par une tradition qui en interprète le texte (le Talmud, aboutissement écrit de la science jurisprudentielle pharisaïque, qui est cette « science » [gnôsis] dénoncée par l’Apôtre). Ainsi, ce n’est plus une parole figée qui s’exprime par les commandements, mais un lacis presque inextricable d’opinions rabbiniques sur ces commandements, ce qui laisse en fin de compte le dernier mot à l’autorité de la classe rabbinique, prévalant sur cette parole qu’elle affirme « expliquer ». Ce que Shahak résume ainsi :

    « En fait, plus une de ces personnes [étrangères au judaïsme des rabbins] lit la Bible, et moins elle en sait sur le judaïsme orthodoxe. Car ce dernier voit dans l’Ancien Testament un tissu de formules sacrées immuables dont la récitation est un acte de grande vertu, mais dont la signification est entièrement fixée de l’extérieur. Et, comme Heumpty Deumpty le dit à Alice, il ne suffit pas de se demander qui peut déterminer le sens des mots, la vraie question est : “Qui sera le maître ?“ »

    Un passage du Talmud :

    Que voulait-il dire par cela ? – dit le rabbin Jérémie : Que la Torah a déjà été donnée au mont Sinaï ; nous n’accordons aucune attention à une Voix Divine, parce que Tu [Dieu] as depuis longtemps écrit dans la Torah au mont Sinaï : Devant la majorité on doit s’incliner.
    (Talmud Bavli, Baba Metzia 59b, d’après la traduction en anglais par le rabbin Isidore Epstein : « What did he mean by this? – Said R. Jeremiah: That the Torah had already been given at Mount Sinai; we pay no attention to a Heavenly Voice, because Thou hast long since written in the Torah at Mount Sinai, After the majority must one incline. »)

    Shahak rappelle que le passage invoqué (Exode, ch. XXIII, v. 2) dit exactement l’inverse de ce qu’y lit le Talmud. C’est par ce principe d’autorité de la majorité (de cetre unique classe de cadres et d’érudits du judaïsme de la fin de l’Antiquité qu’étaient les rabbins) ainsi établi que l’interprétation rabbinique prévaut sur la parole divine, ce qui aboutit au système des dispenses, moyen de contourner les interdictions.
    Shahak :

    « Tout d’abord, il saute aux yeux que ce système de dispenses, et le judaïsme classique lui-même pour autant qu’il se fonde sur elles, ont pour trait dominant la tromperie ; et il s’agit avant tout de tromper Dieu, si on peut désigner par ce mot l’être imaginaire si aisément dupé par les rabbins qui s’estiment plus astucieux que lui. On ne saurait concevoir plus grand contraste que le contraste entre le Dieu de la Bible (notamment celui des grands prophètes) et le Dieu du judaïsme classique. »

    Le talmudisme, avec ses infinies discussions sur le sens des commandements, ressortissant souvent à ce jeu enfantin qu’est la kyrielle (marabout, bout d’ficelle…) , et tournant le dos au trésor de la philosohie et de la sience des Grecs qui baignaient son environnement, causa un état d’esprit d »orgueil dont Bernard Lazare évoquerait les conséquences (L’Antisémitisme. Ses Origines, son histoire, ses causes).

    La cabale est une partie du Talmud. J’ai déjà cité ce passage, mais il est essentiel, et ce qu’il décrit est chez nous méconnu, et négligé lorsque connu, donnant le point de vue rabbinique sur la cabale (rabbin Moïse Schwab, Le Talmud de Jérusalem. Introduction et tables générales, Paris, J. Maisonneuve, 1890, pp. xiii et xiv LIEN 🔗) :
    D’après la manière bizarrement ingénieuse de l »époque, on retrouvait les quatre principales méthodes [de lecture par les rabbins du texte de la tradition massorétique, soit la version de l’Ancien Testament transmise et acceptée par eux] dans le mot persan paradis, épelé à la fapon sémitique, sans voyelles, P, R, D, S. Chacune de ces lettres mystérieuses était prise mnémoniquement pour l’initiale de quelque mot technique qui indiquait une de ces quatre méthodes. Celle qu’on appelait P (PESCHAT) visait à la simple intelligence des mots et des choses, d’accord avec la loi élémentaire de I’exégèse du Talmud, « qu’aucun verset de l’Écriture n’admettait pratiquement d’autre sens que le sens littéral », bien que, dans un sens familier ou différent, on pût l’expliquer d’une foule d’autres manières.
    – La deuxième lettre R (REMEZ), signifie insinuation, c’est-à-dire la découverte des indications contenues dans certaines lettres et certains signes de l’écriture, superflus en apparence. On supposait que ces signes avaient rapport à des lois qui n’étaient pas expressément mentionnées, mais qui existaient dans la tradition, ou avaient été récemment promulguées. Cette méthode, appliquée d’une manière plus générale, donna naissance à une sorte de memoria technica, à une sténographie semblable au notarikon des Romains. On ajouta des points et des notes à la marge des manuscrits ; ainsi fut jetée la base de la Massorah ou de la conservation diplomatique du texte.
    – La troisieme lettre D (DERUSCH), était l’application familière de ce qui avait été à ce qui était et à ce qui serait, de paroles prophétiques et historiques, à l’état actuel des choses. C’était une espèce particulière de sermon, ayant pour auxiliaires la dialectique, la poésie, la parabole, la sentence, le proverbe, la légende, etc., exactement comme cela se voit dans le Nouveau Testament.
    – La quatrième lettre S (SÔD), ou secret, mystère, impliquait la science mystérieuse, à laquelle bien peu étaient initiés. C’était la théosophie, la métaphysique, l’angéiologie, une foule de visions fantasques et brillantes de choses surnaturelles. De faibles échos de cette science se retrouvent dans le néo-platonisme, dans le gnosticisme, dans la cabale, dans Hermès Trismégiste. Mais bien peu de personnes étaient initiées aux choses de la « création » et du « chariot », comme on appelait cette science, par allusion à la vision d’Ézéchiel. L’attrait du vague et du mystérieux a été si puissant qu’à la longue, le mot paradis ne désigna que cette derniere branche, la science secrète, ésotérique. Plus tard, dans le gnosticisme, il en vint à signifier le Christ spirituel.
    Les première et troisième méthode sont aussi celles reconnues par le christianisme. La deuxième est décrite par Shahak sur un point précis et consiste à lire arbitrairement entre les lignes, comme la quatrième. Sous les noms de sôd ou merkaba (chariot), cette dernière est la cabale.

    Il est prouvé aujourd’hui (Gershom Scholem, notamment Major Trends in Jewish Mysticism) que la cabale s’est formée au temps des Croisades, dans le domaine ladino (langue, à base de latin mais à éléments hébraïques, des juifs du Portugal, d’Espagne, d’Italie et de France). Elle mêle la structure interprétative talmudique à des élélents extrêmement variés, et qu’on trouvait séparés les uns des autres, (et ignorés du judaïsme pour la plupart) dans les traditions antiques conservées par les bibliothèques des papes, des moines et des universités. Née sous la plume de rabbins, la cabale est un ajout de matériaux païens à un squeletre juif. On n’y trouve pas de « faibles échos » du néo-platonisme, du gnosticisme ou de l’hermétisme (« Hermès Trismégiste »), mais des morceaux qu’elle leur a emprunté, comme à toutes les traditions alors connues, pour ajouter un sorte de foisonnant bric-à-brac ésotérique sur les principes du Talmud.

    Elle peut ainsi plaire à ceux que fascine le judaïsme antique, duquel s’en réclament les adeptes, comme à ceux à qui il est odieux, et qui y verront les éléments néo-païens ou hellénistiques (ce qui est bien différent de ce que seraient des éléments helléniques, mais cette banale confusion est le seul appât efficace pour le gibier qu’il vise).

    Bref : la cabale est un Talmud exportable.

    Qui plus est, cet ouvage de pièces, par la dissemblance des éléments qui le composent, suscite une grandes confusion chez ses critiques, enclins à s’acharner contre l’un de ses aspects contradictoires, au risque de plonger aveuglément dans l’autre. La cabale guette aux deux bords l’excessif et l’imprudent, leur paraissant chaque fois le nec plus ultra du camp qu’ils adoptent.

    Comme la forme de talmudïsme qui la précéda, la cabale croit en une force, bonne, créatrice du monde (la cabale est polythéiste : ce dieu créateur y joue le rôle de Mardouk dans la religion assyro-babylonienne), à qui rien ne doit échapper afin de fuir le dualisme manichéen ou gnostique, rappela Georges Vajda. Le principe de la rigueur est le mal. Dans une branche de la cabale, le sabbataïsme, ce mal doit être aboli par un messie à venir, qui le combattra par la transgression de toute loi. Pour la branche extrémiste des sabbataïstes, tout croyant doit imiter ce parcours du messie attendu. Voilà qui rejoint finalement, ce qui peut surprendre, cette branche du gnosticisme qu’est l’ophisme (qui considère que Jésus était le serpent au jardin d’Éden, et que ce dieu de l’amour, libérateur, s’oppose au dieu mauvais des interdits). Ce que signala pertinemment Vajda dans sa recension de Major Trends in Jewish Mysticism (parue en 1946, pages 168 à 189 du n° 7 de la Revue des études juives). :

    « L’esprit de l’ancien gnosticisme anomiste revit ici avec une singulière vigueur : tout est pur pour les purs ; la règle faite pour les imparfaits ne s’applique pas à l’élite ; les formes extérieures dans lesquelles les élus doivent vivre n’ont aucune espèce d’importance, alors que la rédemption, la libération interne est accomplie. Se faire Musulman comme les dônme de Salonique, se convertir au catholicisme comme Frank, ou rester dans le judaïsme comme la majorité des Sabbataïstes, même extrémistes, c’est tout un. »

    Il faudrait évoquer encore la cabale lourianite (celle du rabbin Isaac Louria, pour qui les juifs étaient collectivement le messie).

    On peut résumer ainsi : la cabale est une forme du talmudisme encore plus bizarre que l’original, qui donne une autorité infaillible aux interprétations contradictoires. Elle est ésotériste et croit en la prédestination. Elle tire du mythe de son ancienneté une force qui manquait à son modèle, et qu’en la cautionnant, croyant bien faire, certains de ses ennemis renforcent de la manière la plus funeste, la plus inconsciente. Elle peut être interprétée de mille manières contradictioires, qui toutes passent pour infailliblement justes. Elle ne commande pas, mais n’exclut pas. Quand survient une contradiction entre deux termes, elle n’est ni ceci, ni cela, mais ceci et cela à la fois. Ainsi, elle n’interdit pas certaines dérives, qui se résument en un mot : ὕϐρις.

  2. Une coquille empêche su’on discerne les limites de la citation du rabbin Schwab dans mon commentaire, raison pour laquelle je fais cette correction (en espérant que la modération n’y verra pas un mauvais procédé.).

    Qu’est-ce que la cabale ?

    La réponse élémentaire est la suivante : c’est le mysticisme juif.

    Mais pour comprendre la cabale, il faut comprendre le judaïsme, ce qui est difficile pour un chrétien plus que pour quiconque.

    Le judaïsme antique était, en pratique, composite, subissant plusieurs influences contradictoires et qui évoluèrent. Le parti sadducéen (reposant sur les prêtres du temple de Jérusalem) depuis le sixième siècle jusqu’à la destruction du temple fut le plus influent, grâce à son quasi monopole sur les élites nationales. S’en détacha au deuxième siècle le parti pharisien, reposant sur le personnel à la fois civil et religieux administrant le reste du territoire, et donc influant sur les petites gens. Jésus put d’abord prêcher parce que son message était conforme en partie à la foi des pharisiens (croyance aux anges et à la résurrection des corps) et en partie à celle des sadducéens (rejet de la tradition orale pharisaïque, recueillant les décisions des scribes et docteurs de la Loi qui étaient les cadres pharisiens, jurisprudence à laquelle ce parti prêtait l’autorité de la Loi, étant supposée avoir été transmise par Dieu en même temps que les Dix Commandements).

    La destruction du temple ruinerait le parti sadducéen et assurerait le triomphe des pharisiens. La Loi orale évoluerait en Talmud : on passa ainsi au judaïsme des rabbins.

    Jésus fut un peu soutenu par les sadducéens bien contents de voir qu’il sapait l’autorité des pharisiens, lesquels cherchèrent très tôt à le mettre à mort. En chassant les marchands du temple, maechands par les intérêts desquels l’autorité des sadducéens qui les y acceptait s’imposait aux pharisiens les composant, Jésus perdit cette protection intéressée, et par la coalition de tous les puissants se vit condamné.

    Le Dʳ Israel Shahak est l’auteur le plus utile pour comprendre le Talmud (son opuscule Histoire juive, religion juive va au cœur des questions essentielles et les exprime limpidement). Il résume le judaïsme talmudique en un remplacement de l’Ancien Testament, dont le texte y est vénéré formellement, par une tradition qui en interprète le texte (le Talmud, aboutissement écrit de la science jurisprudentielle pharisaïque, qui est cette « science » [gnôsis] dénoncée par l’Apôtre). Ainsi, ce n’est plus une parole figée qui s’exprime par les commandements, mais un lacis presque inextricable d’opinions rabbiniques sur ces commandements, ce qui laisse en fin de compte le dernier mot à l’autorité de la classe rabbinique, prévalant sur cette parole qu’elle affirme « expliquer ». Ce que Shahak résume ainsi :

    « En fait, plus une de ces personnes [étrangères au judaïsme des rabbins] lit la Bible, et moins elle en sait sur le judaïsme orthodoxe. Car ce dernier voit dans l’Ancien Testament un tissu de formules sacrées immuables dont la récitation est un acte de grande vertu, mais dont la signification est entièrement fixée de l’extérieur. Et, comme Heumpty Deumpty le dit à Alice, il ne suffit pas de se demander qui peut déterminer le sens des mots, la vraie question est : “Qui sera le maître ?“ »

    Un passage du Talmud :

    Que voulait-il dire par cela ? – dit le rabbin Jérémie : Que la Torah a déjà été donnée au mont Sinaï ; nous n’accordons aucune attention à une Voix Divine, parce que Tu [Dieu] as depuis longtemps écrit dans la Torah au mont Sinaï : Devant la majorité on doit s’incliner.
    (Talmud Bavli, Baba Metzia 59b, d’après la traduction en anglais par le rabbin Isidore Epstein : « What did he mean by this? – Said R. Jeremiah: That the Torah had already been given at Mount Sinai; we pay no attention to a Heavenly Voice, because Thou hast long since written in the Torah at Mount Sinai, After the majority must one incline. »)

    Shahak rappelle que le passage invoqué (Exode, ch. XXIII, v. 2) dit exactement l’inverse de ce qu’y lit le Talmud. C’est par ce principe d’autorité de la majorité (de cette unique classe de cadres et d’érudits du judaïsme de la fin de l’Antiquité qu’étaient les rabbins) ainsi établi que l’interprétation rabbinique prévaut sur la parole divine, ce qui aboutit au système des dispenses, moyen de contourner les interdictions.
    Shahak :

    « Tout d’abord, il saute aux yeux que ce système de dispenses, et le judaïsme classique lui-même pour autant qu’il se fonde sur elles, ont pour trait dominant la tromperie ; et il s’agit avant tout de tromper Dieu, si on peut désigner par ce mot l’être imaginaire si aisément dupé par les rabbins qui s’estiment plus astucieux que lui. On ne saurait concevoir plus grand contraste que le contraste entre le Dieu de la Bible (notamment celui des grands prophètes) et le Dieu du judaïsme classique. »

    Le talmudisme, avec ses infinies discussions sur le sens des commandements, ressortissant souvent à ce jeu enfantin qu’est la kyrielle (marabout, bout d’ficelle…) , et tournant le dos au trésor de la philosohie et de la sience des Grecs qui baignaient son environnement, causa un état d’esprit d »orgueil dont Bernard Lazare évoquerait les conséquences (L’Antisémitisme. Ses Origines, son histoire, ses causes).

    La cabale est une partie du Talmud. J’ai déjà cité ce passage, mais il est essentiel, et ce qu’il décrit est chez nous méconnu, et négligé lorsque connu, donnant le point de vue rabbinique sur la cabale (rabbin Moïse Schwab, Le Talmud de Jérusalem. Introduction et tables générales, Paris, J. Maisonneuve, 1890, pp. xiii et xiv LIEN 🔗) :

    D’après la manière bizarrement ingénieuse de l’époque, on retrouvait les quatre principales méthodes [de lecture par les rabbins du texte de la tradition massorétique, soit la version de l’Ancien Testament transmise et acceptée par eux] dans le mot persan paradis, épelé à la fapon sémitique, sans voyelles, P, R, D, S. Chacune de ces lettres mystérieuses était prise mnémoniquement pour l’initiale de quelque mot technique qui indiquait une de ces quatre méthodes. Celle qu’on appelait P (PESCHAT) visait à la simple intelligence des mots et des choses, d’accord avec la loi élémentaire de I’exégèse du Talmud, « qu’aucun verset de l’Écriture n’admettait pratiquement d’autre sens que le sens littéral », bien que, dans un sens familier ou différent, on pût l’expliquer d’une foule d’autres manières.
    – La deuxième lettre R (REMEZ), signifie insinuation, c’est-à-dire la découverte des indications contenues dans certaines lettres et certains signes de l’écriture, superflus en apparence. On supposait que ces signes avaient rapport à des lois qui n’étaient pas expressément mentionnées, mais qui existaient dans la tradition, ou avaient été récemment promulguées. Cette méthode, appliquée d’une manière plus générale, donna naissance à une sorte de memoria technica, à une sténographie semblable au notarikon des Romains. On ajouta des points et des notes à la marge des manuscrits ; ainsi fut jetée la base de la Massorah ou de la conservation diplomatique du texte.
    – La troisieme lettre D (DERUSCH), était l’application familière de ce qui avait été à ce qui était et à ce qui serait, de paroles prophétiques et historiques, à l’état actuel des choses. C’était une espèce particulière de sermon, ayant pour auxiliaires la dialectique, la poésie, la parabole, la sentence, le proverbe, la légende, etc., exactement comme cela se voit dans le Nouveau Testament.
    – La quatrième lettre S (SÔD), ou secret, mystère, impliquait la science mystérieuse, à laquelle bien peu étaient initiés. C’était la théosophie, la métaphysique, l’angéiologie, une foule de visions fantasques et brillantes de choses surnaturelles. De faibles échos de cette science se retrouvent dans le néo-platonisme, dans le gnosticisme, dans la cabale, dans Hermès Trismégiste. Mais bien peu de personnes étaient initiées aux choses de la « création » et du « chariot », comme on appelait cette science, par allusion à la vision d’Ézéchiel. L’attrait du vague et du mystérieux a été si puissant qu’à la longue, le mot paradis ne désigna que cette derniere branche, la science secrète, ésotérique. Plus tard, dans le gnosticisme, il en vint à signifier le Christ spirituel.

    Les première et troisième méthode sont aussi celles reconnues par le christianisme. La deuxième est décrite par Shahak sur un point précis et consiste à lire arbitrairement entre les lignes, comme le fait aussi la quatrième. Sous les noms de sôd ou merkaba (chariot), cette dernière est la cabale.

    Il est prouvé aujourd’hui (Gershom Scholem, notamment Major Trends in Jewish Mysticism) que la cabale s’est formée au temps des Croisades, dans le domaine ladino (langue, à base de latin mais à éléments hébraïques, des juifs du Portugal, d’Espagne, d’Italie et de France). Elle mêle la structure interprétative talmudique à des élélents extrêmement variés, et qu’on trouvait séparés les uns des autres, (et ignorés du judaïsme pour la plupart) dans les traditions antiques conservées par les bibliothèques des papes, des moines et des universités. Née sous la plume de rabbins, la cabale est un ajout de matériaux païens à un squelette juif. On n’y trouve pas de « faibles échos » du néo-platonisme, du gnosticisme ou de l’hermétisme (« Hermès Trismégiste »), mais des morceaux qu’elle leur a empruntés, comme à toutes les traditions alors connues, pour ajouter un sorte de foisonnant bric-à-brac ésotérique sur les principes du Talmud.

    Elle peut ainsi plaire à ceux que fascine le judaïsme antique, duquel s’en réclament les adeptes, comme à ceux à qui il est odieux, et qui y verront les éléments néo-païens ou hellénistiques (ce qui est bien différent de ce que seraient des éléments helléniques, mais cette banale confusion est le seul appât efficace pour le gibier qu’elle vise).

    Bref : la cabale est un Talmud exportable.

    Qui plus est, cet ouvage de pièces, par la dissemblance des éléments qui le composent, suscite une grandes confusion chez ses critiques, enclins à s’acharner contre l’un de ses aspects contradictoires, au risque de plonger aveuglément dans l’autre. La cabale guette aux deux bords l’excessif et l’imprudent, leur paraissant chaque fois le nec plus ultra du camp qu’ils adoptent.

    Comme la forme de talmudïsme qui la précéda, la cabale croit en une force, bonne, créatrice du monde (la cabale est polythéiste : ce dieu créateur y joue le rôle de Mardouk dans la religion assyro-babylonienne), à qui rien ne doit échapper afin de fuir le dualisme manichéen ou gnostique, rappela Georges Vajda. Le principe de la rigueur est le mal. Dans une branche de la cabale, le sabbataïsme, ce mal doit être aboli par un messie à venir, qui le combattra par la transgression de toute loi. Pour la branche extrémiste des sabbataïstes, tout croyant doit imiter ce parcours du messie attendu. Voilà qui rejoint finalement, ce qui peut surprendre, cette branche du gnosticisme qu’est l’ophisme (qui considère que Jésus était le serpent au jardin d’Éden, et que ce dieu de l’amour, libérateur, s’oppose au dieu mauvais des interdits). Ce que signala pertinemment Vajda dans sa recension de Major Trends in Jewish Mysticism (parue en 1946, pages 168 à 189 du n° 7 de la Revue des études juives). :

    « L’esprit de l’ancien gnosticisme anomiste revit ici avec une singulière vigueur : tout est pur pour les purs ; la règle faite pour les imparfaits ne s’applique pas à l’élite ; les formes extérieures dans lesquelles les élus doivent vivre n’ont aucune espèce d’importance, alors que la rédemption, la libération interne est accomplie. Se faire Musulman comme les dônme de Salonique, se convertir au catholicisme comme Frank, ou rester dans le judaïsme comme la majorité des Sabbataïstes, même extrémistes, c’est tout un. »

    Il faudrait évoquer encore la cabale lourianite (celle du rabbin Isaac Louria, pour qui les juifs étaient collectivement le messie).

    On peut résumer ainsi : la cabale est une forme du talmudisme encore plus bizarre que l’original, qui donne une autorité infaillible aux interprétations contradictoires. Elle est ésotériste et croit en la prédestination. Elle tire du mythe de son ancienneté une force qui manquait à son modèle, et qu’en la cautionnant, croyant bien faire, certains de ses ennemis renforcent de la manière la plus funeste, la plus inconsciente. Elle peut être interprétée de mille manières contradictioires, qui toutes passent pour infailliblement justes. Elle ne commande pas, mais n’exclut pas. Quand survient une contradiction entre deux termes, elle n’est ni ceci, ni cela, mais ceci et cela à la fois. Ainsi, elle n’interdit pas certaines dérives, qui se résument en un mot : ὕϐρις.

    1. Le passage de Vajda cité ci-dessus se trouve à la page 188 de l’article, lequel est consultable en ligne. En voici les références :
      Vajda Georges. Scholem (Gershom G.). — Major Trends in Jewish Mysticism. 1941. In: Revue des études juives, tome 7 (107),1946. pp. 163-189.
      LIEN 🔗 vers persee fr.

      Quelques précisions utiles :
      – Que la « science » (gnôsis) dénoncée par saint Paul fût la tradition orale pharisaïque préfigurant le Talmud me semble incontestable, mais n’est aucunement mentionné par Shahak.
      – Le monde musulman aussi conservait des documents antiques susceptibles de fournir des sources aux fondateurs de la cabale.
      – La cabale enseigne la croyance en la réincarnation.
      – La notion évoquée par Vajda de tiqqun (ou, transcrit dans notre langue, de tikkoun olam) désigne l’œuvre que doit accomplir le cabaliste (ou, dans le Talmud, le juif) de réparer le monde créé.

      Le long article de Vajda en donnera une idée ; le livre de Shahak est bien plus utile encore (et les pages dans lesquelles il décrit les croyances et rituels de la cabale mériteraient d’être reproduites ou résumées dans chaque description de ce système) ; celui de Scholem est l’étude historique essentielle sur ce sujet.

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